Chroniqueuse littéraire, réalisatrice de documentaires, Colombe Schneck est avant tout un écrivain qui, dans le sillage de Françoise Sagan, fait dans la gravité légère, et va puiser ses sujets sous l’eau si tranquille en apparence de sa vie de petite bourgeoise. Où l’on apprend dans son dernier livre (le dixième) qu’à l’origine, elles étaient deux. Deux petites bourgeoises, amies depuis la 6ème, nées et irrémédiablement ancrées dans le 6ème arrondissement de Paris. Rivales parfois, mais secrètement. Pareilles presqu’en tout. Quarante ans d’amitié, brisée net par le cancer. Est resté chez celle qui a vu partir l’autre un désarroi, le sentiment d’une trahison.
Héloïse est morte en 2018. Esther/Colombe la raconte, les raconte. Et se raconte en amie présente, pudique, désarmée et pas toujours à la hauteur. Révoltée aussi. Mais comme dans les piscines à débordement que cette nageuse régulière fréquente, ses trop-pleins d’émotions s’écoulent sans remous tapageurs. Question d’éducation. Combinant avec facilité récit intime et chronique d’un milieu, elle livre un roman vrai, rapide, limpide, tout en brasse coulée.
Vous ouvrez votre récit sur une scène, au restaurant, où Héloïse annonce à son amie Esther – vous – qu’elle va mourir…
En l’écrivant je me suis rendu compte combien cette conversation avait été extraordinaire. Elle m’a annoncé à la fois sa mort et un nouvel amour. Un homme rencontré trois semaines plus tôt et qui a d’ailleurs été là jusqu’au bout auprès d’elle. Elle voulait aimer et être aimée. Et vivre jusqu’au bout. Elle a tenu sa promesse.
On comprend tout de suite qu’il s’agit d’un cancer mais vous n’écrivez pas le mot, pourquoi ?
Par respect pour elle. Sa maladie relève de son intimité. Et puis ce n’était pas le sujet du livre…
C’est d’abord la chronique d’une amitié de plus de quarante ans. Quelle en était la clé ?
D’abord il y avait une ressemblance sociale et physique entre nous. Au collège, nous étions les deux filles pas cools, qui ne fumaient pas. Peu à peu, on s’est différenciées. Elle a été plus obéissante que moi aux règles de la bourgeoisie parisienne. J’avais de ce point de vue une liberté qu’elle n’avait pas. Mais j’enviais sa façon d’aller vers l’amour, les hommes, de les quitter, de ne pas se laisser faire.
Vous n’hésitez pas à évoquer les moments où, dans les derniers temps de votre amie, vous n’avez pas toujours eu la force d’être là…
Au début de sa maladie j’ai été très présente, je l’appelais tous les jours. Et puis je l’ai laissé m’appeler. Elle n’avait pas que moi non plus, elle était aussi entourée de sa famille et elle avait d’autres amis. Je pouvais l’écouter mais je voyais bien que je ne pouvais rien soulager de sa souffrance physique et morale. J’ai donné selon mes moyens. J’ai un regret : celui de ne pas avoir parlé de sa mort avec elle. Pourtant je suis sûre que cette conversation, elle était prête à l’avoir. Mais je n’y suis pas arrivée.
C’est un mot trop difficile à dire ?
Aujourd’hui on en a peur. Alors qu’il faut en parler, il faut avoir ce courage. C’est important pour s’y préparer soi, mais aussi pour préparer les siens. Au Moyen Âge, le pire était de mourir soudainement sans avoir pu se confesser une dernière fois et envisager l’après. Je pense que cela a été une source d’angoisse pour elle de ne pas avoir pu dire adieu.
Qu’avez-vous ressenti en écrivant sur vous deux ?
J’ai été heureuse de passer du temps avec elle. Les morts ne ressuscitent pas, ne parlent pas mais l’affection qu’on s’est porté reste. L’amour ne s’efface pas. Un amour nourri d’images et de souvenirs un peu déformés…
INFO +
*Deux petites bourgeoises, Colombe Schneck, éditions Stock, 2021. 17 euros.
Propos recueillis par Sandrine Mouchet