Aujourd’hui RoseUp a dix ans.
Lorsque je déposais, en avril 2011, les statuts de Rose auprès de la préfecture de la Gironde, comment aurais-je pu ne serait-ce qu’imaginer le chemin que cette petite association loi 1901 allait parcourir – et les chemins qu’elle allait me faire emprunter.
J’étais dans un cul-de-sac de ma vie. Plus exactement dans la voie sans issue où vous précipite le cancer. Mes traitements finissaient. J’avais enchainé complication sur aplasie. Perdu près de 15 kilos. Je n’avais plus de boulot et je me rendais compte qu’avoir été rédactrice chef d’un grand journal ne m’empêcherait en rien de recommencer au bas de l’échelle, quasi-stagiaire à bientôt 40 ans. Stagiaire et ménopausée, le combo gagnant ! Pire que tout, j’avais compris que ce cancer m’interdisait d’avoir un dernier enfant. Cette petite fille dont j’avais déjà tant de fois rêvé le prénom, imaginé les premiers gestes. Je mesurais à quel point la souffrance, le commerce trop proche avec la mort, dessinent une onde autour de vous. Une onde qui éloigne par cercles concentriques le monde « normal » et vous laisse, seule, au milieu de nulle part.
Mais une autre partie de moi était encore capable de s’enthousiasmer. Je venais de finir un roman, écrit pendant mes nuits blanches à l’hôpital (« L’Impatiente » aux éditions Jean-Claude Lattès). C’est à l’occasion d’une promotion de ce livre que je rencontrais Céline Dupré. Le cancer, elle connaissait bien. Comme accompagnante. Et comme professionnelle de la communication en santé. C’est autour d’un verre que je m’ouvrais à cette « autre Céline » – comme nous nous appelons mutuellement avec affection depuis – de ce projet délirant. Créer un journal. Pas le journal du cancer mais le journal des femmes qui ont un cancer. Ou plus exactement le journal qui allait accompagner ces centaines de milliers de femmes en proie, comme moi, à la solitude, à la douleur, à l’angoisse, aux questionnements, ce journal qui allait, espérais-je, les aider dans cette traversée.
Céline posa son verre et s’intéressa à ce que je lui racontais. Je continuais. Il fallait que ce soit un féminin. Qu’il y ait des explications simples sur les traitements, parce que je me disais bien que je n’étais pas la seule à ne pas avoir compris ce que signifiait chimiothérapie, petscan ou aplasie médullaire… Mais surtout qu’il y ait tout ce qui fait la « vraie vie » : le travail, les droits, le sexe, le sport, la beauté, la mode. Un journal féminin de société en somme. Un journal qui rappelle à chaque femme touchée par le cancer qu’elle restait une personne, une femme – pas juste une « malade ».
Une semaine après, nous nous lancions.
En avril 2011 donc, je déposais les statuts de Rose, association loi 1901 dédiée à l’information, l’accompagnement et la défense des droits de femmes malades de cancer.
Tout restait à faire. A inventer.
Nous avons créé un ovni éditorial : un gratuit haut-de-gamme tiré à près de 200.000 exemplaires, cela n’existait pas! Nous avons levé des fonds, mille euros par mille euros, fait du porte-à-porte, vendu des pages de publicité, vidé nos poches et « tapé » nos amis. Avec une minuscule équipe, nous avons commencé le magazine, sans le moindre sou pour payer son impression, dans le salon de mon petit appartement… Et puis vint la magie des rencontres : Anne Méaux, qui en quelques coups de téléphone nous trouva des bureaux gratuits, nous permit d’approcher des marques qui devinrent des annonceurs fidèles, nous mis en contact avec quelques grandes donatrices et, surtout, fut et reste un conseil avisé de chaque étape de notre histoire, depuis 10 ans. Au fil des années, nos amis, ceux qui nous ont permis d’exister, d’avancer, n’ont cessé de croitre : le groupe Bayard Presse, puis Orange nous ont logé pro bono pendant des années. DPD et Géodis nous distribuent dans tous les hôpitaux gratuitement. Des hommes, des femmes, nous ont accompagné pour un bout de chemin. Je ne peux tous les nommer mais leur générosité, leur attention nous obligent.
