INFO+ : Osons la vie est un podcast créé par RoseUp, l’association qui informe et accompagne les femmes touchées par tout type de cancer. Produit par Louie Créative, l’agence de création de contenu de Louie Média, il est co-écrit et animé par Emilie Groyer et Sandrine Mouchet. Bénédicte Schmitt en a fait la réalisation et le mix, sur une musique de Marine Quéméré. La production est supervisée par Eloïse Normand. L’illustration est signée Alice Dès.
Vous pouvez écouter Osons la Vie sur notre site et sur toutes les plateformes comme ApplePodcast, Spotify et Deezer
Je m’appelle Aurélie Fortin, j’habite à Vieux Gis, juste à côté d’Annecy. En 2019, on m’a diagnostiqué un cancer de l’ovaire. J’ai aujourd’hui 42 ans et je suis en rémission totale.
En 2019, je suis célibataire. Je vis seule avec mon fils depuis qu’il est tout petit, j’ai aussi traversé ma grossesse toute seule. Le papa est présent dans sa vie, mais on est séparés. Au mois de juin, je commence à avoir des petits saignements. Je porte un stérilet depuis la naissance de mon fils. Je me dis « Je vais en profiter. C’est le moment que je prenne rendez-vous avec mon gynéco pour un contrôle. » J’obtiens un rendez-vous un mois plus tard.
Des petits saignements
Lorsque je le vois, je lui explique les raisons de ma venue : « Je viens pour un petit contrôle, mais j’en profite pour vous signaler que j’ai des saignements réguliers. Je ne comprends pas bien pourquoi. Depuis que vous m’avez posé le stérilet, tout va bien. Peut-être qu’il s’est déplacé… » Il contrôle. Il me fait une petite échographie et me dit « Non, non, ne vous inquiétez pas, tout va bien. Le stérilet est bien en place. Il y a un petit kyste qui saigne, mais bon, c’est rien de bien méchant, ça arrive. C’est hormonal, rassurez-vous. Vous êtes jeune et en bonne santé. » J’ai 38 ans à ce moment-là. Ce gynéco me suit depuis plusieurs années, il a suivi ma grossesse, il me connaît par cœur, il connaît ma vie. Je repars chez moi très sereine.
En juillet, je commence à discuter un petit peu avec mon voisin qui deviendra par la suite mon conjoint. Un rapprochement s’opère au mois d’août. Je reprends une vie de femme plus “normale”, on va dire. Et là, les saignements, pour le coup, ne s’arrêtent plus. Ils reprennent de manière abondante et complètement imprévisible. Cela me gêne d’autant plus que j’ai une vie de femme maintenant et c’est toujours un petit peu délicat, lorsque vous venez de rencontrer quelqu’un, d’avoir ce genre de choses. On n’est pas forcément très à l’aise. Mais c’est un homme très intelligent, il comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas.
C’est le bordel
Un jour, on repère une grosseur juste après un rapport. On ne comprend pas d’où ça vient. Là, je me dis « Je vais retourner vers mon gynéco. Il m’avait dit que ça s’arrêterait et ça doit s’arrêter.» Je reprends rendez-vous chez mon gynéco début septembre. Je lui explique :
– Je reviens vous voir parce que vous m’aviez dit que ça devait s’arrêter et les saignements sont toujours là.
– Ok, pas de souci. Déshabillez-vous, on va regarder ça.
Il me fait une écho et là, je le vois qui fronce les sourcils et, texto, il me dit :
– Oula c’est le bordel, j’y vois rien, on va aller faire une IRM.
Mon gynécologue a toujours été très cash, donc sa façon de parler ne me choque pas. L’IRM, je savais que c’était pour y voir plus clair. J’ai une maman qui est dans le milieu médical, donc à ce moment-là, ce n’est pas un terme qui m’est inconnu.
Quinze jours plus tard, je fais l’IRM et puis, on me fait attendre dans un petit box. Le médecin vient me voir et me dit :
– Pourquoi on vous envoie exactement ? Qu’est ce qu’on vous a dit ?
– Qu’il y avait des fibromes à l’échographie et donc que l’IRM devait nous permettre d’y voir un peu plus clair.
– Alors effectivement, je vois beaucoup de corps fibreux. On ne peut pas dire à l’IRM ce que c’est exactement. Donc, je vais rédiger mon rapport en ce sens. Je suis obligée d’y évoquer l’éventualité d’un carcinome. Mais rassurez-vous, ça ne veut pas dire que vous avez un cancer. Seulement moi, de mon côté – entre guillemets, pour me protéger – je suis obligée de l’indiquer.
