LUNDI
C’est en buvant mon café que j’ai eu LA révélation. Pour être plus précise, c’est en le recrachant. Il faut dire que je sirote toujours mon café en lisant la presse le matin. J’étais donc en train de m’y brûler les lèvres lorsque je découvre dans mon quotidien favori que l’Organisation Mondiale de la Santé suspectait café, thé et autres boissons servies trop chaudes – à plus de 65 degrés, juste comme je les aime, de provoquer des cancers de l’œsophage.
J’entrepris donc de colmater mon œsophage à coup de délicieuses briochettes (d’une marque française qui sent bon le terroir), vestiges du petit-déj abandonné sur la table par mon charmant pré-ado. J’en étais à la 3ème bouchée quand mon regard croisa une mention étrange sur l’emballage : E471. Je fonçai alors sur fr.openfoodfacts.org, génialissime base de données collaborative recensant les ingrédients contenus dans plus de 80000 produits alimentaires. J’y découvris avec stupeur que cet émulsifiant – ainsi que son frère jumeau, le E472 – planquait sous son improbable nom de code une huile végétale transformée par hydrogénation modifiant la structure des membranes cellulaires dans l’organisme. Et je manquai de m’étouffer avec mon petit pain en découvrant que ce dérivé d’acide gras était classé possiblement cancérigène par l’ARTAC1. Je balançai donc illico à la poubelle les sournoises brioches- d’aspect pourtant bien innocentes et à qui, la veille encore, j’aurais donné le bon dieu sans confession. Une moelleuse briochette se transformant en serial killeuse ! Je commençais à mesurer que cette enquête allait m’entrainer dans les tréfonds de la perversité alimentaire…
Traque aux E471, E472, E520 dans le congélo
Telle la James Bond du garde-manger, bien disposée à bannir toutes traces d’huile hydrogénée de mon foyer, je me reconnectai illico sur fr.openfoodfacts.org et découvris l’ampleur de la tâche…. puisque pas moins de 3091 produits commercialisés en France contiennent du E471. Je fis d’abord le vide dans le congélateur, car la plupart des plats préparés – adieu quiches, pizzas et autres crèmes glacées ! – étaient incriminés. Je me débarrassai ensuite de l’intégralité du rayon goûter de ma progéniture, bien décidée à le priver à tout jamais de ses barquettes au chocolat, madeleines nature et même barres aux 5 Céréales achetées naïvement la semaine dernière, pensant œuvrer à un bon équilibre alimentaire.
MARDI
En ce deuxième jour de croisade anti cancer, je me rendis au supermarché le plus proche équipée d’une liste de courses…et de nouveaux ennemis à traquer sur les étiquettes.
Je snobai d’abord la quasi intégralité du rayon viandes fumées et salaisons, la majorité des jambons/bacons/salamis et autres produits carnés transformés étant conservés grâce à l’agent E250…. anodin petit nom derrière lequel se cachent nitrates et autres nitrites, classés « probablement cancérigènes » pour l’homme par le centre international de recherche contre le cancer – le CIRC2 – et certainement cancérigènes par l’ARTAC1.
Tout en disant adieu au Jambon supérieur cuit à l’étouffé – je t’en donnerais moi du supérieur…- je m’interrogeai sur le sens d’une vie sans charcuterie, mousse de canard au porto et foie gras de canard au cognac. J’étais sur le point de me jeter bêtement dans les bras de filets de poulet fermier Label Rouge lorsque mon instinct d’agent secret me réveilla le poignet : je dégainai alors mon Smartphone, priant pour que ce produit là – et son super label – parvienne à trouver grâce aux yeux de mon désormais meilleur allié virtuel openfoodfacts. Sauf que non. Enfin plutôt, oui. Même dans le fermier : des nitrates ! On n’est jamais mieux trahi que par ses amis…
Du PCB dans les poissons mais aussi les fraises, nectarines, tomates…
N’étant pas du genre à me laisser mourir de faim, je me rappelai du vieil adage : viande ou poisson ? J’hésitais entre mer et rivière lorsque mon ami le chimiste et lanceur d’alerte André Cicolella m’appela sur mon smartphone :
– Bonjour Ingrid, je vous ai déjà parlé des PCB, non ?