Et puis, vint un jour, où à force de dénoncer les injustices qu’avaient à subir encore et toujours les malades de cancer, nous avons dû sortir de notre zone de confort (tout relatif, car le financement de chaque numéro de Rose magazine reste un exercice de haute voltige) pour passer de « l’autre côté ». Celui de l’association combattante. C’est à ce moment que Rose commença sa mue vers RoseUp – qui nous place dans l’action et les grands combats sociaux.
Notre premier combat fut celui du droit à l’oubli. A l’époque, les pouvoirs publics, les associations institutionnelles s’accommodaient fort bien de la convention AERAS qui obligeait les anciens malades à déclarer à l’assureur/banquier leur pathologie jusqu’à 20 ans après la fin des traitements. Malade tu avais été et malade tu restais – donc tu surpayais ton assurance de prêt. Nous nous sommes mises « en mode combat » et avons créé de toute pièce la notion de droit à l’oubli pour les malades de cancer (d’autres s’en targuent aujourd’hui, les mêmes qui à l’époque nous ont mis des bâtons dans les roues…), nous avons glissé des amendements dans la loi santé, convaincu les sénateurs, les députés, le cabinet du ministre de la santé d’alors et obtenu que le droit à l’oubli s’impose 10 ans après la fin des traitements (5 ans pour ceux qui étaient mineurs à l’annonce de leur cancer). C’est encore beaucoup trop. Mais c’est déjà un grand pas.
Pour mener ce combat de David contre Goliath nous avons dû changer notre organisation. Nous structurer plus « simplement » comme un titre de presse mais comme une association de défense des droits : c’est à cette occasion qu’Isabelle Huet, aujourd’hui directrice adjointe de RoseUp, habituée à la fabrique des lois et au travail de négociation, nous a rejoint. Isabelle, avant de travailler pour RoseUp, a été lectrice de Rose magazine – qu’elle avait découvert en salle d’attente de l’Institut Curie où elle était soignée. Isabelle est la femme qui a permis à l’association d’avoir le visage que vous lui connaissez aujourd’hui. Plus structurée, mieux organisée, plus réactive. C’est sous sa houlette que nous avons pu ouvrir une seconde Maison Rose, à Paris, dans la continuité de celle qu’avait porté Céline Dupré à Bordeaux et que nous sommes passées, il y a un an, en Maison Rose virtuelle avec des ateliers, des webinaires, qui permettent à chacune de recevoir des conseils, des informations et du soutien.
L’équipe de Rose s’étoffe et nos actions également : Emilie Groyer, docteur en biologie et journaliste, est notre rédactrice en chef web. Elle lit chaque étude, traque chaque essai clinique. C’est grâce à elle que notre association a appuyé l’association Alerte 5FU pour encadrer l’usage de cette molécule ou encore que nous agissons pour que les malades aient accès aux molécules innovantes. C’est un signe : aujourd’hui, quand un médecin estime que ses patients perdent des chances en n’ayant pas accès à un traitement, c’est vers RoseUp qu’il se tourne.
Je pourrais vous parler de chaque femme de notre équipe, Kristina Hruska notre cheffe web enthousiaste toujours, pour tout ; Sandrine Mouchet la rédactrice en chef du magazine ; Aurélie Grange la directrice de la Maison Rose de Paris ou Jenna Boitard de celle de Bordeaux et leurs équipes que vous connaissez désormais grâce aux webinaires, Audrey Thivel qui s’applique à trouver des sous pour que nous continuions nos actions ou Radhika Patel qui répond à chacune avec patience et pédagogie.
En fait, Rose n’est pas une idée : elle existe vraiment ! Elle est l’addition de toutes nos personnalités – de ce que nous avons de meilleur en nous. L’enthousiasme, la rigueur, le travail, la générosité, la sororité, la compassion et la folie… Pourquoi ? Parce que nous le devons à chacune de vous, qui nous faites confiance.
Alors prêtes à nous suivre pour dix nouvelles années ?
Céline Lis Raoux