Au moment où elle m’annonce le mot « carcinome », je comprends que de toute façon, il va y avoir une opération. Je reste positive. Je ne suis pas quelqu’un qui va s’arrêter sur ce terme négatif de « carcinome ». Je ne vais pas ressortir en me disant « Mon Dieu, j’ai un cancer, je vais mourir. » Non, du tout. À aucun moment. Par contre, je me dis « Bon, là, j’ai vraiment quelque chose. »
L’humour comme protection
Je retourne voir mon gynéco avec l’IRM une semaine plus tard. Il regarde, et, encore une fois, avec sa grande diplomatie, il me dit : « Bon, vous ne vouliez plus d’enfants ? » Alors, concrètement, à 38 ans, je ne m’étais pas trop posé la question de savoir si je voulais encore un enfant ou pas. Ma vie sentimentale ne me permettait pas de l’envisager, mais j’aurais aimé avoir le choix. Je lui réponds :
– Je ne me suis jamais trop posée la question, mais expliquez moi.
– Bon. C’est le bazar. Mais ce qu’on va faire, c’est que je vais vous enlever l’utérus. Je vais vous laisser les ovaires, rassurez-vous, vous n’aurez pas les effets de la ménopause comme ça. Et ça règle le problème.
Moi, sur le coup, très positive, je dis :
– C’est formidable finalement, comme moyen de contraception, on aurait dû l’envisager avant. C’est vrai ? Pourquoi mettre un stérilet ? On aurait dû enlever l’utérus tout de suite. On réglait le problème.
Je ne sais pas pourquoi j’ai réagi comme ça. Peut-être parce qu’encore une fois, je ne suis pas quelqu’un de négative. Et c’est peut-être aussi pour moi une façon de me protéger, d’utiliser l’humour. Toujours est-il qu’à ce moment-là, encore une fois, je ne me suis pas posée la question du deuxième enfant. Ce qui me posait davantage problème, c’était l’idée de la ménopause à 38 ans. Il m’aurait dit « Je vous enlève tout », cela aurait pu me poser problème. Alors, quand il me l’a annoncé, finalement, il me disait « Je vous règle le problème. Vous n’aurez plus vos règles, vous ne serez plus embêtée, mais vous n’aurez pas les effets de la ménopause. » C’est extraordinaire. Finalement. Du coup, il me prend rendez-vous pour m’opérer une semaine après.
Au réveil, la douche froide
En sortant de chez mon gynéco, je rumine un petit peu sur le trajet ce qu’on vient de m’annoncer. Arrivée devant chez moi, je me gare et je respire un grand coup en me disant « Bon allez, ça va le faire ». Et là, je tourne la tête et je vois mon ami sur le parking. Il m’attendait. Je baisse la fenêtre de ma voiture et je lui dis : « Tu sais, t’as le droit de partir. Je t’en voudrais pas. » Au fond de moi, c’était inconcevable que quelqu’un puisse vouloir rester avec moi dans ces conditions. Je me disais qu’il allait rester par pitié. Il me répond : « Je t’ai rien demandé en fait, je fais ce que je veux. Allez, viens, on va manger un morceau et passer un bon moment ». Il avait organisé un petit repas avec les voisines. À ce moment-là, je me suis rendue compte que je pouvais compter sur lui. Je n’avais pas de doute là-dessus. Mon seul doute, c’était qu’il reste juste par souci du devoir.
Je rentre à l’hôpital le 8 octobre 2019. L’intervention est prévue pour le lendemain. Au réveil, c’est le bad trip. Je pense que cette scène là, je la reverrai toute ma vie. Mon gynéco vient me voir quelques minutes après. Je crois. Je n’ai plus trop la notion du temps à cause de l’anesthésie. Il me regarde et me dit : « Bon. C’est grave, j’ai dû tout enlever. Mais réveillez-vous tranquillement, je reviendrai vous voir. » J’ai adoré cette douche froide au réveil, c’était extraordinaire. Je pense qu’il a appris à être gynéco, mais pas diplomate, ça c’est sûr. Je me dis « Mon Dieu, comment ça il a dû tout enlever ? ».
