Aurélie* a été diagnostiquée d’un cancer colorectal en janvier 2018 : « Mon ventre avait commencé à faire des gargouillis depuis une manipulation par mon ostéo. Ça m’a alertée parce que les bruits n’étaient pas comme d’habitude : ils venaient du côté de mon abdomen et pas du centre. J’ai donc décidé de consulter un gastro-entérologue qui a demandé une biopsie après palpation. Quand il m’a annoncé que les résultats montraient des cellules dégénérées, j’étais paniquée. Pour moi c’était synonyme de cancer. Tout s’est écroulé autour de moi » se rappelle la cinquantenaire. L’opération est programmée rapidement : la tumeur mesure déjà 5 cm, les trois-quarts de son côlon seront retirés.
Le deuxième coup de bambou tombe avec l’analyse des ganglions : certains sont atteints, il faut donc recourir à la chimiothérapie. Ce sera le protocole Folfox : un mélange d’oxaliplatine, d’acide folinique et de 5-FU. « Ma chirurgienne m’avait préparée à cette éventualité alors j’ai dit : bah, on y va ! »
Le début du calvaire
Aurélie commence son traitement en mars 2018 : le début du calvaire. « Ils m’ont injecté la chimio puis m’ont renvoyé chez moi avec ma petite bouteille de 5-FU qui continuait à me perfuser. Dès que je suis sortie de l’hôpital, j’ai été saisie par le froid. J’étais pourtant habillée chaudement. Mon visage, mes mains me piquaient. Mon oncologue m’avait parlé des éventuels effets secondaires mais je ne pensais pas qu’ils apparaîtraient si vite. » Diarrhée, nausée, syndrome main-pied, la liste s’allonge au fur et à mesure que les heures passent.
« Je me sentais partir »
Quatorze jours plus tard, Aurélie revient à l’hôpital pour sa deuxième cure. « J’ai parlé de mes effets secondaires mais on m’a dit que c’était normal. » Prélèvement de sang pour vérifier globules blancs, globules rouges et plaquettes. Rien de plus. « Cette fois-ci les effets ont réapparu puissance 10 000. J’ai voulu aller aux toilettes, j’avais les jambes en coton, comme si j’avais bu. Quand j’ai voulu ouvrir la porte, ma main est restée collée à la poignée. C’était comme un aimant qui m’attrapait et me faisait mal. J’ai dû lutter pour retirer ma main. J’ai tout de suite averti les infirmières qui m’ont répondu : ah bah ça, c’est l’oxaliplatine !“ » Aurélie rentre chez elle : « J’étais allongée, j’avais les jambes comme paralysées, je me sentais partir. J’avais le nez qui saignait et les muqueuses, de la bouche à l’estomac, en charpie. Mes cheveux s’étaient mis à tomber alors qu’on m’a dit que j’allais les garder. Il y avait clairement quelque chose qui n’allait pas. J’étais faible mais tellement en colère que j’ai appelé l’hôpital. J’ai eu beaucoup de mal à avoir mon oncologue mais je suis tenace. Quand je l’ai finalement eue au bout du fil, j’ai explosé : “vous m’avez collé la chimio de quelqu’un d’autre, c’est pas possible !” » Devant l’insistance d’Aurélie, son oncologue lui demande de revenir faire une prise de sang. Nous sommes en avril. « Elle m’a dit qu’ils allaient envoyer mon sang à l’hôpital européen Georges-Pompidou pour faire un test qui permettrait d’affiner le dosage de ma chimio et qu’en attendant les résultats, ils allaient diviser par deux la dose de 5-FU. » À aucun moment on explique à Aurélie qu’elle est probablement en train de faire une réaction toxique au 5-FU et que ce test servira à déterminer si elle est déficiente en DPD (voir notre article “Le point sur les toxicités au 5-FU”).
Des recommandations non suivies
La suite est ubuesque. Aurélie retourne le lendemain à l’hôpital pour recevoir sa 3ème chimio et va directement voir les infirmières pour avoir les résultats de ses analyses. « D’un air complètement détaché, à la limite de la rigolade, elles m’ont dit : vous n’allez pas être contente, Pompidou n’a pas pu faire le test car nous avons congelé l’échantillon avant de le leur envoyer. » Rebelote, on recommence tout : prise de sang, envoi à “Pompidou” et, bien sûr, nouvelle cure de chimio. « En rentrant chez moi, je suis allée à la pharmacie. Elle est à 25 mètres mais ça me paraissait un kilomètre. Je voyais à peine la croix lumineuse. J’avais peur de me faire écraser par une voiture en traversant la rue. » Et puis les résultats tombent, enfin. Aurélie a une déficience partielle en DPD. Évidemment, pour Aurélie, c’est du chinois et son médecin ne l’aide pas à y voir plus clair. Alors, aidée de sa sœur, elle commence à faire des recherches sur internet. Elles tombent rapidement sur l’association de défense des victimes du 5-FU et la recommandation de l’ANSM1 pour un dépistage systématique des patients avant toute chimiothérapie à base de 5-FU. « La recommandation datait de février. Mon traitement a commencé en mars. Mon oncologue aurait donc dû me faire passer un test dès le début ! Quand je lui ai fait remarquer qu’il allait à l’encontre de la recommandation de l’ANSM, il a rétorqué que ce n’est pas parce que le ministère le recommande qu’il devait le faire. J’étais furax. Je lui ai lancé que j’espérais qu’il demanderait systématiquement un dépistage après ce qui m’était arrivé. Sa réponse a été sans ambiguïté : “non”. »
« Leur attitude est criminelle pour moi parce qu’ils savent qu’ils mettent nos vies en danger »
Son oncologue lui conseille de se trouver un autre médecin puisque, de toute évidence, elle ne lui faisait plus confiance. « J’ai eu l’impression d’être une cliente insatisfaite qui voulait retourner un produit défectueux. » Aurélie est “furax”. Elle se bat pour récupérer le résultat de ses analyses de déficience en DPD avant de changer d’établissement et sa pugnacité paie. « Ce qui est assez rare d’après ce que m’a dit Alain Rivoire2. La plupart des victimes ou familles de victime ne parviennent pas à récupérer le résultat de leur test… ou abandonnent simplement parce qu’ils en ont marre de se battre. » Aujourd’hui, elle veut que les choses changent. « Je parle du test de déficience en DPD partout autour de moi : aux patients qui attendent pour la chimio, aux infirmières que je croise dans les couloirs. Je me rends compte que les gens ne sont pas assez informés de ce problème. Même ma chirurgienne n’était pas au courant de la toxicité au 5-FU. Il faudrait que le test soit obligatoire… et que les oncologues qui ne le prescrivent pas rendent des comptes ! Leur attitude est criminelle pour moi parce qu’ils savent qu’ils mettent nos vies en danger. »
POUR EN SAVOIR PLUS : Retrouvez notre dossier complet sur les chimiothérapies à base de 5-FU ou de capécitabine ici.
Emilie Groyer
*Le prénom a été changé