Face aux cancers, osons la vie !


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Transport sanitaire : une mission qui a du sens

{{ config.mag.article.published }} 21 août 2023

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Illustration : Sabrina Chess

VSL ou taxis conventionnés, ils transportent et accompagnent les patientes au fil des jours et de leur parcours. En cela, ils font partie du processus de soin. D’un trajet à l’autre, un lien de confiance se crée, parfois très fort… En voiture !

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Ils s’appellent Yacine, Aurélien, Isabelle ou encore Bernard. Ils vivent en région parisienne, en Aquitaine, dans le Nord, et ils assurent, chaque jour, le transport sanitaire de personnes malades. En France, près de 37 000 taxis conventionnés1 et 14 000 véhicules sanitaires légers1 (VSL) font ce travail, peu visible mais essentiel. Leur service, accordé sur prescription médicale, peut être requis pour quelques jours ou pour quelques mois, voire pour plusieurs années. Les principaux bénéficiaires en sont des personnes en ALD (affection longue durée), souvent des hommes ou des femmes touchés par un cancer, qui ont besoin de ce service pour se rendre à leurs consultations médicales, passer des examens, suivre leur traitement.

C’est le cas de Véronique F. Soignée depuis cinq ans pour un cancer du sein métastatique, elle se rend régulièrement de son domicile, dans l’Oise, à l’hôpital, à Paris, en Mercedes noire. Comme une VIP. La confortable berline appartient à Yacine. Au fil du temps et des kilomètres, une relation très complice, presque filiale, s’est nouée entre eux, facilitée au départ par un même penchant pour… les plaisirs gourmands. « Nous en avons partagé, des bonnes adresses ; et dégusté, des croissants chauds ! s’amuse la sexagénaire. Yacine a presque la moitié de mon âge, mais on s’est bien trouvés. » « Ça n’est pas le cas avec tout le monde, mais c’est vrai qu’avec Véronique c’est chouette ! » confirme le jeune homme de 33 ans. Chauffeur de taxi conventionné, basé à Marly-la- Ville, dans le Val-d’Oise, il a déjà plus de dix ans d’expérience dans le transport sanitaire. Un métier qu’il a choisi, et qu’il exerce avec passion. « On ne s’ennuie jamais… et ce sont souvent des courses extraordinaires », glisse-t-il, du soleil dans la voix.

Humour…

Dans le transport sanitaire, il n’y a pas la pression du compteur, le temps est comme suspendu. Une alchimie particulière se crée alors naturellement. Aurore, une Lyonnaise aujourd’hui en rémission d’un cancer du sein triple négatif, se souvient des jours où elle allait à reculons à ses séances de chimio. « Je me disais : “Oh ! non, pas l’hôpital…” Puis Aurélien arrivait au volant de son Audi blanche. Un géant originaire du Cameroun, toujours de bonne humeur, décontracté, même dans les bouchons ! Dans la seconde, ma journée était illuminée. » Carine, elle, ne voit pas passer les deux heures de trajet qu’elle effectue chaque semaine avec Bertrand pour aller et revenir de ses chimios. « C’est le VSL le plus attentionné, bienveillant, baroudeur et rigolo de l’Aquitaine ! Grâce à lui, je pense un peu moins à ce qui m’attend. Je m’évade… » « Les personnes qui vivent la maladie cancéreuse ont besoin de légèreté », estime Yacine. Mais pas tout le temps. Si l’humour est souvent un atout, il faut savoir aussi le doser ou tout simplement s’en passer… en fonction de l’humeur du moment. « Quand j’étais patraque, en larmes parfois, Aurélien savait garder le silence, mais il était là, bien présent pour moi, souligne Aurore. Il a été une des clés de ma guérison… » « J’écoute ce que la personne peut ou veut me dire », explique ce dernier. Aurélien a 53 ans, et cela fait dix-huit ans qu’il sillonne les routes de la région lyonnaise au volant de son VSL. Une longue expérience qui a aiguisé son intuition et sa capacité d’écoute. Deux atouts maîtres pour comprendre rapidement où il met les pieds et éviter les questions superflues, les maladresses. Pour gérer les situations délicates, il suffit souvent de peu. Les jours où il savait le moral de Véronique F. en berne, Yacine l’attendait avec un café et un petit gâteau.

