INFO+ : Osons la vie est un podcast créé par RoseUp, l’association qui informe et accompagne les femmes touchées par tout type de cancer. Produit par Louie Créative, l’agence de création de contenu de Louie Média, il est co-écrit et animé par Emilie Groyer et Sandrine Mouchet. Bénédicte Schmitt en a fait la réalisation et le mix, sur une musique de Marine Quéméré. La production est supervisée par Eloïse Normand. L’illustration est signée Alice Dès.
Vous pouvez écouter Osons la Vie sur notre site et sur toutes les plateformes comme ApplePodcast, Spotify et Deezer
Je m’appelle Emma, j’ai 36 ans, j’habite à Salaise-sur-Sannes et j’ai eu un cancer du sein.
En 2020, alors que je suis en oraux d’anglais pour mon examen de BTS, je ressens des douleurs au niveau thoracique. Je mets ça sur le compte du stress. Quand l’examen se termine, j’ai toujours ces douleurs, de plus en plus intenses au niveau de la poitrine surtout. Je me dis que ce ne sont pas les examens. Mon médecin traitant, c’est mon amie d’enfance. Donc, c’est simple pour moi de lui envoyer un SMS et lui dire ce qui je ressens. Elle me répond rapidement et me propose de passer au cabinet le lendemain. Elle me précise qu’elle ne sera pas là, mais que sa consoeur s’occupera de moi. À ce moment-là, je ne me pose pas plus de questions que ça. C’est le lendemain, quand elle m’ausculte, que je comprends qu’il se trame quelque chose car elle passe plusieurs coups de fil pour avoir un rendez-vous en urgence pour une écho et une mammo.
« Je suis trop jeune pour avoir un cancer du sein »
On m’avait avertie : « Tu verras, c’est pas agréable d’avoir un presse-citron ». Et en effet, ce n’est pas très agréable, mais ça va. Ce n’est pas trop douloureux. Je m’attendais à pire. La manipulatrice me dit ensuite de retourner dans le box, qu’un médecin va venir me chercher pour passer une écho. Je l’attends, torse nu. Je regarde autour de moi et il y a cette affiche sur le dépistage du cancer du sein à partir de 50 ans . Je secoue la tête et intérieurement, je me dis « Mais non, ça ne peut pas être un cancer du sein. C’est marqué “à partir de 50 ans”. Moi, je suis trop jeune. Ce n’est pas possible. »
Pendant l’échographie, le médecin passe énormément de temps sur un sein, mais je me dis sur le moment que c’est normal. Ayant un passif de sportive avec beaucoup de blessures, je me dis qu’il est juste consciencieux. Ce qui m’interpelle c’est ce qu’il dit : « Oula, il y a des nodules. » Sur le moment, je me demande ce qu’il raconte. Pour moi, il parle Chinois. Mais je n’ai pas le réflexe de lui poser la question de ce que ça veut dire. Je me laisse porter. Il me demande si je suis disponible pour faire une biopsie en urgence.
Je suis complètement à l’ouest à ce moment-là. Je dis : « OK, il n’y a pas de souci. Faites-moi une biopsie. » Je retourne dans le box en attendant et je regarde encore cette affiche qui m’interpelle. Je secoue à nouveau la tête . Non, ce n’est pas possible. Ce n’est pas un cancer du sein. Bizarrement, cette petite voix intérieure me dit aussi « si, c’est possible » mais je ne l’écoute pas. Finalement, le médecin revient et m’annonce qu’on ne peut pas me faire de biopsie aujourd’hui parce que le médecin qui s’en charge est overbooké, mais qu’il faut absolument que je revienne la semaine prochaine.
« J’ai l’impression d’être dans une fête foraine »
Pendant une semaine, je suis occupée entre les cours et mon alternance. Je me mets dans une bulle, j’enfile une carapace. Pour la biopsie, cette fois-ci, ils sont deux. Il y a une préparatrice et une médecin qui tient un pistolet. Quand elle le déclenche pour faire le prélèvement, ça produit une détonation. J’ai l’impression d’être dans une fête foraine. Qu’on me tire dessus à la carabine. Trois fois.
On est en pleine deuxième vague de Covid-19, les délais pour avoir les résultats sont rallongés. Je dois donc attendre entre deux et trois semaines.
Le mardi 3 novembre 2020, j’ai un message vocal de la secrétaire de mon amie d’enfance qui me demande si je peux venir au cabinet à 18h car Amandine aimerait me voir. Je la rappelle et je lui explique que je ne peux pas venir alors elle me donne un rendez-vous pour le jeudi 5 novembre à 8h30. Ça commence à me travailler. Pourquoi on demande à me voir en urgence ? Il y avait un truc qui m’échappe.
« Le mot “cancer” résonne dans ma tête »
Dans la soirée, je reçois de nouveau un appel d’Amandine :
– Écoute, je ne peux pas rester comme ça avec ce que je viens d’apprendre. Emma, il y a des mauvaises cellules. Tu le sais, le mercredi je ne travaille pas donc on en reparle jeudi, ça sera plus simple.
– T’inquiète pas, je comprends. À jeudi.
Je raccroche et je fonds en larmes. Dans ma tête, le mot « cancer » résonne mais je ne veux pas me l’avouer. L’homme qui partage ma vie à ce moment-là essaie de me réconforter : « Il se passe quelque chose ? Parle-moi Emma, s’il te plaît. ». Il n’y a rien qui sort de ma bouche. Aucun mot, seulement des larmes. Ça coule, ça coule, ça coule. Ça a duré au moins 10 voire 15 minutes. Il m’aide à reprendre ma respiration. Je lui sors : « mauvaises cellules ». Il me serre fort dans ses bras et, comme c’est une personne très positive, il me rassure en me disant qu’il faut qu’on relativise. Il me rappelle aussi qu’on ne sait pas ce que c’est, donc il ne faut pas s’enflammer.
« Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ?! »
Le jeudi 5 novembre 2020, je me rends au cabinet. Amandine vient m’accueillir dans la salle d’attente. Il y a une atmosphère un peu particulière. Elle me fait signe de m’asseoir. Elle fait de même, croise les bras et s’accoude à son bureau. Elle baisse légèrement la tête, puis la relève pour me regarder :
– Est-ce que tu comprends ce qui se passe ?
– Tu m’as dit mauvaises cellules ? Cancéreuses ?
– Oui. Tu as un cancer du sein.
Je m’effondre. Elle me réconforte du mieux qu’elle peut. Elle a les larmes aux yeux mais elle reprend son rôle de médecin. Elle me pose plein de questions :
– Tu bois ? Tu fumes ? Est ce que tu manges beaucoup de fast food ? ».
– Non.
Elle le sait. Elle me connaît mais je pense que c’est le protocole qui veut ça.
– Le sport ?
– Oui, j’ai gardé mon hygiène de vie de sportive.
– C’est injuste. Je te connais. Je connais ton parcours de vie. Ce qui arrive, c’est vraiment injuste.
C’est peut-être paradoxal ce que je vais dire, mais je trouve cette annonce magique. Parce que c’est à la fois une femme qui a une profession magnifique, médecin, et en même temps, c’est une amie. L’annonce prend une toute autre dimension.
Je reste longtemps dans le cabinet avec Amandine. On discute de tout et de rien, mais surtout, elle insiste sur l’annonce auprès de ma famille. Dans la voiture, sur le chemin pour aller chez mes parents, je parle à haute voix et je balance de jolis noms d’oiseaux à la vie. Tous les sentiments se mélangent. Je pleure, je hurle : « Putain, mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter ça ?! J’en n’ai pas assez chié dans ma vie, il faut encore qu’il me tombe une merde. À quel moment on va me laisser tranquille ? ».
« Ma bulle de combat »
J’arrive chez mes parents, je prends une grande inspiration et j’ouvre la porte. Ma mère est en train de petit-déjeuner. Quand elle me voit, elle sourit, comme si un rayon de soleil venait de se poser sur elle. Elle me demande comment je vais. Je m’écroule.
– Mais qu’est-ce qui se passe ?
– Je viens de voir Amandine. J’ai un cancer du sein.
J’ai toujours cette image en tête : elle lâche sa tartine dans son bol, se tient la tête avec les mains, la secoue de droite à gauche. Je m’assois sur une chaise et je dis :
– Mais putain, pourquoi moi ?
– Écoute, ne te pose pas la question. La vie, c’est comme une loterie. Là, t’es pas tombée sur le bon numéro. On va s’en sortir. On est une équipe. On ne va rien lâcher.
Quand elle emploie ce « on », ça fait tilt dans ma tête. Je vais construire ma bulle de combat. Je vais sélectionner les personnes qui seront à mes côtés. C’est mon combat, c’est moi qui choisis qui va en faire partie ou pas.
Ma mère me dit « Tu sais que ton père ne rentre que ce soir du boulot. Je t’enverrai un message quand il arrivera pour que tu viennes lui annoncer ».
« Pour l’annoncer à mon père, il a fallu que je sois dure »
L’année 2020, c’est vraiment une année de merde. Juste avant le début du confinement, en l’espace de 24 heures, on enterre les parents de mon père et on apprend que sa sœur a une récidive métastastique de cancer. Et moi, je lui apporte la cerise sur le gâteau.
Quand je reçois le SMS de ma mère qui me prévient que mon père est rentré, j’y vais un peu à reculons. Mon père est devant la télé. Quand il me voit arriver, il prend son manteau pour aller fumer sa petite clope dehors. Je l’intercepte et je lui dis « Papa, j’ai quelque chose à dire. Est-ce que tu peux t’asseoir ? ». Et il reste debout : « Non, c’est bon, dis-moi ». Ma mère insiste alors il finit par s’asseoir. Je lui annonce que j’ai reçu mes résultats.
– Alors ?
– Papa, j’ai un cancer du sein.
Le regard livide, il baisse la tête. Il prend sa clope et se dirige vers la terrasse et je l’arrête tout de suite.
– Papa ?
– Oui, j’ai entendu.
– Écoute, maintenant, je vais enchaîner. Moi, j’ai besoin de mon père. Si t’es pas apte, je préfère que tu me le dises maintenant, parce que ce combat, il va être assez compliqué. Mais t’as le droit de dire que c’est trop lourd. T’as le droit mais c’est maintenant. Pendant ce combat, va falloir filer droit ! ».
Il fallait que je sois dure pour lui annoncer.
« Mon père m’a fait la plus belle des déclarations en se rasant la tête »
Il a fait partie du combat et, à ma plus grande surprise, il a fait un geste magnifique. Mon père n’est pas très expressif. Dire « Je t’aime », c’est très compliqué. Le jour où on m’a rasé la tête, il se l’est rasée aussi. Ce geste-là est la plus belle des déclarations. Même si ma mère l’a engueulé parce qu’elle trouvait ça moche !
Ce combat n’est pas si atypique en soi, mais il m’a vraiment ouvert les yeux sur l’importance d’être entourée de personnes sur qui on peut vraiment compter. Les gens qui cherchent la « petite bébête », ça ne m’intéresse pas. Je passe au-dessus. Je m’entoure uniquement de gens qui ont des good vibes, qui ont comme leitmotiv « On avance, peu importe comment, mais on avance. » Cette team-là fait toujours partie de ma vie. Elle m’aide beaucoup encore aujourd’hui.