Le chemofog, c’est quoi ?
Dr Jean Petrucci : De nombreux patients touchés par le cancer expriment des troubles de concentration, de mémorisation, ou le sentiment d’avoir plus de difficulté à s’organiser, à travailler vite voire à trouver leurs mots, voire un sentiment diffus d’avoir la tête dans le brouillard.
Documentés depuis les années 1990 aux États-Unis, ces phénomènes suscitent encore de nombreuses interrogations. Les chercheurs peinent notamment à leur attribuer une cause unique. Des travaux menés dans les pays anglo-saxons ont toutefois conduit à suspecter rapidement les substances utilisées lors des chimiothérapies, de fait capables de franchir la barrière protégeant normalement le cerveau des intrusions. C’est ainsi qu’a été forgé le terme de chemofog. Reste que des patients n’ayant pas reçu de traitement par chimiothérapie se plaignent aussi de troubles similaires.
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Le cancer lui-même, mais aussi la fatigue, l’anxiété voire la dépression associée à la maladie et le choc que représente l’annonce pourraient également être impliqués. Il est d’autre part probable que la douleur et l’altération de la qualité du sommeil accentuent les problèmes d’attention. Je participe pour ma part à un protocole de recherche visant à mieux connaître le sujet en suivant des patients pendant plusieurs années.
Pourquoi est-il si difficile de faire reconnaître que l’on souffre de ces troubles ?
La recherche sur le sujet a été plus tardive en France, et peu de documentation, professionnelle ou grand public, existe. Certains professionnels de santé se montrent dubitatifs, ou minimisent ce problème auquel leur formation ne les a pas sensibilisés.
Une gêne réelle, contre laquelle des solutions existent
De plus, les tests neuropsychologiques existants ne permettent pas de mettre ces troubles en évidence : les patients n’ont pas une performance significativement altérée à ces évaluations mesurant l’efficacité pour différentes taches cognitives. En revanche, certaines expériences ont en fait montré que pour la réalisation d’une même tâche, les patientes recevant une chimiothérapie mobilisent plus de ressources au niveau cérébral. Cela pourrait expliquer l’écart entre les performances observées – au final, la tâche est accomplie avec succès – et le ressenti de la personne, qui a l’impression d’une difficulté qu’elle ne rencontrait pas auparavant. Quoi qu’il en soit, une plainte de cette nature n’est jamais neutre. Elle doit être entendue, et des solutions doivent être recherchées.
Que peut-on faire ?
D’abord, et même si c’est difficile à entendre, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure. Certaines patientes se demandent si elles sont en train de devenir folles, ou si leur gêne risque de dégénérer en pathologie neurodégénérative. Or ces difficultés, aussi gênantes soient-elles, restent toujours d’une intensité modérée, très éloignée de la démence. De plus, elles ne s’aggravent pas avec le temps et disparaissent le plus souvent quelques mois après la fin de la chimiothérapie.
Ensuite, il faut apprendre à accepter la situation, ce qui, je le reconnais volontiers, est plus facile à dire qu’à faire. Pourtant, prendre acte de ce qui se produit, et par suite apprendre à faire avec… fait bel et bien partie de la solution.
Différentes mesures d’hygiène de vie, comme le fait de prendre soin de son alimentation et de son sommeil et de pratiquer régulièrement une activité physique ont également un impact net sur la cognition, mis en évidence dans un nombre de plus en plus important d’études scientifiques. La méditation de pleine conscience ou mindfulness, permet aussi souvent d’améliorer la concentration. Certaines patientes n’accrochent pas, ou n’en voient pas le bénéfice, mais cela fonctionne pour d’autres. Pour cette approche comme pour les autres, je recommande le pragmatisme : cela vaut la peine d’essayer, quitte à laisser tomber en l’absence de résultats probants.
Enfin, la stimulation intellectuelle permet de limiter les troubles ou leur retentissement. Il s’agit non seulement d’adapter son environnement et ses habitudes pour se faciliter la vie (éliminer les causes de distraction, toujours ranger les choses au même endroit, faire des listes, adopter des méthodes de mémorisations…) mais aussi de collecter des informations sur ces troubles et les solutions existantes – comme vous le faites en lisant cet article- et enfin de réaliser différents exercices pour entrainer les fonctions déficitaires.
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C’est ce que je propose dans le cadre d’une série de 6 à 8 séances de deux heures en petits groupes au sein de la Maison Rose, à Paris. Peu d’équivalents existent malheureusement ailleurs en France, mais demander à être reçu dans le cadre d’une consultation spécialisée en neurologie à l’hôpital ou d’une consultation mémoire peut vous permettre de trouver des solutions adaptées près de chez vous.
EN VIDÉO :
Retrouvez l’intégralité du webinaire animé par le neuropsychologue Jean Petrucci (et bien d’autres) sur notre chaîne YouTube.