ARNm. Cet acronyme (pour acide ribonucléique messager), inconnu il y a encore quelques mois, est aujourd’hui présent sur toutes les lèvres. Indissociable de la vaccination anti-Covid, il est synonyme d’efficacité et d’innocuité. Pourtant, lorsqu’il a surgi, l’ARNm a d’abord suscité quelques interrogations, voire quelques inquiétudes, du fait de sa nouveauté. Une nouveauté toute relative.
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Les vaccins à ARNm, une histoire qui a commencé en oncologie
L’intérêt des chercheurs pour les vaccins à ARNm remonte en effet à plus de 20 ans et il a commencé dans le domaine de l’oncologie. Cette approche suscitait alors beaucoup d’espoir. L’idée était d’utiliser le principe de la vaccination – entraîner le système immunitaire à reconnaître un agent pathogène en le mettant en contact avec une forme atténuée de celui-ci-, non pas à des fins préventives, mais à visée thérapeutique. Il s’agissait d’éduquer le système immunitaire à reconnaître la tumeur pour qu’il s’attaque à elle et la détruise.
Simple. Sur le papier. En pratique, les chercheurs ont été confrontés à un problème de taille : « Les vaccins à ARNm n’étaient pas très efficaces parce que l’ARNm se dégrade très vite. Ils sont dégradés par des enzymes, les RNases. Et quand on l’injecte dans l’organisme, il est reconnu par le système immunitaire qui le dégrade aussi. Le concept était séduisant mais ça ne marchait pas » reconnaît le Pr Eric Tartour, Chef du Service d’Immunologie Biologique à l’hôpital européen Georges Pompidou. Les vaccins à ARNm ont donc été abandonnés… Jusqu’à l’arrivée des vaccins à ARNm contre le Covid.
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Une question de timing
Pourquoi les vaccins contre le Covid ont réussi là où les vaccins contre le cancer avaient échoué ? Question de “timing”. « Juste avant la pandémie, des travaux ont montré qu’il était possible de stabiliser les ARNm en modifiant des nucléotides [composants de l’ARNm, NDLR]. Cela les rend moins reconnaissables par notre système immunitaire. On a aussi découvert qu’en les encapsulant dans des nanoparticules lipidiques, ils étaient protégés des RNases. Ces publications sont passées inaperçues. Jusqu’à ce qu’elles trouvent une application avec le Covid » explique le Pr Tartour.
« On note une augmentation importante des essais cliniques sur des vaccins ARNm anti-cancer »
Des avancées qui vont profiter à l’oncologie
Comme un juste retour des choses, l’efficacité des vaccins anti-Covid, pourrait bien bénéficier aux vaccins contre le cancer. “Les vaccins anti-Covid servent de tremplin aux vaccins anti-cancer. On note une augmentation importante des essais cliniques sur des vaccins ARNm anti-cancer avec une trentaine d’études en cours de phase 1 et 2” a remarqué le Pr Tartour qui travaille lui-même sur un vaccin thérapeutique contre les cancers liés aux papillomavirus (HPV). Les mélanomes, glioblastomes (tumeurs cérébrales) et leucémie myéloïde aigüe font aussi actuellement l’objet d’essais cliniques de phase 2.
Combiner la vaccinothérapie à l’immunothérapie pour plus d’efficacité
La vaccinothérapie présente toutefois des limites. « Les vaccins, lorsqu’ils sont utilisés seuls, se heurtent à des mécanismes d’échappement de la tumeur » confirme le Pr Tartour. Comment ? Certaines cellules tumorales possèdent une clé (le PDL1) capable de verrouiller un cadenas (le PD1) présent sur les cellules immunitaires et ainsi, de les “endormir”. Donc, même si la vaccination déclenche une réponse immunitaire, la tumeur pourrait y échapper.
