« Après l’ablation, la chimio, les rayons, le médecin m’a appris que je devais en plus me choper 5 ans d’hormonothérapie. Me voilà donc partie joyeusement sur cinq ans de ménopause. » Joyeusement « , parce qu’à part la prise de poids, l’oncologue ne m’avait pas parlé d’autres effets secondaires. J’ai pas été déçue ! J’ai pris un kilo par mois durant les six premiers mois. Et puis j’ai découvert une merveille de la nature dont j’ignorais l’existence : la sécheresse sexuelle. Je ne suis pas en » panne de désir » ; je suis en panne de lubrification. J’ai 36 ans et je ne peux plus faire l’amour. Il a fallu que j’aille sur un site internet pour apprendre que c’était un effet secondaire de l’atrophie vaginale et qu’il y avait des solutions. Depuis je suis devenue la reine de l’huile de Millepertuis bio. Je l’achète quasi en bidons ! ». Isabelle, décoratrice parisienne et gouailleuse, parle » cash » de sa sexualité. Bien d’autres femmes se taisent ou subissent. Car cette expérimentation douloureuse de la ménopause, la grande majorité des femmes qui ont traversé un cancer l’ont vécue. Une étude montre que 70% des femmes qui ont traversé un cancer du sein souffriront de « vaginite atrophique»1.
Pas d’hormones, pas de sexe !
Car si les bouffées de chaleur sont des manifestations bien connues, d’autres effets secondaires sont plus handicapants et peuvent s’aggraver avec le temps. C’est le cas de l’atrophie vaginale. Avec l’arrêt du fonctionnement des ovaires, la production d’œstrogènes diminue. Par voie de conséquence, les tissus vaginaux, moins stimulés, se détériorent : le vagin devient moins souple, plus étroit, plus court. Les sécrétions vaginales se font plus rares. Concrètement, cela se traduit par des irritations, des brûlures et des douleurs, parfois insupportables, lors de la pénétration. Le vagin devient aussi moins acide. Conséquence : les bactéries et autres champignons prolifèrent plus facilement provoquant des infections.
Le plus souvent, ces désagréments sont soulagés par des traitements hormonaux de substitution, remboursés par la sécurité sociale, qui apportent les œstrogènes manquants. Oui mais voilà, pour les femmes qui ont été atteintes d’un cancer dit “hormono-dépendant” (80% des cancers du sein, 20-30% des cancers de l’endomètre) les hormones sont proscrites. Alors comment fait-on ? On vit avec ses douleurs, son inconfort et on fait ceinture ? Certainement pas ! Des alternatives existent : acide hyaluronique, calendula, aloe vera, huile coco, huile de millepertuis… Mais pour continuer à grimper au rideau, il faudra mettre la main au porte-monnaie car ces soins ne sont pas remboursés. Et cela peut coûter très cher. « Entre les crèmes probiotiques pour rétablir ma flore vaginale et les ovules contre la sécheresse, j’ai dépensé 100 Euros en médicaments ce mois-ci » témoigne Laurence, 52 ans, atteinte d’un cancer du sein en 2015.
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Céline, 45 ans, ménopausée depuis l’âge de 37 ans, détaille son « petit marché » mensuel : « Huile de millepertuis bio pour les rapports, ovule à l’acide hyaluronique sans hormone pour la vaginite, cachets anti-bouffée de chaleur. Un sympa petit panier de 63 euros. Et attention ! C’est pas des boules de gheisa ou des strings léopards, c’est vraiment de l’aide médicale… »
Deux traitements contre l’impuissance remboursés pour les hommes
70% des presque 60.000 nouveaux cas de cancer du sein. Donc 42.000 nouvelles victimes chaque année. Cela fait donc in fine des centaines de milliers de femmes concernées. Alors pourquoi aucun médicament n’est remboursé ? Bonne question ! « Il faut croire que les gênes occasionnées par la ménopause sont marginales », ironise Alexis Tessier, directeur marketing de Sérélyspharma. Ce laboratoire commercialise depuis décembre 2017 Fémélis, un médicament de phytothérapie à base de pollens de plantes pour soulager les symptômes liés à la ménopause. Malgré l’efficacité de son traitement (très souvent recommandé par les pharmaciens en officine), Sérélyspharma n’a pas voulu déposer de demande de remboursement auprès des autorités de santé. « C’est beaucoup de temps et d’argent pour se faire bananer » reconnaît le directeur marketing.
Une expérience dont parle avec amertume Majorelle. En mai 2017, le laboratoire avait déposé une demande de prise en charge auprès de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour un gel contre l’atrophie vaginale sans hormone. Le dossier comprenait huit études dont deux conduites spécifiquement sur des femmes avec un antécédent de cancer du sein. Malheureusement, la HAS a considéré que le niveau de preuves des données fournies n’était pas suffisant. « Nous avons été déçus. Le Replens est largement prescrit par les oncologues qui constatent un réel mieux être chez leurs patientes. C’est parce que nous avions de tels retours que nous avons déposé notre demande », explique la responsable du dossier.
