L’envie de soigner les autres vous est venue à quel âge ?
Abigaël : Mes parents accueillaient des enfants de la DDASS que je considérais comme mes frères – j’en avais déjà trois – et sœurs. Cela m’a donné l’envie dès l’âge de 11 ans de devenir pédo-psychiatre, pour aider les enfants en difficulté. C’est durant mes études que j’ai bifurqué et choisi la médecine d’urgence.
Aïcha : Je viens d’une famille où on compte beaucoup de médecins et depuis ma plus tendre enfance, j’ai voulu le devenir moi-même…
Amandine : Moi aussi, très jeune, j’ai su que je ferai un métier tourné vers le soin. Tout d’abord, j’ai voulu devenir infirmière comme ma mère, puis kiné et ostéopathe. Au final, je suis devenue pédicure-podologue, spécialité qui me plait car je passe beaucoup de temps avec mes patients.
Le chant, la musique ont-ils toujours fait partie de votre vie ?
Aïcha : Chez moi, nous écoutions beaucoup de musique, du classique à la soul music… Mon père avait monté avec ses frères un groupe très inspiré des Jackson Five, et moi je chantonnais tout le temps mais uniquement à la maison. J’adorais la variété française. Ma famille n’en pouvait plus de m’entendre chanter inlassablement Elle, tu l’aimes d’Hélène Ségara !
Abigaël : Mes parents n’étaient pas musiciens mais ils m’ont mise au piano dès l’âge de 5 ans. J’ai fait un parcours musique-études jusqu’au bac et le Conservatoire classique. J’ai tout arrêté en entrant en fac. C’est à ce moment-là que je me suis aussi ouverte à d’autres univers musicaux, la R&B, la Soul, le jazz… Finalement, j’ai rejoint une chorale Gospel.
Et vous Amandine, le chant, vous vous y êtes mise à quel moment ?
Amandine : J’ai toujours chantonné, mais pour moi. Et puis, il y a dix ans, j’ai intégré une chorale gospel. Un défi que j’ai lancé à la fille très timide, introvertie, que j’étais depuis toujours. C’est là que j’ai eu un véritable coup de foudre pour la scène.
Premier album des Soignantes, Les voix du Cœur est sorti le 15 décembre 2023. Y figurent des reprises anglo-saxonnes et françaises dont Unstoppable de Sia – le titre qui a révélé l’incroyable trio- mais également des chansons inédites. Une partie des bénéfices des ventes sera reversée au programme d’Humanisation des soins de la Fondation de France. Elles seront sur la scène de l’Alhambra à Paris, le 23 mars 2024.
Aïcha, vous chantez littéralement au lit de vos patientes, au bloc opératoire, comment vous est venue cette idée ?
Aïcha : Pendant mon internat, j’ai été confrontée à une patiente trop agitée pour être endormie. J’ai alors proposé, comme on peut le faire avec les enfants, de chanter pour la calmer. Cela a fonctionné. Pour l’équipe, ça tenait du miracle ! À partir de là, on m’a souvent demandé de chanter au moment des anesthésies. Face à des patients détendus, les équipes constataient qu’ils avaient besoin de moins de produits anesthésiants et que leur réveil était meilleur. J’ai aussi chanté en salle de naissance pendant des accouchements difficiles. Aujourd’hui je suis spécialisée en onco-gynécologie. Les patientes les plus anxieuses, je les cerne dès le rendez-vous pré-opératoire. C’est principalement pour elles que je chante au bloc.
Et vous, Amandine, Abigaël, le chant fait-il aussi partie de votre pratique médicale ?
Amandine : Quand j’exerce en Ehpad, oui ! J’utilise la musique et le chant notamment avec mes patients atteints d’Alzheimer. C’est un moyen d’amener de la joie, de la légèreté et de l’apaisement dans le soin. Pour eux, et pour moi aussi !
