Ce film m’accompagne depuis des années et il me suffit d’écouter la mélopée de John Harry pour que l’émotion m’étreigne. Son héroïne c’est Karen Blixen. Elle est danoise et la vie lui impose de laisser son pays, sa famille, pour aller vivre dans une ferme, en Afrique. Moi, c’est la maladie qui m’a projetée en terre inconnue, et obligée du jour au lendemain à tout quitter. Je n’ai même pas eu le temps de ranger les affaires de mon bureau, de dire au revoir à mes collègues et surtout à mes élèves.
Karen découvre que sa ferme est située en territoire Massaï, très loin de la capitale, Mombassa. Isolée, elle vit une grande solitude. Mais elle y puise la force de vivre librement sa vie, loin des conventions et des codes sociaux très corsetés du temps des colonies.
Elle tombe amoureuse d’un chasseur et aventurier aristocrate, Denys Finch Hatton. Avec lui, elle va vraiment rencontrer le Kenya, et la beauté de l’Afrique.
« Aujourd’hui, je sais une chose : je ne suis pas prête à retrouver une vie ordinaire »
Pendant mon long protocole de chimiothérapie, j’ai également vécu de belles aventures avec mon compagnon. Il vit à Londres, et juste avant que le Covid n’entraîne la fermeture des frontières entre la France et l’Angleterre, et qu’il nous sépare un long moment, on a réussi à se rejoindre à plusieurs reprises. Dès que mon corps me le permettait, nous partions en week-end. Des moments précieux où nous échappions à la maladie. Dans le film, il y a cette fabuleuse scène où Denys embarque Karen dans son petit avion et lui fait l’incroyable cadeau d’un vol au-dessus du Lac Natron, et de ses majestueux flamands roses. Un moment de magie, celle d’un premier matin du monde. Avec mon compagnon, nous avons eu ce même frisson face à la saisissante beauté du Mont Saint-Michel lorsqu’il se découvre à la naissance du jour. Le chant des moines de l’abbaye résonnait dans le silence des pierres, nous étions seuls… Un moment de grâce.
J’aime le lien qui unit les deux héros. Chacun est épris de liberté, de nature et parfois de solitude, mais quand ils se retrouvent, ils ne vivent que dans le présent. La maladie m’a aussi appris à profiter de chaque moment et à me concentrer sur ce qui est bon pour moi, en laissant de côté les énergies négatives, les liens toxiques, le stress banal, en essayant de devenir un cœur simple, ouvert à la joie malgré les peurs.
Je me suis souvent demandé comment le cancer allait me transformer et ce que j’en ferais. Je n’ai pas toutes les réponses encore mais, à l’heure où les traitements sont finis et où je suis dans une phase de rémission, je sais une chose : je ne suis pas prête à retrouver une vie ordinaire.
Propos recueillis par Sandrine Mouchet