… Günther
En tant que dessinatrice, j’appréhende tout ce qui m’arrive via l’image, le visuel. Mais, face au cancer, j’étais dans le flou. Je ne voyais pas comment dompter ce truc sans corps… J’ai donc eu besoin de lui en donner un. M’est alors apparu un petit bonhomme dodu, vert, petit, ridicule. Exactement tel qu’il est dans ma BD, La Guerre des tétons*. M’en moquer ainsi m’a permis de dédramatiser la maladie. Je l’ai appelé Gunther et j’en ai fait un dompteur de cirque qui parle allemand, parce que c’est dans cette langue qu’on mate les bêtes féroces…
Lili
*La Guerre des tétons, éd Michel Lafon. Un second tome est prévu pour octobre 2015.
… Le coucou
Quand on m’a dit que j’avais une tumeur dans les intestins depuis cinq ans, ça m’a épouvantée. Comment ce parasite avait-il pu se nourrir de moi pendant tout ce temps, à mon insu? Pour ne pas sombrer dans le désespoir, j’ai eu besoin de le nommer et de le visualiser. J’ai pensé naturellement à un coucou. Un mot plutôt mignon qui a deux avantages: il évacue le côté morbide associé au cancer et il fait moins peur aux gens. L’opération a permis de le chasser, la chimio de tuer ses œufs. Je sais qu’il peut revenir, mais je l’attends au coin du bois !
Christine
… Nick
Une fois mon cancer du sein diagnostiqué, il a fallu faire vite. Vite m’opérer, vite la chimio… Je ne savais plus où j’en étais et j’avais peur. Pour arrêter de tout subir, j’ai listé et hiérarchisé mes angoisses et mes objectifs dans un fichier que j’ai baptisé… « Nique le cancer ». De là, j’ai vite fini par appeler mon cancer « Nick ». En lui donnant une identité, je le concrétisais. Il entrait dans la réalité, ma réalité. Ça m’a énormément soulagée de penser que, si j’allais en prendre plein la figure durant les traitements, Nick morflerait aussi !
Corinne
… Mon fantôme
Pour moi, « cancer« , c’était l’autre mot pour dire « mort ». Et ça, je le refusais. Très vite, j’ai donc choisi d’en parler comme de « mon fantôme« , parce qu’un fantôme n’est rien. C’est juste du vide sous un drap blanc. Cela m’a aidée à rentrer dans la bataille et à tout supporter sur le chemin. Mes proches ont respecté mon choix et, dans nos conversations, il n’a plus jamais été question que de « mon fantôme ». Dès la fin des traitements, pof! il a disparu. Depuis, plus rien ne vient hanter mes nuits. »
Lydie
… Le dragon
C’est un cancer du sein très agressif, m’a dit le médecin… Je me suis alors sentie toute petite face à une menace énorme. Immédiatement, j’ai eu la vision d’un monstre qui consume tout: un dragon. Comment le terrasser? Comme saint Michel dans le célèbre tableau de Raphaël. Pour moi, c’est le symbole de l’Homme qui gagne sur les puissances des Ténèbres, et donc sur la mort. Cette image m’a accompagnée tout au long de mon parcours. Aujourd’hui, je ne suis pas sûre de l’avoir tué, mon dragon, mais il s’est enfui. Et j’espère qu’il ne reviendra pas…
Léna
… Christian
Au début, quand je disais « cancer« , j’avais l’impression que c’était quelqu’un d’autre que moi qui parlait. Pour affronter le truc, j’ai donc eu besoin de le personnifier. Et je l’ai appelé Christian, du nom de mon premier patron, qui m’avait pourri la vie il y a vingt ans. À cette époque, je jouais beaucoup au jeu vidéo Street Fighter. Durant les traitements, je me suis donc imaginée en « fighteuse » de compétition, mettant mon cancer « game over » en envoyant bouler son avatar, l’infâme Christian. Un kif, même après toutes ces années !
Stéfanie
… L’agent Smith
J’ai un cancer des ovaires. Depuis deux ans, je me bats contre des métastases qui apparaissent, disparaissent, réapparaissent… me laissant l’impression que la maladie évolue dans une dimension parallèle à ma propre vie. En y pensant, un jour, je me suis rappelée cette scène de Matrix où le héros, Neo, essaie de tuer un ennemi quasi insaisissable car il ne cesse de se répliquer: le fameux agent Smith. Depuis, j’ai donné son nom à mon cancer. Dans le film, Neo finit par le tuer. Je ne perds pas l’espoir d’y réussir aussi… même si je connais mes chances de survie.
Virginie
Réalisation Sandrine Mouchet
Photos Corinne Mariaud
Maquilleuse Takako Noborio chez Sybille Kleber Agency
Stylisme Anne-Sophie Gledhill