La solution : combiner la vaccinothérapie à l’immunothérapie. L’immunothérapie – qui utilise notamment des anticorps dirigés contre la clé, PD1, ou le cadenas, PDL1 (lire notre article “Immunothérapie : le point sur les anticorps anti-PD1 et PDL1) -, permet justement de bloquer les mécanismes impliqués dans la mise en sommeil de nos défenses immunitaires par la cellule tumorale. « Des études dans les cancers ORL1 ou du col de l’utérus2 ont montré par exemple que la combinaison d’une immunothérapie et d’une vaccinothérapie permet de réduire le volume de la tumeur chez respectivement 30% et 42% des malades traités. C’est deux fois plus que ceux de chacun des traitements pris séparément ! » s’enthousiasme le Pr Tartour.
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Lutter contre les mécanismes de résistances
L’immunothérapie potentialiserait donc l’effet de la vaccinothérapie. La réciproque serait également vraie. Parce que, s’il existe des mécanismes qui permettent à la tumeur d’échapper à la réponse immunitaire déclenchée par la vaccination, d’autres lui permettent également d’échapper à l’immunothérapie. « Ces mécanismes de résistances “épuisent” les cellules immunitaires qui expriment le PD1 et font que l’immunothérapie anti-PD1 ne fonctionne plus » explique l’immunologiste. La vaccination, en déclenchant la production de cellules immunitaires “toutes fraîches”, permettrait de renouveler les cellules immunitaires épuisées. Rendant l’immunothérapie de nouveau efficace.
Potentialiser l’effet de traitements existants
La vaccinothérapie serait également capable de potentialiser l’effet d’un autre traitement innovant : les CAR-T cells. Pour rappel, cette technique consiste à prélever des cellules du système immunitaire du patient, de les modifier en laboratoire pour les entraîner à reconnaître la tumeur, avant de les réinjecter au patient. « Le problème des CAR-T cells c’est qu’elles ont tendance à disparaître après l’injection » explique le Pr Tartour. Pour qu’elles se maintiennent dans l’organisme, il faut qu’elles soient stimulées par la cible tumorale contre laquelle on les a entraînées. « Et la tumeur n’est pas un bon stimulus », précise le Pr Tartour. En revanche, une étude a montré qu’un vaccin à ARNm, en produisant la cible contre laquelle les CAR-T cells ont été entraînées, pourrait jouer ce rôle. « Il permettrait de faire persister les CAR-T cells plus longtemps et d’obtenir une efficacité thérapeutique plus grande. »
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Des cibles à trouver
Tout n’est pourtant pas joué. Reste un obstacle à surmonter avant que la vaccinothérapie ne trouve sa place en oncologie : trouver une cible contre laquelle entraîner nos défenses immunitaires. Une cible qui soit, si possible, exprimée uniquement par les cellules tumorales – ou, tout du moins, plus fortement exprimée par celles-ci – pour éviter que la réponse immunitaire déclenchée par le vaccin ne s’attaque à des cellules saines.
Pour certains cancers, ces cibles sont plus “facilement” identifiables. C’est le cas notamment des cancers liés aux papillomavirus (HPV). Les cellules tumorales étant infectées par un HPV, elles présentent à leur surface des fragments du virus qui peuvent servir de cible spécifique au vaccin. Comme c’est le cas des vaccins contre le Covid. C’est le cas également pour les cancers du poumon liés au tabac ou les mélanomes liés au soleil. Parce qu’ils sont causés par des agents mutagènes, leurs cellules tumorales sont mutées. Elles expriment donc des protéines altérées qui peuvent servir de cible. En revanche, pour d’autres cancers, comme le cancer du sein, la mise en évidence de ces cibles sera moins évidente. Il faut espérer que l’ARNm, de part sa facilité de production, accélèrera ces phases de recherche.
Lutter contre les mécanismes de résistance, potentialiser les effets de traitements innovants existants, multiplier les cibles…, la vaccinothérapie représente un nouvel espoir pour les malades de cancer. La crise aura donc, malgré tout, eu du bon.
Emilie Groyer