Abigaël : Le contexte des urgences ne s’y prête pas forcément. Au bout de plusieurs heures d’attente, les gens ont surtout envie d’être soignés plutôt que d’entendre un gospel ! Mais grâce aux Soignantes, je vois combien le compagnonnage médecine et musique touchent les gens. Je réfléchis donc à ce qu’il serait possible de mettre en place.
Qui a eu l’idée de créer un trio ?
Amandine : C’est grâce à un homme, un soignant-cinéaste : Loïc Manwel. Lors de la première vague du Covid-19, il était infirmier dans un Ehpad. Durant cette période, les équipes se battaient avec force et empathie et avec très peu de moyens ! Pour apaiser les patients isolés, privés des visites de leur famille, et parfois même pour les accompagner jusqu’à leur dernier souffle, les soignants n’avaient que la musique et le chant. Bouleversé par leur humanité et leur poésie, Loïc a fait un court métrage. De fil en aiguille, l’idée de faire un album pour rendre hommage à la cause des soignants a germé et il a organisé un casting dans toute la France.
Et c’est là que vous vous êtes rencontrées ?
Amandine : Loïc m’a rencontrée en premier, puis Abigaël puis Aïcha. Il nous a choisies pour enregistrer un single, Unstoppable de Sia, mais sans nous réunir. Nous avons enregistré nos voix chacune séparément. Ce n’est que pour le tournage du clip, en avril 2023, que nous nous sommes rencontrées et que nous avons pour la première fois chanté ensemble. Immédiatement, tout a été naturel, fluide et puissant.
Participer à l’émission La France a un incroyable talent, c’était un rêve ?
Abigaël : c’est notre producteur qui nous l’a demandé. On a toutes été réticentes d’abord. Personnellement, je ne voyais pas vraiment où était notre place dans un télé-crochet. Être candidate pour être jugée, ça me posait vraiment un problème, j’ai passé l’âge !
Aicha : Avant l’aventure de notre trio, j’avais déjà été sollicitée pour faire l’émission. J’avais refusé, n’y voyant pas ma place en solo. En revanche, y participer avec Les Soignantes faisait sens. C’était l’opportunité de montrer à la France entière qui étaient les soignants, qu’humanité et empathie étaient au centre de leurs préoccupations et que, majoritairement, ils avaient à cœur de trouver des solutions pour améliorer le quotidien et la qualité de soin des patients… Faire l’émission, c’était une incroyable opportunité non pas de nous montrer, mais de montrer à la France entière ce qu’il y a derrière les blouses blanches.
Depuis votre première audition le 31 octobre 2023, qu’est-ce qui a changé autour de vous ?
Amandine : Mon entourage est fier. Ma mère et mon frère, qui sont plutôt avares de compliments à mon égard, me manifestent un certain respect.
Abigael : Mon fils, préadolescent, m’a écrit récemment une carte bouleversante où il me remerciait pour tout ce que je faisais pour lui, pour les soignants et pour les patients. C’est important pour moi de lui montrer que c’est possible de vivre son engagement, ses passions, sans s’oublier.
Aïcha : Ce qui change ? C’est que je ne suis plus la seule à décider si je dois chanter… Il y a maintenant des personnes qui viennent à moi spécialement pour ça ! Si avant, je chantais pour 50% de mes patientes, désormais c’est quasiment pour 95% d’entre elles…
Imaginons… vous passez en finale et, le 22 décembre, vous remportez le titre d’Incroyable talent. Est-ce que vous seriez prêtes à choisir entre chanter et soigner ?
Abigaël : Que l’on remporte ou pas la finale, il va de toute façon falloir défendre notre album, partir en tournée et faire des concerts. Mais tout ça, encore une fois, c’est une chance inespérée de porter notre projet qui mêle soin et musique, et de potentiellement générer des initiatives dans les hôpitaux.
Amandine : C’est effectivement une opportunité magnifique qui nous est donnée…
Aïcha : En tant que soignantes-artistes, nous sommes prêtes à réduire l’exercice de notre pratique pour nous mettre au service de la cause des soignants, mais seulement temporairement. Pas question d’abandonner la médecine !
Propos recueillis par Frédérique Odasso