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À lire. Tahar Ben Jelloun se confie sur son cancer dans son livre l’Ablation

{{ config.mag.article.published }} 8 novembre 2016

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Le cancer de la prostate, Tahar Ben Jelloun l’a vécu. Sur un mode bénin, précise-t-il. Échographie, biopsie, IRM et au final un résultat qui inquiète le Pr François Desgrandchamps, chef du service d’urologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. La maladie prise à temps, l’écrivain n’a pas à subir l’ablation de la prostate.

Par la suite, les deux hommes deviennent amis. Le médecin l’incite à écrire sur ce sujet, parce que le cancer reste un véritable tabou. Le livre relate la maladie dans ses moindres détails, même les plus rudes, des épisodes médicaux à l’effroi psychologique, à la peur de la mort, en particulier. Pour nombre de patients, ce récit sonne juste.

Quel regard portiez-vous sur le cancer avant d’écrire ce livre ?

Tahar Ben Jelloun. Comme tout le monde, je me disais : ça n’arrive qu’aux autres. Puis j’ai été sensibilisé car plusieurs de mes amis ont dû affronter la maladie. Et, à mon tour, je suis passé par cette épreuve.

Pourquoi avoir écrit cette histoire ?

Un écrivain est toujours en quête de sujets qui le touchent. J’ai voulu partager mon expérience pour rendre service aux hommes qui subissent l’ablation et à leurs proches, qui sont désarçonnés. J’ai essayé d’écrire un récit qui parle à un large public, afin qu’on sorte enfin du silence et de la fausse pudeur que chacun cultive à l’égard du cancer.

Qui est le personnage central du récit ?

Mon rapport personnel au cancer ne méritait pas un livre, contrairement à l’histoire de mon personnage, qui vit une véritable ablation avec toutes les conséquences que cela comporte. Je me suis inspiré de plusieurs cas observés des jours durant à l’hôpital Saint-Louis. Si les personnages sont imaginaires et que le récit est en partie inventé, l’essentiel se base sur mon travail d’enquête. Je n’évoque que des faits réels. Le Pr Desgrandchamps a relu le texte avant publication pour qu’il n’y ait aucune erreur scientifique.

Pourquoi avoir choisi ce titre violent ? 

Parce que c’est une situation violente. L’ablation est une amputation physique qui vise à éradiquer la maladie quand elle atteint un niveau élevé de gravité. L’opération a des conséquences énormes peu enviables, notamment en matière de sexualité. C’est d’ailleurs pour ça que des hommes ont peur de lire le livre.

Face à une situation comme celle-là, tout le monde ne réagit pas de la même manière. Le livre est prescrit par certains urologues à leurs patients parce que l’histoire les prépare à l’épreuve qui les attend.

Malgré les avancées de la médecine et des traitements toujours plus efficaces, le cancer continue d’être l’objet de fantasmes.

C’est normal que les gens aient peur. La mort, ce n’est pas un simple arrêt du cœur, c’est aussi la maladie. À partir du moment où elle s’installe, cela amorce la fin dans la tête d’un malade et, quand le diagnostic est pessimiste, la question de la survie se pose.

Heureusement, on peut s’en sortir. Mais on craint le handicap, une vie imparfaite due à la perte de ses capacités. Dans le cas de la prostate, la première chose à laquelle pensent les hommes, c’est la sexualité.

Justement, vous en parlez sans détours.

Oui. Romain Gary décrivait son problème d’impuissance de manière très elliptique dans Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable. Et Franz-Olivier Giesbert, dans son livre Un très grand amour (Gallimard), noyait lui aussi cette question cruciale dans la romance.

Moi, j’ai choisi de tout dire de manière directe pour en finir avec le tabou. Le cancer de la prostate fait peser un risque d’impuissance provoqué soit par un traumatisme psychologique, soit par l’ablation. Cette situation angoisse les hommes. D’ailleurs, si certains n’ont pas envie de lire mon livre, c’est aussi parce qu’ils ont peur de se trouver un jour confrontés à ce problème. L’ablation est une épreuve très dure. Je conseille aux patients de suivre une psychothérapie.

Vous dites que les femmes lisent plus volontiers le livre que les hommes.

Oui. Elles sont indirectement concernées et veulent savoir ce qui se passe. Elles s’inquiètent et consultent parfois en cachette de leur conjoint pour mieux comprendre la situation.

La plupart des hommes tentent de camoufler la vérité. Et pour cause : j’en ai connu qui ont été quittés par leur femme après l’ablation, parce qu’ils ne pourraient plus avoir d’érection. Ce n’est bien sûr pas systématique, mais ça existe.

Vous parlez aussi du regard que les autres portent sur les malades.

Oui. J’insiste beaucoup sur le fait que le cancer n’est pas contagieux. Ce n’est ni la tuberculose, ni le sida. Ça ne s’attrape pas ! Mais, malgré cela, certaines personnes, effrayées, préfèrent détourner leur regard de la personne touchée… On ne fait pas suffisamment de pédagogie pour dédramatiser la maladie. À partir de 60 ans, pourtant, 7 hommes sur 10 ont un problème de prostate, le plus souvent bénin.

Certes, le cancer de la prostate est le premier des cancers masculins, mais c’est aussi celui qui se soigne le mieux. Pour apprendre à vivre mieux avec, il faut regarder les choses en face et ne pas se complaire dans le déni. Des amis qui ont lu le livre sont allés consulter dès le lendemain.

Dans quel but attirer autant l’attention sur l’aspect prévention ?

Je suis un adepte du dépistage. Certains hommes se contentent de faire une analyse sanguine pour vérifier leur taux de PSA. Or, le PSA n’est pas fiable, c’est seulement un indicateur. On peut vivre avec un taux faible alors que le cancer avance. Si on a le moindre doute, il faut accompagner l’examen d’un toucher rectal ou d’une biopsie. ν

L’Ablation – « Folio », Gallimard – 6,50 € 

Mini bio

–  1er décembre 1944 Naissance à Fès (Maroc).

– 1975  obtention d’ un doctorat de psychiatrie sociale à Paris.

– 1985 Publication de L’Enfant de sable (Seuil), roman qui le rendra célèbre.

– 1987 Son roman La Nuit sacrée (Seuil) reçoit le prix Goncourt. 

–  2014  Publication de L’Ablation (Gallimard).

Yves Deloison


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