C’est le 27 mai 2022, un an jour pour jour après l’opération de son sein gauche, que nous avons rencontré Rose. Un pur hasard. Comme le fait que l’artiste et notre magazine portent le même nom ! Mais, comme l’interprète de La Liste croit au destin, on se dit que, symboliquement, c’est le bon jour pour évoquer Les Montagnes roses, son « journal de cancer », paru cet été. Livre cash, sans faux-semblants, plein d’autodérision. À l’image de la chanteuse d’origine niçoise, dont la notoriété a explosé en 2006. Propulsée sous les feux de la rampe, Rose a chanté partout en France, participé à d’inoubliables duos avec Alain Souchon ou Vianney, et écrit des chansons pour Jenifer ou Louis Bertignac.
« Je n’étais pas effondrée du tout, en mode « warrior » plutôt »
En 2020, sa belle carrière marque brutalement un arrêt : tournée annulée, fichu Covid-19 ! Puis, en avril 2021, « une tuile de plus » avec l’annonce de son cancer, que Keren [son vrai prénom] prend « en mode warrior », aguerrie par un précédent combat, impitoyable, long, compliqué, contre ses addictions. Elle en avait fait le sujet de son premier livre, paru en 2019, Kérosène.
C’est dans un petit salon de thé parisien, intime et cosy, que l’on s’attable. La jolie brune à l’œil gris profond dépose son cabas joufflu à côté d’elle. Il contient son « bureau mobile », à savoir : son ordinateur portable. Son « interlocuteur quotidien » pendant les traitements : mastectomie, radiothérapie, puis hormonothérapie, qu’elle doit suivre durant 5 ans, elle y a tenu scrupuleusement le carnet de bord de son année de malade. On y trouve aussi les textes de Contre-addictions, son podcast sur les addictions.
Souriante, lumineuse, Rose a bonne mine. On le lui dit. Elle confie que ce genre de compliment, quand elle était encore en radiothérapie, pouvait la faire pleurer. « Habillée, ma poitrine paraissait inchangée, mais j’avais maigri. Et il restait encore beaucoup de souffrances devant moi. » Dans son récit, écrit au fil de la pensée, entre humour et formules qui font mouche, Rose nous éclaire en se jouant de ses maux et des mots. Elle consigne son quotidien –dans lequel nombre de patientes atteintes de cancer se retrouveront –, ses réflexions les plus intimes, et sa difficulté à accepter cette « affaire loin d’être finie », avec encore 4 ans d’hormonothérapie qui l’attendent. Animée de mille pensées à la minute, volubile et spirituelle, Rose s’est livrée à… Rose.
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Vous avez été opérée de votre tumeur au sein le 27 mai 2021. Comment allez-vous ?
Rose : Bien ! On s’habitue à l’idée de faire des examens pendant 5 ans. Au début, le traitement me paraissait une montagne, au sommet inatteignable. Puis on la gravit, pied à pied [dernière chirurgie en juin dernier pour la reconstruction de son sein, ndlr], sans s’en rendre compte finalement. C’est passé hyper vite, en dépit de moments terribles. Aujourd’hui, le bonheur, pour moi, c’est déjà l’absence de souffrance morale et physique.
En 2019, dans le livre et l’album Kérosène, vous révéliez vos addictions, vos troubles psychiques et vos dérives passées. Pourquoi ce nouveau récit autobiographique, sur le cancer cette fois ?
J’écris des chansons depuis l’enfance. Pour mieux tenir à distance ma cyclothymie, ma bipolarité intermittente. Dès l’annonce de mon diagnostic, j’ai eu besoin de retranscrire au quotidien exactement ce que je ressentais. Sûrement pour mieux l’accepter, le comprendre. J’étais animée d’émotions et de sentiments paradoxaux. Sur le papier, je parvenais à traduire les jours gris, roses, ou noirs : « Je vais guérir », « je vais mourir », « je vais m’en sortir », « je suis une battante », « je suis une merde… ». Des montagnes russes, ce n’était que ça ! À en avoir le tournis. Le titre du livre, au moins, était tout trouvé. Ce journal est le reflet fidèle de ma maladie. Il a été mon seul refuge.
« Advienne que pourrave », titre de votre premier chapitre donne le ton : humoristique ! Vous placez aussi une citation en tête de chaque journée, de Nelson Mandela, Woody Allen ou David Foenkinos… En quoi cela reflète-t-il votre personnalité ?
J’ai une passion pour les citations glanées çà et là, et pour les jeux de mots, qui me viennent, ou qui naissent dans les conversations. Je les archive dans un fichier, dans mon ordinateur. Pour chaque entrée de mon journal, je piochais une phrase qui allait illustrer au mieux mon état d’esprit du jour ou m’inspirer. Dans mes chansons, on m’a reproché de ne dévoiler que mon côté mélancolique. Ici, je parle de choses dures et j’aurais aimé me montrer plus drôle, mais le ton se rapproche plus de qui je suis dans la vie.
