Typhaine Soldé est une étoile. Brillante, montante, au firmament de l’athlétisme tricolore. Championne handisport du saut en longueur (appareillée de membre inférieur) pour les moins de 20 ans, elle fait partie des jeunes à haut potentiel de la Fédération française handisport (FFH). Et devrait porter les couleurs de la France aux prochains Jeux paralympiques, à Paris, en 20241. Son prénom a la même racine grecque qu’épiphanie, qui signifie « révélation, évidence ». Il n’y a pas de hasard… C’est à la suite de sa rencontre, en 2016, avec Marie-Amélie Le Fur, huit fois médaillée des Jeux paralympiques, et amputée tibiale comme elle, que Typhaine a eu une intuition fulgurante : elle allait faire de la course à pied. « Après mon amputation, je jouais comme gardienne de but en handball valide. Mais j’avais envie de courir, de me défouler. Lors d’une journée organisée par un fabricant de prothèses orthopédiques, j’ai pu tester une lame d’athlétisme et, forte des encouragements de Marie-Amélie et d’un coach, je me suis lancée », se souvient-elle.
LIRE AUSSI : Handicap et cancer : la double peine
Elle quitte Bourg-Lévêque pour Tours, et son collège pour entrer au Pôle espoirs athlétisme handisport (PEAH) et suivre une scolarité en section sport-étude. Si elle arrive tardivement dans l’athlétisme, elle se fait vite repérer. « Sans ce cancer, elle n’aurait probablement pas eu besoin de laisser s’exprimer ses jambes », analyse Wilfried Krantz, référent national des sauts d’athlétisme à la FFH. « Elle court et elle saute pour se prouver à chaque fois que c’est possible, alors que cela aurait pu ne jamais être le cas. » Typhaine a 19 ans cette année. C’est une survivante qui a dû affronter un sarcome d’Ewing à l’âge de 11 ans. Elle y a laissé son insouciance, un pied, et une partie de sa jambe droite. La maladie et ses conséquences l’ont forcée à explorer et à repousser les limites de son corps, et à le maîtriser. Cela lui donne un potentiel « plus marqué que la moyenne », estime le Dr Vincent Detaille, médecin référent pour l’équipe de France d’athlétisme handisport, et lui forge un mental de championne.
« J’ai juste tout fait pour m’en sortir, rester en vie. Sans réflechir » – Typhaine
Aux racines de sa ténacité, on retrouve Céline, sa maman. Quand le diagnostic du cancer de sa fille est tombé, en 2013, « tout s’est effondré, rapporte-t-elle. Et puis on est passées en mode guerrières ». Cette aide-soignante prend alors un congé sans solde à durée indéterminée et confie le petit frère de Typhaine, Gayan, alors âgé de deux ans et demi, à leur père, qui se charge de faire bouillir la marmite familiale pendant que son épouse reste au chevet de leur fille. De chimios en opérations (une dizaine), la mère est là, tout le temps, aux côtés de sa petite, pendant un an et demi. « Je ne pleurais jamais devant elle, mais c’était dur », confie-t-elle. « Les garçons venaient passer le week-end à l’hôpital avec nous. Je ne me suis jamais dit qu’on allait perdre la bataille. Nous, le crabe, on le mange à Noël ! » plaisante-t-elle aussi. Ce qui l’épate chez sa fille ? Sa niaque. Et sa maturité. Si elle se donne le droit de souffler, de sortir avec ses copains, Typhaine reste sage : « Il y a toujours une petite voix qui me dit : “Tu es une athlète de haut niveau, demain il y a entraînement”. »
En terminale, au lycée Choiseul, à Tours, avec un emploi du temps adapté sur deux ans comprenant douze heures de sport par semaine, cette fan de la série Esprits criminels se destine à des études de psycho–criminologie. Elle sait que dans ce domaine, en France, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Mais elle n’est plus à un défi près. La crise du Covid en a été un autre, dont elle s’est servie pour se recentrer sur ses objectifs sportifs. Résultat, en février 2021, elle est revenue première de sa catégorie du Grand Prix international de Dubaï, avec un clinquant 4,84 m en saut en longueur, pulvérisant son propre record de 4,57 m ! Gagner les Jeux en 2024 est déjà dans sa ligne de mire. « Mes jeux ! Je vais gravir la première marche », dit-elle tranquillement. Rose Magazine est allé à la rencontre de cette jeune femme qui embrasse son passé de malade pour se bâtir un destin, son destin, qui doit l’emmener plus loin, plus haut, plus vite…
Rose Magazine : Comment a-t-on détecté votre sarcome ?
Typhaine S. : Je pratiquais le judo et je me faisais souvent des « bobos », comme tous les enfants. Quand j’ai vu mon pied droit enfler, on a tardé à croire que cela pouvait être grave. Au début de 2013, un bilan sanguin a fini par révéler que j’avais un ostéosarcome, très agressif, mais sans lien avec une mutation génétique. Il fallait un plan de bataille immédiat. On m’a emmenée au centre de cancérologie du CHU d’Angers…
Comment avez-vous vécu cette entrée dans un monde si éloigné de celui de l’enfance ?