Et intuition

Parfois, pour dénouer l’angoisse, apaiser, détendre, il faut juste laisser la magie de la musique opérer. Et mettre la pédale douce : « Pas besoin de rajouter de la tension », insiste Aurélien. Chauffeur de VSL dans la Marne pendant plus de quinze ans, aujourd’hui à la retraite, Bernard résume : « Comprendre la douleur, c’est savoir se faire discret. » L’expérience aidant, il avait fini par ne plus demander à ses passagères : « Comment allez-vous ? », préférant la formule plus empathique : « Comment vous sentez-vous ? » Véronique B. appréciait beaucoup son approche. Aujourd’hui guérie de son cancer, elle se souvient de ces moments où, « dans le dur », elle se sentait libre d’être elle-même, de se laisser aller, sans avoir à composer, sans peur du jugement : « Je pouvais pleurer ou éclater de rire… me taire ou m’épancher, et dire des choses que même à mes proches je n’aurais pas dites ! Parfois, Bernard changeait d’itinéraire, histoire de casser le quotidien et de me faire découvrir de nouveaux paysages, de m’aérer l’esprit. » « Nous conduisons les patientes, certes, mais on ne fait pas que les “transporter” ! On les accompagne, on les soutient. Nous participons à notre manière à la chaîne du soin », avance le retraité.

BON À SAVOIR

Le bon de transport par VSL ou taxi conventionné s’obtient par prescription rédigée par le médecin. Il précise notamment le lieu et la date de l’examen. Le médecin le remet au patient, qui le transmet à l’entreprise de transport. La course sera réglée par l’Assurance maladie-maladie. Il n’y a donc pas d’avance de frais, ni de reste à charge pour les patients.

En première ligne pendant le COVID-19

Si la preuve doit être donnée de la dimension du care2 dans leur mission, il suffit de se reporter à la pandémie de Covid-19. À l’heure où le pays vivait au ralenti, quand il n’était pas à l’arrêt, eux ont continué de rouler pour les malades. Dans l’indifférence générale, il faut bien le dire. À 20 heures, chaque soir, au moment où les Français à leur fenêtre applaudissaient les médecins ou les infirmières, qui pensait à eux ? Pourtant, ils faisaient aussi partie des travailleurs de première ligne. Maillon élémentaire entre le domicile des patients et les centres hospitaliers, ils ont continué d’avaler des kilomètres, ne comptant pas les heures à attendre aux portes des établissements de soins parce que les accès aux services et aux salles d’attente étaient interdits aux accompagnants.

« Aurélien a été une des clés de ma guérison« 

Durant cette période, Catherine a dû faire plusieurs fois la route de Dieppe au centre oncologique de Boulogne- Billancourt (92), où elle était suivie pour une récidive de son cancer du sein : deux heures quinze de trajet, à l’aller comme au retour, dans le taxi d’Isabelle. Elle n’a que reconnaissance pour sa conductrice, dont elle loue encore la bienveillance et l’immense patience alors qu’elle l’attendait immanquablement dans le hall. Seule, calme. « Personne ne l’a jamais entendue râler. Et sa présence, dans cet univers quelque peu hostile et déshumanisé, m’a été précieuse… » Aurélien, lui, est encore marqué par la peur permanente qui l’habitait d’être contaminé et plus encore de contaminer les personnes dont il avait la charge, en particulier celles fragilisées par les traitements et la maladie. « Il a fallu en prendre, des précautions ! Sans cesse laver nos mains, désinfecter notre véhicule, nous faire vacciner, tester… » Des dispositions nécessaires, mais qui ajoutaient de l’anxiété, et plus encore chez ses passagers. Pendant deux ans, il n’a jamais quitté le masque, tout comme Yacine : « Avec les patients, on s’est beaucoup parlé avec les yeux. C’était particulier… »

Le besoin de se sentir utile

À l’école des chauffeurs, ils n’avaient certainement pas été préparés à affronter une telle situation ! Il a fallu s’adapter. Vite. Et apprendre en chemin… Un classique dans ce métier où il n’existe aucun manuel détaillant les règles du savoir-être, de l’intelligence émotionnelle, ou les bases de la psychologie et comment les appliquer derrière son volant. La formation pour devenir taxi conventionné1 (c’est-à-dire agréé et certifié par l’Assurance-maladie) et celle de conducteur de VSL1 diffèrent sensiblement, mais les deux exigent d’avoir le permis depuis au moins trois ans, un casier judiciaire vierge, un certificat médical d’aptitude, évidemment de maîtriser la manutention de son véhicule, de connaître et respecter de strictes règles d’hygiène, et d’être formé aux gestes d’urgence. Pour un taxi, obtenir l’agrément peut représenter un complément de revenu. Incitatif, mais pas une motivation suffisante pour faire carrière. Ce qui anime tous les chauffeurs que nous avons interrogés, c’est en général le besoin de se sentir utile et, plus que tout, le goût des autres.