C’est moche
Quand il revient, il m’explique : « J’ai dû tout enlever. Il y en avait vraiment de partout. C’est vraiment très grave ce que vous avez. J’ai dû enlever les ovaires. J’ai dû enlever l’utérus. J’ai gratté au niveau du péritoine. J’ai gratté ce que je pouvais gratter. » Il ne me dit pas « c’est cancéreux ». Il me dit : « c’est moche ». « C’est moche ». Ça veut dire quoi ? En général, ce qu’on a dans le ventre, c’est pas forcément très beau. Qu’est ce que ça veut dire ? Il ne me dit pas que c’est un cancer, mais il me le fait comprendre à demi-mot. À moi de comprendre, à moi de traduire.
J’appelle mon ami et je crois qu’en fait, toute la décharge émotionnelle, c’est lui qui l’a prise en pleine tronche Je ne me souviens pas précisément de ce que j’ai pu lui dire. Ce que je sais, c’est que je lui ai dit que c’était grave. Je lui ai dit qu’on m’avait tout enlevé. Je sais que j’ai pleuré. Lui, il a été, comme à son habitude, fort. Il a encaissé et il a fait ce qu’il a fait par la suite, il m’a soutenue.
Mourir n’est pas une option
Au moment où on m’annonce, ou plutôt, qu’on me fait comprendre que j’ai un cancer, ce qui me vient en premier en tête c’est que je risque de perdre mon travail. C’est l’aspect matériel. C’est moche de dire ça, mais c’est ce qui m’a fait le plus peur au début, parce que je suis seule avec mon fils. Je travaille en Suisse, les règles n’y sont pas les mêmes qu’en France. Autrement dit, au bout d’un certain temps, on peut me licencier parce que je suis malade. C’est une réalité. Ma réaction est hyper terre à terre à ce moment-là, je m’en rends compte aujourd’hui. Je sais que ça en a choqué plus d’un. On m’a dit : « Mais attends, tu as un cancer, tu risques de mourir ! » Non. Moi, j’ai décidé que non. Non, non, c’était pas prévu au programme. J’ai 38 ans, j’ai mon petit garçon de trois ans, je ne vais pas mourir. Je vais être là pour lui.
On me transfère dans un service d’oncologie. Le mot « cancer » qu’on refuse de me dire, on me le fait comprendre parce qu’on me met dans le service qui va bien. Et puis on m’explique qu’on ne pourra en savoir plus que d’ici 15 jours à trois semaines quand on aura les résultats de l’anapath.
Vidée
Les résultats de l’anapath arrivent. On m’adresse vers une oncologue pour la suite du traitement. Elle m’annonce : « Voilà, vous avez un cancer de l’utérus. » J’ai un cancer. Quelque part, je l’avais deviné. Je le savais. Mais encore une fois, je me suis dit « C’est pas grave, je vais guérir. » Je ne me suis pas arrêtée au mot « cancer ». Je pense qu’on aurait pu m’annoncer n’importe quelle autre maladie, j’aurais réagi de la même manière. Je savais juste que ça allait être compliqué. Mon seul souhait à ce moment-là, c’est de guérir. Je suis maman, j’ai mon petit bout de chou qui est là… C’est le fil rouge quoi.
L’oncologue m’explique : « Vous allez avoir chimiothérapie, radiothérapie, curiethérapie ». C’est une douche froide. Moi, chimio, je connais, je vois ce qui m’attend. Radiothérapie, j’en ai une vague idée également. Par contre, curiethérapie… Et là, elle m’annonce que c’est un produit qu’on injecte au cœur de la tumeur. Et ça, ça me fait peur, par contre. Ça doit brûler, ça doit faire horriblement mal. J’ai peur un petit peu de ça. Et je repars de ce rendez-vous vidée. Vidée.
Une incohérence dans les résultats
Au mois de novembre, on m’explique qu’on va me poser un PAC pour recevoir la chimiothérapie qui doit avoir lieu une semaine ou 15 jours après. La veille de la chimio, on m’appelle : « Madame Fortin, bonjour, secrétaire du docteur machin. On vous appelle pour vous dire que votre chimio est annulée. » Les bras m’en tombent. Comment ça « annulée » ? À ce moment-là, j’ai eu envie de hurler – pas d’insulter parce que je reste polie – mais ça m’a effleuré l’esprit quand même.
– Pourquoi vous l’annulez ? Expliquez moi !
– C’est parce qu’en fait, on se rend compte qu’il y a une incohérence entre le compte-rendu opératoire et les résultats de l’anapath.
– Mais comment ça ?
