« Catherine, j’ai un cancer du sein, il faut me le retirer », m’annonce ma mère au téléphone. Le choc. Les jours suivants, je suis à la médiathèque, à dévorer dans un état second tout ce que je trouve sur le sujet. En lisant que « tout écoulement ou saignement au niveau du mamelon peut être le signe de la présence d’une tumeur », mon sang ne fait qu’un tour. C’est exactement ce que j’observe depuis quelques mois sur mon sein gauche. La ronde des médecins commence. Gynécologue, dermatologue, un, deux, trois généralistes… On me dit que je m’inquiète trop, « rapport à votre maman, c’est normal, ça secoue ». Quand je finis par exiger une mammographie, tout s’enchaîne brusquement. On me parle de « microcalcification ». Le mot résonne. Maman l’a prononcé aussi. On est en 2011, j’ai 45 ans, ma mère 71. Elle se remet à peine de sa mastectomie quand je lui dis que mon tour est venu. Après un court silence, ses mots jaillissent du téléphone : « On va se battre pour deux ! » Tout ce qu’elle traversera, je le traverserai à mon tour. Elle à Toulon, moi à Toulouse, et à deux mois d’intervalle.
Juste avant qu’on me retire mon sein, je passe la voir. Elle cherche une perruque. Je l’accompagne pour en acheter une. Nos regards se croisent dans le miroir… je sens que je ne vais pas la perdre. Retour à Toulouse pour ma mastectomie. Dans le couloir qui mène au bloc, la main de Fred, mon mari, serre très fort la mienne. Treize ans plus tôt, jour pour jour, je tendais pour la première fois mon sein à notre fils, Pablo, qui venait au monde.
« On va se battre pour deux ! »
Au moment où je sors de l’hôpital, ma mère fait sa première séance de chimiothérapie. Elle l’a bien vécue. Ouf ! Moi, j’ai rendez-vous avec mon chirurgien. Il m’annonce que les ganglions sont touchés. On doit sortir l’artillerie lourde. Chimiothérapie, radiothérapie… comme maman. Même sein, même cancer, et presque même protocole, c’est irréel. Si nous allons beaucoup parler, échanger pendant cette drôle de période, elle ne modifiera pas l’essence de notre relation. On n’a jamais été dans le schéma de la mère et la fille « copines », encore moins fusionnelles. Pas du tout le genre de la maison ! Ma mère, pharmacienne et du signe de la Balance, est d’une nature stable, posée, peu encline aux débordements sentimentaux.
Elle a tenu son rôle, jusqu’à s’oublier elle-même
L’été 2011 sera ponctué par nos séances de chimio à l’une et à l’autre. Moi, je redoutais ce traitement avant même d’être malade. Et l’imaginer, elle, plutôt frêle, affronter cette chose me terrifiait encore plus. Mais, quand je lui ai demandé comment s’était passée sa première chimio, elle m’a simplement dit : « ça va plutôt bien. » Et, effectivement, elle a passé cette épreuve haut la main. Mes enfants, Pablo, Tiphaine et Corentin, sont allés passer une semaine avec elle et papa. À leur retour, Corentin m’a dit : « Mamie, elle va bien. On dirait même pas qu’elle a le cancer ! Enfin, juste un peu… » Les voir si sereins et déjà initiés aux cheveux qui tombent, aux nausées, m’a retiré un énorme poids. Ma mère a tout testé, prédigéré pour moi. Ma seule fierté ? Lui avoir fait découvrir le qi gong. Minuscule contribution ! Tout le reste est venu d’elle. Elle m’a décrypté le jargon médical, enseigné ses petits secrets pour contrer certains effets secondaires. Elle m’a ouvert la voie comme un guide. Toujours debout dans la tourmente, quand moi j’étais parfois sur le flanc. Elle n’a jamais failli à son rôle de mère qui protège, qui soutient les siens, qui soutient sa fille jusqu’à s’oublier elle-même.
Je l’ai admirée, tellement admirée durant toute cette histoire. Je ne pensais pas pouvoir lui rendre tout ce qu’elle m’a donné, mais en écrivant – sur les conseils d’une psy – un journal de ma maladie j’ai pris conscience que je tenais là une occasion. J’en ai fait un livre, Nos deux seins, publié en 2016 à compte d’auteur. Je le lui ai offert pour la fête des mères. Y sont déposées noir sur blanc toutes les émotions qui m’ont traversée, et ma reconnaissance et mon amour pour ma mère y transpirent. Le « cadeau » l’a touchée en plein cœur, même si elle n’aime pas y figurer comme une héroïne. Au bout du compte ? Cela n’a pas vraiment changé notre relation. Elle reste ma mère, toujours aussi pudique, et moi sa fille… qui n’a désormais plus peur de dire les choses.
INFO+
Si vous souhaitez recevoir le récit Nos deux seins, écrivez à : catherine.menguy@free.fr
Illustration de Yasmina Gateau
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 19, p. 150)