REPÈRES

4,3 milliards d’euros, c’est le coût de la prise en charge des transports sanitaires pour l’Assurance-maladie en 2020
82,7 % des dépenses de transport remboursées bénéficient à des patients en affection longue durée (ALD)
Source : Assemblée nationale, Rapport d’information sur les transports sanitaires, février 2022

 

Des émotions en continu

Ce job est pour Aurélien un moyen de « s’enrichir humainement ». Des centaines de personnes se sont assises sur la banquette arrière de son Audi, chacune avec son histoire, son caractère, sa vision des choses et du monde. « Apprendre des autres m’a permis de devenir meilleur », juge-t-il. C’est en les écoutant qu’il a appris à évaluer le poids des mots, et à désamorcer la charge des plus lourds, ceux qui disent le stress, la souffrance ou la colère. Bernard abonde : « Rien qu’à la façon dont notre passager dit bonjour, on sait où il en est. »

« J’ai l’impression alors de faire un peu partie de la famille… »

Yacine ne connaissait rien à la médecine, et rien au cancer quand il a débuté. Aujourd’hui, il sait reconnaître la fatigue des chimios, si spécifique, il sait aussi quel genre d’angoisse étreint ceux à qui l’on demande d’aller faire des examens complémentaires… Cela lui a permis de développer une sensibilité et une délicatesse qui ont largement contribué à créer la confiance qui le lie aujourd’hui à Véronique F. Si bien que les fois où ce n’est pas lui qui vient la chercher, celle-ci est très déçue. « Il est plus qu’un chauffeur, confie-t-elle. C’est un chauffeur ami. » « La reconnaissance que je lis dans le regard des personnes que je transporte nourrit mon engagement tous les jours ! » s’enthousiasme le jeune homme. Parfois, il est convié à célébrer la meilleure nouvelle qui soit : une guérison. « J’ai l’impression alors de faire un peu partie de la famille… » Bien sûr, tout n’est pas toujours rose. Un jour, dans le rétroviseur, un visage n’apparaît plus. Il se peut que cela soit temporaire, que l’état de la personne nécessite une hospitalisation, puis que les courses reprennent. Mais, parfois, c’est le signe que la maladie a gagné. « Apprendre la disparition de quelqu’un qu’on a accompagné est un moment toujours difficile », rapporte Aurélien. Pour évacuer sa tristesse et recharger ses batteries, il fait du sport et pratique le jardinage.

Dans ce boulot, mieux vaut ne pas avoir peur de vivre en continu avec les émotions. Elles sont en général intenses, c’est ce qui fait la beauté du métier. Et la difficulté de le quitter quand vient l’heure de passer la main. À Montmirail dans la Marne, où il coule une retraite tranquille, Bernard ne peut s’empêcher de ranimer la flamme de ses souvenirs en prenant le café avec ses anciens collègues. Parfois, il croise en ville Véronique B. Ils reprennent alors le fil de leur conversation, comme avant, quand il la conduisait à l’hôpital. Même facilité, même joie à parler de tout et de rien. Et à la fin, chaque fois, il lui dit qu’il est heureux de la voir sourire.

Bernadette Fabregas Gonguet avec Sandrine Mouchet

1. Le taxi conventionné a une formation de taxi et a obtenu l’agrément de l’Assurance-maladie pour le transport des malades. Le chauffeur de VSL (véhicule sanitaire léger) a une formation d’auxiliaire ambulancier.

2. Notion anglo-saxonne, le « care » met en avant la dimension relationnelle du soin

Retrouvez cet article dans Rose magazine (Numéro 24, p.62)


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Bernadette Fabregas Gonguet

Infirmière dans une première vie, elle est devenue journaliste spécialisée en santé dans les années 1990 et collabore régulièrement à la revue Santé mentale, consacrée aux soignants en psychiatrie. Depuis 2021, elle met sa plume empathique au service de notre rubrique « C’est ma vie », dans laquelle elle rapporte la parole de nos lectrices et chronique «leurs mille et unes façons, souvent créatives, de faire face à la maladie ».

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