– L’oncologue va vous rappeler, elle vous expliquera plus, mais moi, je suis obligée d’annuler le rendez-vous.
– Bon, d’accord.
Je raccroche et j’attends.
Mon oncologue finit par me rappeler et m’explique qu’il y a une incohérence dans le dossier qui les amène à demander une relecture, qu’il ne souhaite pas me donner un traitement qui ne serait pas celui qu’il me faut. Il ne m’explique rien de plus. À ce moment-là, je reste pleine d’interrogations parce que je sais que j’ai un cancer, je sais que j’ai une tumeur qui est en train de me grignoter de l’intérieur mais on ne me dit rien. Ni quand je vais être prise en charge, ni quelle va être la suite du traitement. Je suis en colère. Je suis en colère parce que je veux guérir et j’ai l’impression qu’on sabote ma guérison. Il m’explique que le nouveau médecin qui va prendre en charge mon dossier va me contacter, qu’il faut que j’attende.
Vous n’avez pas un cancer de l’utérus mais de l’ovaire
Le 20 décembre, ce médecin m’appelle : « Écoutez, vous n’avez pas du tout un cancer de l’utérus, vous avez un cancer de l’ovaire, ce qui n’est pas pareil. Le protocole n’est pas le même. Ça ne se soigne pas de la même manière. On va se fixer un rendez-vous le 20 janvier, donc dans un mois. En attendant, vous allez commencer de l’hormonothérapie et je vous expliquerai tout quand on se verra. »
Quand on m’annonce qu’il y a un traitement d’hormonothérapie qui consiste à bloquer les hormones, je ne comprends pas. Pour moi, le fait d’être en état de ménopause fait que le système hormonal est déjà en berne. Je ne comprends donc pas bien pourquoi on veut encore bloquer les hormones. Par contre, au moment où on m’annonce qu’il faut que je prenne ce traitement, je me dis que j’ai enfin un début de guérison. Je vois ça comme quelque chose de très positif. Je demande quand même s’il y a des effets secondaires. Il me répond : « Non, non, non, il peut y avoir des douleurs articulaires mais ce n’est pas systématique. »
Pas loin de la porte de sortie
Les douleurs articulaires, je confirme, étaient bien présentes et assez rapidement. Ce n’est pas un traitement facile. J’ai toujours dit j’ai de la chance, je n’ai pas eu de chimio, je n’ai pas perdu mes cheveux, je n’ai pas vomi tripes et boyaux. Mais l’hormonothérapie n’est pas non plus sans conséquences. Elle m’a provoqué des douleurs articulaires juste démentielles. Elle accentue les effets de la ménopause. Et avec la ménopause, lorsqu’on vient de rencontrer quelqu’un et qu’on a envie d’avoir une vie sexuelle normale, il faut oublier. Une hormonothérapie, c’est des sécheresses vaginales, c’est un désir qui est inexistant. On ne vous prévient pas de ça. Vous vous prenez un mur en pleine tête.
Après avoir commencé l’hormonothérapie, j’ai dû être réopérée. Cette deuxième opération est costaude. Elle a lieu le 4 mars 2020. Sept heures d’intervention. On m’a enlevé 60 centimètres d’intestin, le côlon droit, l’appendice, les péritoines, une partie du diaphragme, la rate, un morceau de foie. Enfin bon… Mon chirurgien est venu me voir après l’opération et m’a dit « Vous ne m’avez pas facilité la tâche. » Là, j’ai compris que je n’étais vraiment pas passée loin de la porte de sortie. Finalement, je n’ai pas eu de chimio, ni de radiothérapie ou de curiethérapie, mais j’ai continué l’hormonothérapie pendant deux ans.
L’essentiel, c’est l’amour
Traverser une telle période avec à ses côtés un partenaire de vie, ça m’a fait comprendre ce que c’est que d’être aimée. Je ne le savais pas avant. C’est dramatique, mais c’est comme ça. Cette épreuve nous a rapprochés, ça nous a renforcés. Aujourd’hui, j’ai complètement changé de vie. J’accorde aujourd’hui du temps pour moi, pour nous, pour notre famille recomposée. J’ai mis du temps, j’ai payé très cher pour comprendre, mais que l’essentiel, c’est ça. C’est les gens qui nous entourent, c’est l’amour qu’on nous porte. Personne ne devrait avoir à payer aussi cher pour le comprendre. Mais comme je suis quelqu’un d’assez têtue, il a fallu au moins ça pour que je le comprenne.