Confortablement installée dans sa chambre, Sandrine décroche son téléphone. Il est 17 heures et elle a un rendez-vous téléphonique avec Laurie, sa psychologue. « Ce matin, j’étais en larmes, raconte-t-elle. Je sais qu’elle va me rebooster. » Atteinte d’un cancer du sein métastatique depuis 2010, cette mère de deux garçons alterne périodes de rémission et rechutes. Quand la psychiatre qui la suivait dans un cabinet de ville a pris sa retraite, Sandrine a cherché quelqu’un d’autre. « J’habite près de Romans et, avec les traitements et la fatigue, je n’avais plus le courage de prendre ma voiture pour aller jusqu’à Marseille. Heureusement, l’infirmière d’accueil de ma clinique m’a parlé de l’association Ilhup1, qui propose des séances téléphoniques gratuites avec une psychologue. Je n’ai pas hésité : quand l’énergie arrive au compte-gouttes, ne pas avoir le stress du déplacement, de devoir trouver une place pour se garer, attendre… permet de se concentrer sur l’essentiel : la guérison. Pour moi, c’est aussi efficace, voire davantage, qu’une thérapie en face à face parce que ce n’est pas le moyen de communication qui importe, mais la qualité de l’échange. Je lui confie des choses dont je ne peux parler à personne et elle m’apprend à vivre l’instant présent, à moins me projeter. Cela m’apaise énormément. »
Sandrine fait partie de ces patients de l’ombre (on ignore leur nombre) qui ont choisi d’être suivis à distance par un psychologue via Skype, téléphone, chat ou e-mail. Obtenir des réponses rapides à ses questionnements, chercher du soutien, soulager une angoisse n’importe quand, n’importe où, « tels sont les objectifs de l’e-thérapie, qui se développe depuis dix ans au Canada et aux États-Unis, explique Élyane Vignau, rédactrice en chef web de Psychologies magazine. Cet engouement répond à un changement de mentalité et à de nouveaux besoins. Les patients ont moins envie de s’engager dans une cure analytique qui va durer trois à cinq ans, peut-être plus. Ils recherchent un service et une solution immédiate. C’est ce que proposent les thérapies cognitives et comportementales ».
Moindre coût
« Sans ces nouveaux outils, bon nombre de personnes n’auraient jamais consulté, constate Audrey Ginisty, psychologue à Toulouse et auteure du blog lapsyquiparle.fr. Isolés affectivement ou géographiquement, fatigués, malades ou simplement trop timides pour affronter un face-à-face, ils n’auraient jamais franchi la porte d’un cabinet réel. Grâce à Skype, par exemple, ils vont droit au but et sont proactifs. » « Même si ces séances ne permettent pas une plongée dans l’inconscient, elles peuvent aider les patients à trouver des moyens et des ressources pour s’adapter à la situation, dépasser une peur de la récidive potentiellement invalidante, se relancer dans des projets et se reconstruire », précise Elvira Pourrat, psychologue à Paris. La jeune femme, qui consulte à domicile via le Réseau de santé Paris Ouest2, est en train de créer un site de téléconsultations spécialisé : Onco Praxis.
« Avec les traitements et la fatigue, je n’avais plus le courage de prendre la voiture »
Karine Kraeuter, elle, a déjà franchi le pas avec e-psy-cancerologie.fr. Après avoir pratiqué, pendant vingt ans, l’onco-psychologie à l’AP-HP, elle propose désormais des téléconsultations aux patients et à leurs proches depuis son cabinet de Bordeaux. Selon elle, être formée à la psycho-oncologie est un plus pour répondre « de manière plus pointue aux problématiques spécifiques de la maladie et de ses effets secondaires, et au sentiment d’incertitude qu’elle engendre ». Elle constate que les patients préfèrent ce mode de suivi pour de multiples raisons : « Plus grande sérénité (certains malades ont la boule au ventre à l’idée de venir consulter à l’hôpital), souplesse des horaires, plus grande disponibilité, confort – ils peuvent appeler en pyjama depuis leur lit –, confidentialité, moindre coût (30 euros la consultation)… Et comme la première séance est gratuite et sans engagement, ils osent davantage “tester” pour trouver celui ou celle avec qui l’alliance thérapeutique se créera. » Si l’on peut s’attendre à un soulagement avec une consultation de 45 minutes à une heure, il faut plutôt compter trois ou quatre séances pour retrouver un certain équilibre.
Toucher impossible…
Mais que peut-on vraiment attendre de ces thérapies à distance ? Pour en avoir une idée, la Société internationale pour la santé mentale en ligne (ISMHO), aux États-Unis, a mis en place, depuis 1999, un groupe d’experts chargés d’analyser des cas cliniques traités par une thérapie en ligne. Certaines études montrent qu’elles sont parfois plus efficaces que des thérapies classiques, notamment pour les troubles dépressifs3 (voir encadré). Les patients se montreraient plus honnêtes, plus ouverts et plus expressifs que lors d’une rencontre en face à face, qui nécessite « souvent un temps d’approche pendant lequel patient et thérapeute s’apprivoisent », souligne Audrey Ginesty.
