Avec Nathalie, nous nous sommes aimés pendant près de vingt-cinq ans, avec des pauses et des rebonds. Commencée en 1993, notre idylle ne résiste pas à la complexité de nos vies professionnelles d’alors. Séparés d’un commun accord, nous nous retrouvons dix ans plus tard, à Paris, avant de décider d’emménager à Bordeaux. Nous sommes faits pour être ensemble, c’est une évidence, et la naissance de notre première fille, en 2005, scelle pour moi notre lien. Aussi, quand Nathalie me demande en mariage, je botte en touche. D’abord, parce que j’ai déjà connu le mariage et qu’il s’est soldé par un divorce. Puis, un enfant n’est-il pas la plus belle preuve d’amour ? Notre deuxième fille arrive en 2008, la vie familiale s’installe, le bonheur avec. L’idée de passer devant le maire ressurgit… Cette fois, c’est moi qui y pense. En 2010, je pose la question à Nathalie. C’est elle qui refuse. Décidément !
Ce oui, nous nous le devons
Le temps passe, rien à signaler, jusqu’à un premier coup de semonce. En 2012, Nathalie a 42 ans, et on lui diagnostique une polyarthrite rhumatoïde. Elle souffre, et nous avec. Ce n’est que le début. Cinq ans plus tard, le cancer s’invite dans son corps et notre vie. Le pronostic est sombre. L’hôpital devient une seconde maison. Radiothérapie, chimiothérapie, chirurgie… Rien n’est plus comme avant. En famille, on se soutient, on s’arme, on se bat, on espère. Face à l’adversité, la question du mariage nous occupe à nouveau, comme une nécessité. Seulement, le médical prend trop de place. Pour la troisième fois, la question reste en suspens… Malgré une lutte acharnée contre la maladie, Nathalie décède le 14 septembre 2018 sans que nous ayons pu échanger ce oui qui nous brûlait les lèvres. Dès le lendemain, je ressens le besoin viscéral de rattraper le temps perdu, de réparer nos actes manqués. Je sais que je ne peux pas remonter le temps, mais je sais aussi que, entre Nathalie et moi, ça ne peut pas se terminer ainsi. On s’aimait et on se le disait tous les jours. Ce oui que nous n’avons pas pu nous dire à cause du cancer, nous nous le devons. C’est décidé, je l’épouserai. Oui, mais comment faire ? Le mariage posthume1 est-il possible ?
J’enquête, et je découvre que cette procédure est autorisée en cas de « motifs graves », et en prouvant l’existence d’une « volonté matrimoniale non équivoque » de la personne décédée. Le processus est complexe, les décisions favorables sont rares. Et, in fine, c’est le président de la République qui est le seul à pouvoir autoriser, par décret, la célébration de ce mariage
Une procédure sans affect
Je suis gonflé à bloc. En novembre 2018, je dépose mon dossier au tribunal de grande instance de Bordeaux accompagné de ma lettre circonstanciée attestant du sérieux et de l’authenticité de ma demande au président de la République. S’ensuivent quatre années où l’administration souffle le chaud et le froid. Il faut faire face au procureur, à la cour, au garde des Sceaux, à la présidence de la République… La procédure est sans affect. Il faut recueillir des preuves, beaucoup de preuves, attestant d’un désir de mariage partagé, enrichir le dossier encore et encore. Les délais s’allongent. La pandémie de Covid-19 n’arrange rien.
J’essuie deux refus, mais je ne lâche pas. Quand je commence à faiblir, j’ai la sensation que Nathalie me guide. Le 28 mars 2022, comme par miracle, le président dit oui ! Oui, Nathalie va enfin devenir officiellement mon épouse ; et moi, son mari. Le 27 juillet 2022, c’est à la mairie de Vichy qu’a été célébrée notre union, devant notre famille, nos amis. Une cérémonie simple, mais chargée d’une grande émotion. L’aboutissement d’un combat dont il n’y a qu’un vainqueur : l’amour.
Illustration : Alice Dès
1. Le mariage posthume est propre au droit français. Il existe en vertu d’une loi créée le 17 mars 1803, dont la dernière version date de 2011.
Retrouvez cet article dans Rose magazine (Numéro 24, p.148)