Un bouquet de coquelicots bien rouges, dont les pétales géométriques s’envolent au vent… en octobre 2016, Hélène (44 ans) a participé, comme huit autres femmes, à l’opération Rose Tattoo de la Maison Rose, à Bordeaux : « C’était une grande première pour la plupart d’entre nous. Mais ce qui m’a vraiment surprise, c’est qu’on a toutes choisi des motifs végétaux : des branches, des feuilles, des fleurs de lotus ou de cerisier… Sans se concerter, on est toutes parties sur la même idée, celle d’une renaissance. Chez moi, le coquelicot s’est imposé car lorsque le printemps revient c’est lui qui ramène la vie et la couleur dans les champs. » Catherine (42 ans) a préféré une branche de magnolia, un motif monumental tout en nuances de rose qui remonte le long de sa cuisse et jusqu’à sa poitrine.
« Après ma double mastectomie, en octobre 2013, je ne supportais plus ce corps couvert de cicatrices. J’avais besoin de renaître. » C’est Belly Button, son tatoueur, lui a suggéré l’idée du magnolia : « Cette branche qui pousse sur son corps, c’est une allégorie de son retour à la vie ! » Autant de désirs qui ne surprennent pas Gustave-Nicolas Fischer, psychologue de la santé et auteur de Psychologie du cancer (Odile Jacob) : « Il ne faut pas oublier que le cancer détruit. Dans cette optique, se faire tatouer un motif oral est un acte fort : c’est comme si on inscrivait la vie elle-même dans son corps, pour que celui-ci renaisse après l’épreuve. En s’autorisant à repartir de l’avant, on se fait une fleur… ».
« Se faire tatouer un motif floral, c’est s’autoriser à repartir de l’avant, se faire une fleur… »
C’est aussi comme ça que Sophie (57 ans) a vécu son premier tatouage sur la jambe, réalisé quinze jours avant son ablation mammaire : « J’ai choisi des fleurs de lotus parce qu’elles poussent dans la vase et s’élèvent ensuite très haut. Une image forte à mes yeux. Comme le lotus, moi aussi je voulais tendre vers la lumière après mon opération. »
Affirmation féminine
« Le motif floral renvoie aussi à la féminité », ajoute Élise Müller, auteur d’Une anthropologie du tatouage contemporain (L’Harmattan). De nombreuses tatouées y recourent pour mettre en avant leur beauté, leur sensualité et leur séduction », ces attributs tellement mis à mal par le cancer, spécialement celui du sein. « C’est justement autour de cette notion que j’ai voulu travailler, explique Alexandra, tatoueuse à Sanguinet (40) et bénévole pour l’opération Rose Tattoo en octobre 2016. Je voulais que les participantes se sentent pleinement femmes grâce à leur tatouage. Or les fleurs, les pétales sont des motifs ronds et fournis, qui peuvent rappeler le sein disparu, le reconstruire artistiquement. » L’artiste aime dessiner des hibiscus, des pivoines, des roses, qu’elle orne ensuite de dentelle et de bijoux.
« Lorsqu’il est utilisé comme une affirmation de sa propre féminité, le tatouage est une vraie force », reconnaît Gustave-Nicolas Fischer.
Sophie le confirme : « J’ai toujours été très coquette. Aujourd’hui, outre mes lotus, je porte aussi une branche de fleurs de cerisier qui court de mon dos jusqu’à mon sein opéré. Grâce à mes fleurs, je me sens bien dans ma peau, je me trouve belle et sensuelle. Ça me fait du bien. » Chez Catherine, l’imposante branche de magnolia remplit même une fonction plus importante : « Maintenant, lorsque je vais me doucher, je suis capable de regarder mon reflet et dans le miroir. » Féminité et renaissance donc. Mais pas seulement. « Chacune ajoute au motif sa propre intention, en fonction de son histoire et de sa personnalité », explique Élise Müller.
Vie éphémère…
Hélène, par exemple, n’a pas uniquement associé son bouquet de coquelicots à la notion de renouveau : « Quand je partais travailler, j’en voyais plein sur le bord de la route. C’est une fleur rebelle, impossible à cultiver dans un jardin. Elle est indomptable ! » Quant aux lotus de Sophie, ils revêtent une dimension quasi sacrée : « Je fais du yoga, alors pour moi, ils évoquent le bouddhisme. Je me suis dit qu’ils m’aideraient à traverser cette épreuve avec sérénité. ».
Laurence (48 ans) donne elle aussi une interprétation très personnelle de sa guirlande de fleurs de tiaré, réalisée pour masquer les cicatrices de sa mastectomie préventive : « Bien sûr, c’est avant tout le symbole de ma reconstruction, mais j’y vois aussi du mouvement, comme la vie qui ne s’arrête jamais. ».
« Un beau tatouage est plus bénéfique qu’une mauvaise thérapie »
Plus surprenant, certains motifs évoquent la mort. « Je vais bientôt me faire tatouer une guerrière entourée de coquelicots, indique ainsi Catherine. D’après la symbolique des fleurs, le coquelicot est lié à la mort. Ça ne me dérange pas : c’est comme si je commençais une nouvelle vie ! » « Se faire tatouer une fleur, dont la durée de vie est courte, c’est prendre conscience du caractère fragile et éphémère de l’existence et conjurer sa peur de la mort, confirme Gustave-Nicolas Fischer. Lorsqu’on a subi une grave maladie, c’est thérapeutique. »
« Un beau tatouage est plus bénéfique qu’une mauvaise thérapie », soutient justement Belly Button. Vraiment ? Gustave-Nicolas Fischer est évidemment moins catégorique. « Après un cancer, on a besoin d’établir une nouvelle relation avec son corps, son identité. Il ne suffit pas d’aimer son tatouage, de décorer l’extérieur de son corps. Il faut également réapprendre à vivre avec son ‘‘soi’’ intérieur, transformé par la maladie. » Une renaissance qui a parfois besoin d’un « tuteur » professionnel.