Rien de nouveau finalement quand on sait qu’en son temps Sigmund Freud menait certaines de ses analyses par échange de courrier ! Seule contrainte, selon Fabienne Kraemer : « Si un patient craque, l’e-thérapie empêche de le toucher, ce qui s’avère parfois utile. à nous de réussir à être suffisamment soutenant et rassurant malgré la distance, en trouvant d’autres façons d’être présent et en offrant un cadre immuable. » En effet, « pour être de qualité, la thérapie en ligne a besoin d’un protocole aussi rigoureux que la thérapie en cabinet », insiste Florence Barruel, onco-psychologue à l’hôpital de Montfermeil. Les mêmes repères doivent donc être posés : repères spatiaux et temporels, accord financier et confidentialité. Afin de poser un cadre aux thérapies en ligne, l’ISMHO a dressé un certain nombre de recommandations pour les thérapeutes. Elle déconseille de prendre en charge les personnes souffrant de troubles sévères (hallucinations, délire) ou ayant besoin d’un traitement psychiatrique, ainsi que celles qui présentent un risque suicidaire, la difficulté étant parfois d’apprécier ce risque à travers un écran ou au téléphone…
Plus nuancée, le Dr Sarah Dauchy, présidente de la Société française de psycho-oncologie, reconnaît l’utilité des e-thérapie « quand elles permettent de poursuivre à distance une thérapie déjà engagée mais rendue difficile par l’éloignement. En revanche, si c’est la seule façon de suivre un patient, il me semble que cela diminue potentiellement l’efficacité de la thérapie car il est beaucoup plus difficile de vraiment s’engager émotionnellement et cognitivement avec quelqu’un qu’on ne voit pas, ou avec lequel on ne partage pas un espace et un temps communs. Reste l’idée d’un accès en urgence mais, là encore, je ne suis pas convaincue. Soit un patient présente une vraie urgence psychiatrique et il lui faut un thérapeute médical et des soins. Soit il présente le besoin “ressenti” d’un contact rapide et je ne pense pas qu’il soit indispensable, ni même plus efficace, d’y répondre à la seconde. à Gustave-Roussy, nous recevons chaque jour une dizaine de patients en urgence – pour des situations nécessitant en effet une consultation rapide, comme une annonce de récidive ou de fin de vie – et quand, nous avons au téléphone des personnes qui ne peuvent pas attendre, nous avons toujours la possibilité de donner des rendez-vous sous 24 ou 48 heures. »
LA DÉPRESSION E-RADIQUÉE ?
Des chercheurs ont étudié 62 personnes dépressives. Pendant huit semaines, toutes ont suivi une thérapie comportementale et cognitive. La moitié d’entre elles s’entretenait une heure par semaine en tête à tête avec un psy qui leur donnait en plus des exercices à faire chez elles. L’autre moitié bénéficiait d’une « e-thérapie ». Sur six thérapeutes, cinq ont traité des patients en ligne et en entretien. Résultat : aucune différence notable entre les deux méthodes. Et tous les patients étaient globalement satisfaits.
À l’issue des huit semaines, la dépression n’était plus diagnostiquée dans 53 % des cas traités par Internet, et dans 50 % des cas traités via une méthode classique. De plus, trois mois après l’expérience, les chercheurs se sont rendu compte que les effets de l’e-thérapie duraient plus longtemps. Les personnes ayant reçu ce type de thérapie continuaient d’aller mieux : 57 % n’étaient plus diagnostiquées dépressives, contre 42 % dans l’autre groupe. Les chercheurs pensent que les thérapies sur Internet sollicitent davantage l’autoresponsabilité, ce qui aiderait le patient à mieux gérer sa dépression sur le long terme.
1. « Internet-based versus face-to-face cognitive-behavioral intervention for depression », op. cit.
COMBIEN ÇA COÛTE ?
Oscillant entre 40 et 70 euros, le tarif d’une consultation chez un psychologue constitue parfois un frein pour les patients. Il arrive que certaines mutuelles en prennent une partie en charge. Mais en général seules les consultations chez les psychiatres sont remboursées (sauf dépassement d’honoraire). L’expérience pilote menée dans quatre départements (Morbihan, Bouches-du-Rhône, Landes et Haute-Garonne) pourrait toutefois changer la donne.
Six séances chez un psychologue libéral agréé par la Sécurité sociale y sont remboursées. Objectif : améliorer la prise en charge des malades et faire baisser les prescriptions d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.
1. Intervenants libéraux et hospitaliers unis pour le patient (reseauilhup.com). Financée par l’ARS Paca, cette offre d’accompagnement psychologique extrahospitalière gratuite par téléphone est la seule en France pour le moment.
2. Regroupant des professionnels des soins palliatifs, de la cancérologie et de la gérontologie.
3. « Internet-based versus face-to-face cognitive-behavioral intervention for depression: A randomized controlled non-inferiority trial », B. Wagner et A. Maercker, Journal of affective disorders, janvier 2014.
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 15, p. 86)