Une étude sur les seconds avis médicaux a-t-elle été menée en France ?
Dr Mahasti Saghatchian : Pas à ma connaissance. Pourtant, les centres de référence comme Gustave Roussy donnent quotidiennement des seconds avis, cela fait partie de leurs missions. C’est gratuit et d’utilité mais cela n’a jamais été valorisé par une étude. Ce serait très intéressant de le faire.
Comment évaluez-vous les cas qu’on vous soumet pour second avis ?
Pendant des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), sur dossier médical uniquement. Nous ne demandons pas de nouveaux examens. Mais déjà, à la relecture des compte-rendus d’imagerie ou d’anatomopathologie3, on a beaucoup de discordances dans les interprétations.
Dans quelles proportions ?
Dans un tiers des cas, on ne confirme pas la proposition de traitement ou le diagnostic. Ce chiffre peut paraître élevé mais il faut bien comprendre qu’on nous adresse les cas compliqués pour lesquels il y a un doute.
C’est quoi “un cas compliqué” ?
Par exemple, quand on retire une tumeur et qu’il y a une incohérence entre la biopsie et l’analyse du tissu retiré. Ça peut aussi être un doute sur une métastase osseuse…
D’où viennent les disparités dans les interprétations ?
Pour interpréter correctement des résultats, il faut d’abord avoir une équipe pluridisciplinaire. Tous les dossiers sont discutés en RCP, c’est une obligation. Mais dans la réalité, la RCP ne se réunit pas à toutes les étapes. Souvent, elle a lieu au moment de la chirurgie initiale mais pas au moment d’une rechute métastatique.
Par ailleurs, toutes les structures n’ont pas en permanence dans leurs locaux un radiologue, un spécialiste du PET-SCAN ou un anatomopathologiste. Si le PET-SCAN est fait dans un autre établissement, c’est le radiologue de l’autre établissement qui donnera son interprétation des clichés. On peut toujours l’appeler pendant la RCP mais ce n’est pas pareil que d’être tous dans la même salle à regarder les mêmes images.
Et puis, il y a la question des cas rares. Là, c’est l’expérience qui prime. Par exemple, les anapath qui travaillent dans un grand centre de lutte contre le cancer auront plus de chance d’y avoir déjà été confrontés.
Qui fait la demande de second avis ?
Ce sont le plus souvent les patients ou les médecins traitants. Ce sont rarement les confrères d’un autre établissement.
Pourquoi les patients demandent-ils un autre avis ?
Parce qu’ils refusent le traitement qui leur a été proposé ou qu’ils veulent être sûrs avant de l’accepter. Le plus souvent, cela relève d’un problème de communication : les patients n’ont pas compris l’intérêt du traitement ou on ne leur a pas expliqué les bénéfices-risques.
Une partie de notre travail consiste aussi à proposer des alternatives : “oui, le traitement qu’on vous a prescrit est le protocole standard mais on peut aussi faire ça ou ça”. On croit souvent que la médecine est quelque chose de binaire. Or, dans de nombreux cas, on est dans une zone grise et on se repose sur des probabilités. C’est ce qui explique aussi les discordances dans les décisions de RCP.
Dans quel état d’esprit sont les patients qui viennent vous voir ?
La plupart du temps, ils n’ont pas informé les médecins qui les suivent. Ils me disent : “surtout, il ne faut pas qu’ils le sachent !”. Il est vrai que certains médecins n’apprécient pas qu’on remette en cause leur avis. C’est dommage. Notre but n’est pas de casser la confiance patient/soignant.
Ont-ils toujours leur dossier médical complet ?
Non et c’est un frein. Il faudrait qu’on les aide à récupérer l’ensemble de ces documents. Il y a eu une tentative avec le dossier médical partagé3 mais les professionnels de santé le créent très rarement. C’est donc au patient de le faire. Mais ils n’est pas toujours facile pour eux d’aller demander leur dossier. Bref, c’est un cercle vicieux.
Comment les patients accueillent vos recommandations lorsqu’elles sont différentes de celles de leur centre d’origine ?
Malheureusement, nous avons très peu de retour. Nous envoyons nos compte-rendus par courrier et les patients nous tiennent que très exceptionnellement au courant de leur décision. Sauf s’ils ont décidé de continuer avec nous évidemment.
Il serait pourtant intéressant d’avoir un suivi.
Une chose à ajouter ?
Il faut pousser les patients à demander des second avis. Il y a un vrai enjeu derrière. Malheureusement, la qualité de la prise en charge n’est pas la même partout et la vérité médicale n’est pas unique.
Les différences de survie à un cancer, et en particulier au cancer du sein, sont principalement socio-économiques et liées à l’accès à des soins de qualité. C’est pour cela qu’il faudrait faciliter les demandes de second avis et les valoriser.
VERS QUI SE TOURNER POUR UN SECOND AVIS ?
Il existe 18 centres de lutte contre le cancer (CLCC) Unicancer référents en France.
Deux possibilités pour les contacter :
– Soit votre médecin « adresseur » contacte un CLCC : il s’agit dans ce cas d’un échange sécurisé entre confrère/consœur ;
– Soit vous contactez vous-même un CLCC. Il n’existe pas de service dédié aux demandes de second avis : il faut donc contacter le secrétariat d’oncologie concerné.
Propos recueillis par Emilie Groyer
-
Garcia et al. Ann Surg Oncol (2018)
-
Etude morphologique de tissus pathologiques