Vous souvenez-vous de votre ressenti au moment du diagnostic ?
J’ai pensé que c’était mérité. Pas une punition, mais quand on maltraite son corps pendant 10 ans il se révolte ! Je me suis dit : « Ce n’est pas cher payé pour tous ces excès. » Je n’ai pas eu un cancer généralisé, foudroyant, mais un cancer du sein, qui touche une femme sur huit.
De quel type ?
Un carcinome hormono-dépendant, pris à temps. Presque une chance. Les chirurgiens ont estimé qu’on ne ferait pas de chimio. Je languissais de l’opération, que l’on m’enlève cette chose qui me tuait de l’intérieur, mais je n’étais pas effondrée du tout. En mode warrior, plutôt. Je l’ai annoncé à tout le monde, et j’ai été très entourée : mes parents, mon compagnon, mon fils, Solal, mes amies. « Tout se soigne, ce n’est rien, j’en ai vu d’autres », me disais-je. Je ne connaissais pas encore les terribles effets secondaires de l’hormono.
C’est pour cette raison que vous la qualifiez de tabou…
Pour dénoncer le défaut d’information. Après ma mastectomie, j’ai cru le plus dur passé. Je culpabilisais presque d’avoir eu un « petit cancer » ! Restaient pourtant la reconstruction, la radiothérapie, et l’hormonothérapie, sur 5 ans. La grande majorité des cancers du sein étant hormono-dépendants – environ 75 % –, ce traitement est souvent prescrit à titre préventif [pour diminuer les risques de rechute, ndlr]. Ça paraissait anodin comparé à la chimio. Mais on n’en sait rien tant qu’on ne l’a pas vécu !
Rapidement, je me suis sentie épuisée, éteinte. Comme un contrecoup qui ne passait pas. J’en avais marre que l’on me dise : « Tu as de la chance de ne pas avoir de chimio », « estime-toi heureuse d’avoir encore tes cheveux »… Moi, je me sentais sombrer. Étrangère à mon propre corps. Douleurs articulaires, trous de mémoire, chute de la libido, de la joie de vivre… En me plaçant en ménopause artificielle à 43 ans, l’hormonothérapie m’a rendue vieille d’un coup. Et on ne m’avait pas prévenue !
Un mois à peine après le début du traitement, vous avaliez une boîte de Lexomil. Pourquoi ce geste ?
Je n’arrive toujours pas à prononcer les mots TS, tentative de suicide. Encore trop violent. Cela a été un ras-le-bol, que je n’ai pas vu venir. J’enchaînais les rendez-vous médicaux. J’accumulais la fatigue. Je n’écrivais plus, ne travaillais plus. Un matin, tous mes efforts pour être en vie, en bonne santé, une bonne mère… n’ont plus fait sens. La dépression me faisait croire que j’étais foutue. Mais je suis comme un phoenix, j’ai toujours touché le fond pour mieux renaître après. Plus bas, c’était la mort ! Elle ne me fait pas peur, je l’ai souvent souhaitée. Mais cette confrontation directe a été un sursaut de vie.
« J’ai aussi écrit ce livre pour que les proches comprennent »
Au début du livre, vous citez Erri De Luca : « Et si un soir, tu écris parce que tu es malade, si tu écris pour te soulager, efface tout ensuite. » Pourquoi l’avoir publié alors ?
C’est la mégalomanie des artistes [rires] ! Je voulais en faire quelque chose dont les autres pourraient se saisir. Comme avec Kérosène, pour l’addiction. Ce journal, c’est celui que j’aurais aimé lire avant le cancer. Et pour révéler l’impact de l’hormonothérapie sur la qualité de vie des patientes. Qu’elles ne se sentent pas seules. Que les proches comprennent. Et pour passer un message préventif : dès que la dépression pointe le bout de son nez, consultez !
Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?
Je me rends compte de ma chance d’être aimée, soutenue et soignée. Depuis mon séjour à l’hôpital Sainte-Anne1, je me fais accompagner psychologiquement. Et, pour les effets secondaires de l’hormono, je profite des soins de support proposés par l’institut Rafaël, une « maison de l’après-cancer », à Paris. Je pratique la méditation et le yoga pour le sommeil, le stress, et pour soulager les douleurs articulaires. Le travail paie. Chaque jour, je compte mes « petits pas » vers la guérison. Seul le moment présent m’importe.
SON ACTU
25 août 2022 Elle publie Les Montagnes Roses, aux éditions Eyrolles. Journal poignant teinté d’humour d’une femme qui lève le tabou du cancer et de l’hormonothérapie. Sortie de son single Les Montagnes roses, à écouter sur : rose-lesite.fr
25 septembre 2022 Lancement de son podcast Contre-addictions. Disponible sur toute plateforme.
Photographies de Philippe Quaisse
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 23, p. 12)
1. Le groupe hospitalier Sainte-Anne, à Paris, est spécialisé dans la prise en charge des maladies mentales et du système nerveux et des addictions.