– Non… pas encore, docteur.
– Interdits en France depuis 1987, les PCB (ou polychlorobiphényles) sont des substances chimiques qui ont la fâcheuse particularité d’être extrêmement persistantes dans l’environnement. Ces polluants, présents, entre autres dans les pesticides, ont contaminé l’ensemble de la chaîne alimentaire et se retrouvent aujourd’hui dans le lait, la viande, les œufs, et à plus forte dose encore dans les poissons...
Je raccrochai en remerciant le scientifique de ces bons conseils et bien décidée à ne pas consommer un cancérigène certain, je tourne résolument le dos au rayon « marée ». Adieu, viande de veau, vache, cochons! Adieu poulets, œuf, lait, bacons et salamis…
Voyant dans la verdure mon salut, je me dirige d’un pas décidé vers le rayon primeurs, prête à dévorer par cagettes entières ces fruits et légumes que le Ministère de la santé, dans sa vaste de campagne de prévention des cancers « évitables » m’enjoignait de consommer. Alors que fraises et juteuses nectarines attiraient déjà mon œil, une alerte sur mon portable m’informa que l’ONG Environmental Working Group3, qui publie chaque année la liste des fruits et légumes les plus pollués en pesticides – riches en PCB, mais pas que ! – venait de dévoiler son palmarès. Adieu fraises (contaminés dans 98% des cas), pommes, nectarines, raisin, tomates et poivrons de saison. Je remplis mon caddy de seuls fruits à « peau dure» – qui laissent bien moins passer les pesticides.
Menu du soir après avoir passé plus de trois heures au supermarché à traquer l’aliment safe ? Une pauvre salade avocat/ananas qui, je dois l’avouer, provoqua une quasi-mutinerie de mon ado (vous savez, le mangeur de briochettes du début de l’article). Surtout lorsqu’il se rendit compte que j’avais purgé le congélateur des glaces, eskimos et autres desserts dont il comptait bien se caler l’estomac après la maigre salade. Je me drapai dans ma nouvelle compétence de chasseuse de cancérigènes et lui lançais que je lui sauvais peut-être la vie. Il se contenta de hausser les épaules en bougonnant qu’il descendait s’acheter un burger et un coca. Aucune reconnaissance…
MERCREDI
Dois-je l’avouer ? J’ai passé le mercredi à me gaver de sucre pour oublier les dernières 48h. En phase de régression totale, j’ai gobé des M & M’s par poignées, fait des bulles de chewing-gum, avalé l’intégralité des mousses au chocolat de mon fils. Une orgie de E171 : ce colorant, que Van Gogh utilisait pour préparer son blanc de titane…et qu’on retrouve désormais dans les confiseries, chewing-gums, sauces d’assaisonnement et autres plats préparés. Cancérigène, le dioxyde de titane ? D’après une étude de l’INRA (4), 40% des rats ayant reçu des nanoparticules de ce produit ont développé des lésions précancéreuses au niveau du côlon, en à peine 100 jours. Heureusement que je ne suis pas un rat, me suis-je dit – en avalant avec délice un dernier dragibus.
Ingrid Seyman
1. L’ARTAC est une association indépendante de médecins et de chercheurs, spécialisée dans l’étude biologique, thérapeutique et clinique des cancers qui promeut une prévention environnementale.
2. Le CIRC est une institution dépendante de l’Organisation Mondiale de la Santé chargée de promouvoir la collaboration internationale dans la recherche sur le cancer.
3. Environmental Working Group
4. Institut National de la Recherche Agronomique
RETROUVEZ LES AUTRES ÉPISODES DE « MA VIE SANS CANCÉROGÈNES »…
…Dans ma salle de bain
…Au quotidien