Confinement oblige, de nombreuses consultations en oncologie se font à présent à distance. Des entretiens qui ont leur limite : « Souvent il ne s’agit pas de vraies téléconsultations mais de simples appels téléphoniques. On ne voit donc pas les patients. Dans ces conditions, il est difficile d’évaluer leurs symptômes » reconnaît le Dr Barthélémy, oncologue médical à l’Institut de cancérologie Strasbourg (ICANS).
Continuum+, spécialiste du télésuivi
Pour faire face à cette situation inédite, la société Continuum+ a développé en urgence une plateforme de télésuivi : AKO@PRO. Cette start-up française fondée en 2017 n’est pas à son coup d’essai. Depuis plus d’un an, elle propose une application de suivi à distance des malades de cancer traités en ambulatoire par des thérapies orales : AKO@Dom.
Développée en partenariat avec l’association Patients en Réseaux, cette application permet aux oncologues de surveiller les effets indésirables de ces traitements. Le docteur Barthélémy a été l’un des premiers à tester l’outil, aujourd’hui déployé dans les cancers du rein, du sein, du foie et du poumon : « Les thérapies ciblées provoquent de nombreux effets secondaires notamment à l’initiation du traitement. Ils diffèrent selon les cancers. Par exemple, dans le cancer du rein, les anti-angiogéniques provoquent des diarrhées importantes, des syndromes mains-pieds, de l’anorexie… Dans le cancer du sein, les inhibiteurs de CDK 4/6 provoquent eux des baisses des globules blancs. Il faut donc adapter les doses » explique le Dr Barthélémy.
AKO@Dom pour le suivi des toxicités liées aux thérapies ciblées
Concrètement, le médecin inscrit son patient sur la plateforme : « C’est très simple. Il suffit d’avoir une adresse mail. Le patient va recevoir un lien. Il devra ensuite créer un compte avec un identifiant et un mot de passe. C’est tout. Nous avons des personnes de 70 ans qui l’utilisent. »
Chaque semaine, lors des soins à domicile, l’infirmière renseigne l’application avec les symptômes et les constantes du patient. Les données sont ensuite envoyées de façon sécurisée à l’oncologue qui pourra décider d’adapter le traitement. « Il est aussi possible d’envoyer des photos. J’ai eu un patient qui avait une rougeur cutanée. Il pensait que c’était juste un effet secondaire du traitement. L’infirmière m’a envoyé une photo et il s’est avéré qu’il développait une allergie. On a pu éviter une catastrophe. »
« Nous avons des personnes de 70 ans qui l’utilisent«
En fonction des résultats, l’oncologue renouvelle ou établit une nouvelle prescription qui sera envoyée directement à la pharmacie de ville : « Les pharmaciens sont contactés dès que le malade est inscrit sur AKO@Dom. Comme la plupart ne connaissent pas ces thérapies, on les forme notamment sur les effets secondaires. On leur demande aussi de vérifier qu’il n’existe pas d’interactions avec des médicaments que le malade peut déjà prendre. Ensuite, ils commandent les traitements et contactent les patient quand les médicaments sont disponibles : cela évite des déplacements inutile. »
Une version simplifiée pour faire face à la crise sanitaire : AKO@PRO
Afin de rendre son service de suivi disponible au plus grand nombre pendant le confinement, la start-up propose à présent une version allégée de sa plateforme : AKO@Pro. Contrairement à sa grande sœur qui est renseignée par une infirmière, cette fois c’est le patient lui-même qui évaluera ses symptômes. Le questionnaire a été simplifié : « Fatigue : légère, modérée, importante », « Diarrhée : faible, moyenne, importante »… Le patient peut également entrer ses constantes : « Nous mettons gracieusement à leur disposition un tensiomètre et un saturomètre dans leur pharmacie de ville » précise Guillaume Gaud, fondateur de Continuum+.
Les symptômes sont ensuite transformés en grade par un algorithme. Puis, en fonction du degré de sévérité, des conseils et règles hygiéno-diététiques sont proposés au patient. Le médecin reçoit un compte-rendu et peut ainsi juger si son état nécessite sa venue à l’hôpital. « Ça évite aux patients de se déplacer à l’hôpital et de courir des risques infectieux inutiles », souligne Guillaume Gaud.
Un dispositif mis gracieusement à disposition
Le dispositif a été testé pendant 2 jours au CHU de Strasbourg sur 30 patients. « Nous l’avons d’abord évalué chez les malades atteints par un cancer du poumon. Les pneumologues devaient libérer des lits pour faire face à l’épidémie de Covid. C’était logique de commencer par eux puisqu’ils étaient les premiers impactés » explique Guillaume Gaud.
« Les patients sont satisfaits car ils se sentent impliqués dans leur malade »
Et pour le Dr Barthélémy, les résultats sont là : « Les patients sont satisfaits car ils se sentent impliqués dans leur malade et ils peuvent transmettre leurs sensations. Ils ont l’impression d’être – et sont – surveillés à distance, c’est un filet de sécurité. Ils sont aussi plus apaisés car ils comprennent mieux leur traitement. Et du coup, il y a une meilleure adhésion et une meilleure observance. »
AKO@PRO est aujourd’hui utilisé par 17 établissements situés dans 8 régions. Son application a été élargie à tous les cancers métastatiques traités par thérapie orale et le sera prochainement en hématologie. Depuis début avril, la solution est également disponible pour le suivi des patients sous immunothérapie dans les cancers métastatiques du rein, de la vessie et du poumon.
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Paule-Émilie Ruy et Emilie Groyer