J’ai vu des enfants chauves, maigres, branchés à des machines…et je ne comprenais pas ce que je faisais là. On m’a expliqué que j’allais perdre mes cheveux, que j’allais rester très longtemps à l’hôpital… Je posais beaucoup de questions. Je voulais qu’on ne me cache rien. Mon oncologue pédiatrique, le Dr Stéphanie Proust, a été géniale avec moi sur toute la ligne. J’ai affronté plus de six mois de chimiothérapie avant ma première opération. J’ai détesté perdre mes cheveux, que j’avais longs jusqu’aux fesses. J’ai fini par les couper toute seule ! Besoin que cela vienne de moi, pas envie de subir. Puis, au début de novembre 2013, le Pr Antoine Hamel m’a opérée pour enlever la tumeur et toutes les cellules cancéreuses. Mais, après huit heures de bloc, il me restait encore 1 mm de tumeur, et les orteils étaient déjà attaqués. On m’a encore charcutée au cours des deux semaines suivantes, en vain.
Jusqu’à la terrible décision de l’amputation. Vous n’aviez que 11 ans, quel souvenir gardez-vous de ce moment ?
Un mercredi soir, on m’a annoncé qu’il fallait m’amputer, sans quoi mon pronostic vital se réduirait à quelques mois, même avec un nouveau traitement. La chimio d’adulte que l’on m’avait administrée, expérimentale au niveau européen, m’avait déjà causé plusieurs hémorragies. Mon corps n’allait certainement plus la supporter, moi non plus. J’ai eu droit à une nuit de réflexion, forcément blanche, avec mon père et ma mère. Jusqu’au matin à 6 heures, je pensais refuser. Puis, j’ai cédé. Un saut dans l’inconnu, avec l’idée qu’une jambe en moins, comparée à la mort, ce n’était « rien ». J’ai été opérée le vendredi 13 décembre 2013. Je ne suis pas superstitieuse, mais cette date n’est plus anodine pour moi.
L’après a-t-il été difficile à gérer ?
Je cumulais les contraintes, celles de patiente en rémission et celles de jeune handicapée en rééducation. Je n’arrivais pas à m’adapter à ce nouveau corps. à vivre ma vie. J’étais aussi en colère contre la nouvelle chimio de six mois qu’on m’avait prescrite. Un énième traitement alors que j’estimais avoir payé le prix de ma guérison avec l’amputation. Les deux premières années, les examens, tous les deux à trois mois, m’ont minée. Un rappel que j’étais en sursis pendant cinq ans. J’ai fini par me dire que, ayant vécu ça une fois, et n’en étant pas morte, je pourrais le vivre deux fois [rires]. « Il » ne m’aurait pas !
Comment vivez-vous votre corps aujourd’hui ?
Déjà, il m’a épatée par sa résilience. Je suis en parfaite santé. Mais je ne laisse plus traîner les symptômes alarmants. Quand, en janvier 2021, à l’apparition d’une masse sur le pied, on m’a conseillé d’attendre malgré mes antécédents parce que les cas de Covid étaient prioritaires, j’étais furax. Finalement, j’ai pu compter sur l’aide des soignants, en qui j’ai confiance, et j’ai été prise en charge immédiatement. Heureusement, ce n’était qu’une masse graisseuse.
À vous entendre, on a l’impression que vous n’avez jamais de coup de mou…
Les premières années, j’ai fait semblant d’aller bien. Et j’ai d’abord refusé d’aller en rééducation. Dans le centre, j’étais la seule enfant, et la seule handicapée de mon entourage. Je me suis renfermée sur moi-même, jusqu’au jour où j’ai explosé. Dépression. Je n’acceptais pas mon handicap, ma prothèse. Je voulais faire plein de choses, mais j’en étais empêchée. Maigre, avec une jambe en moins et une prothèse pas très belle, je subissais des moqueries au collège. Je n’avais pas les bons contacts pour m’aider à vivre mon handicap. Retour, donc, à la case hôpital, avec un suivi psy cette fois. C’était deux ans après mon cancer. En 2016, mon déclic pour l’athlétisme a tout changé.
Votre handicap doit intriguer, comment assumez–vous la curiosité des autres ?
Les personnes qui me demandent ce qui m’est arrivé sont toujours un peu mal à l’aise de poser la question. Et, quand je réponds que j’ai eu un cancer du pied, j’entends en général : « Ça existe, ça ? » Alors j’explique ! Tant que j’apprends des choses aux autres, sur les solutions possibles au cas où cela leur arriverait, je suis ravie. Les gens sont aussi impressionnés par ma « double casquette » de handicapée et de sportive de haut niveau. On me jette des fleurs, on me dit que j’ai un courage de ouf ! Moi, j’estime que j’ai juste tout fait pour m’en sortir, pour rester en vie. Sans réfléchir.
MINIBIO
2002 : Naissance le 8 mai, à Cluses (Haute-Savoie).
2019 : Premiers championnats du monde, en novembre, à Dubaï.
2021 : En juin, elle passe son bac STSS (sciences et technologies de la santé et du social).
Photo de Pierre-Emmanuel Rastoin
- Les Jeux Paralympiques de Tokyo ont lieu du 24 août au 5 septembre 2021.
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 20, p. 10)