Il faut dire que les laboratoires Majorelle ne sont pas à leur coup d’essai. Ils avaient déjà obtenu le remboursement d’un médicament lié au plaisir sexuel. Mais masculin ! Le Vitaros avait ainsi reçu un avis favorable pour des patients souffrant de dysfonction érectile dans le cas où celle-ci était consécutive à une section des nerfs lors d’une chirurgie pelvienne. Existe-t-il deux poids deux mesures face au droit au plaisir ? Ce n’est pas à exclure selon la cadre du laboratoire Majorelle : « Il y a une attention beaucoup plus grande portée aux hommes sur ce type de prise en charge. Il y a une grosse inégalité dans ce domaine. »
« La HAS devrait revoir l’évaluation de ces médicaments en cas d’absence d’alternative »
Il faut toutefois reconnaître que les études fournies à la HAS prouvent l’efficacité de Vitaros, contrairement aux études sur le Replens, plus légères scientifiquement. Et les hommes disposaient déjà d’un médicament alternatif aussi efficace que le Vitaros et remboursé: l’Edex. « Nous avions mis en avant le fait que les femmes n’avaient aucune alternative remboursée et qu’il était anormal que ça leur coûte aussi cher tous les mois alors qu’elles n’y sont pour rien. Il ne s’agissait pas de faire rembourser notre gel pour toutes les femmes ménopausées mais de cibler celles qui ont souffert d’un cancer hormono-dépendant. J’étais persuadée qu’il y aurait une réelle écoute mais cela n’a pas été le cas. C’est dommage. Ces femmes méritent qu’on repense l’évaluation de ces médicaments et dispositifs médicaux » explique la cadre des laboratoires Majorelle.
« Comme du papier de verre… »
Les médias s’emballent pour le mouvement “metoo”. On proclame la libération de la parole des femmes, leur droit à dire “non”. Il ne faudrait pas que cela occulte leur droit à dire “oui”, à exprimer et vivre leur désir. Céline, 46 ans, atteinte d’un cancer du sein il y a 6 ans, témoigne des répercussions de la maladie dans son couple : « Quand mon mari me demande si j’ai envie de faire l’amour, j’évoque une image assez concrète pour illustrer mon problème. Je lui explique que pour moi faire l’amour c’est comme pour lui si on lui frottait le sexe avec du papier de verre. T’essaies une fois, deux fois mais après la peur et la douleur l’emportent sur le reste ». Céline a la chance d’avoir un mari patient et compréhensif. Certains couples ne résistent pas, comme l’admet Laurence : « Avec mon compagnon, nous nous sommes séparés à ma demande. J’estimais que je n’avais pas le droit de lui faire subir ça. »
L’omerta dans le cabinet du cancéro
Malgré ces répercussions majeures, que ce soit par honte ou par pudeur, les femmes ont souvent du mal à parler à leur médecin de leurs problèmes intimes. « Les patientes parlent facilement des effets secondaires comme les douleurs articulaires mais quand il s’agit de sexe, elles ont plus de mal. Elles attendent souvent trop longtemps avant de consulter, quand les rapports sexuels deviennent douloureux, voire impossibles, alors qu’on pourrait intervenir en amont », constate le docteur Delphine Wehrer, gynécologue à l’Institut Gustave Roussy (IGR). Mais la responsabilité est partagée comme le regrette le docteur Mahasti Saghatchian, cancérologue médical à l’IGR : « Nous, les médecins, n’en parlons pas assez. Nous avons des conduites d’évitement justement parce qu’on se sent pris en défaut et qu’on n’a rien à proposer. Aucun médicament ni dispositif qui pourraient soulager nos patientes n’est remboursé ! Moi, si je pouvais prescrire des ovules sans hormones ou des solutions anti-bouffées de chaleur ce serait le bonheur ! Devant des situations très invalidantes, des bouffées de chaleur qui empêchent la vie sociale, il arrive à certains médecins de prescrire des inhibiteurs de sérotonine à des femmes qui, en fait, ne sont pas du tout déprimées. Ces anti-dépresseurs dont elles n’ont pas besoin leur renvoient une image d’elle-même dégradée, c’est rajouter une peine à une peine. Pourtant ce qui paraît fou c’est que des solutions existent. »
Une de ces solutions porte le doux nom de MonaLisa Touch. Rien à voir avec le tableau de Léonard De Vinci : il s’agit d’un laser capable de restaurer la muqueuse vaginale. Beaucoup d’espoirs reposent sur ce dispositif puisque le Ministère des solidarités et de la santé Français et l’Institut National du Cancer ainsi que l’IGR a lancé des études cliniques pour prouver son efficacité. Premier pas avant un possible remboursement. En attendant, le bouche-à-oreille fonctionne puisque les patientes de l’IGR sont déjà légion sur la liste d’attente. Le temps de l’administration n’est pas celui de la « vraie vie »….
ON A BESOIN DE VOUS : Signez notre pétition pour le remboursement d’au moins un traitement – sans hormone – de la vaginite atrophique.
Emilie Groyer
1. Lester et al. Atrophic vaginitis in breast cancer survivors: A difficult survivorship issue. Journal of Personalized Medecine. 2015, 5 : 50-66. Etude citée dans l’avis de la HAS sur le Replens, mai 2017