Elles sont dix. Allongées en cercle, sur leur tapis de sol. Serrées les unes contre les autres. Soudain, leurs épaules qui s’effleurent tressautent. Elles rient. D’abord discrètement. Puis c’est un rire vrai, fort, terriblement communicatif, qui les prend. Un rire, parfois mêlé de pleurs, qui vient des tripes. « Un rire libérateur, relève Sophie. À cet instant, un poids est sorti et j’ai ressenti une grande légèreté. »
Fruit d’une série d’exercices alliant l’expression corporelle aux techniques de respiration en passant par des jeux de rôles, ce grand moment de lâcher-prise les a toutes laissées « vidées mais détendues ».
En quittant l’institut Stanlowa, un grand studio de danse parisien où elles s’étaient présentées deux heures auparavant pour participer à cet atelier « rigologie », elles avaient les yeux pétillants et la mine complice. Dire que les trois quarts d’entre elles ne se connaissaient pas en arrivant… Leur seul point commun: faire partie de la communauté Rose.
Certaines avouent avoir abordé la séance avec un rien de retenue. Voire de scepticisme, comme Chrystelle: « Mais je me suis vite laissée porter par le mouvement et la folie de l’ambiance. Depuis la fin de mon traitement, je recherche tout ce qui est bon à prendre pour aller de l’avant… »
En plein parcours thérapeutique, Coralie confie s’être « fait violence » pour venir: « J’étais au fond du trou… mais j’avais envie de faire quelque chose pour moi. » Oubliant rapidement sa fatigue, elle s’est lancée dans l’expérience comme on se jette à l’eau. Entraînée par l’énergie irradiante d’Irène Phelippeau.
Formée à l’école internationale du rire (créée par Corinne Cosseron), cette « rigologue » professionnelle anime régulièrement des ateliers au comité de La Ligue contre le cancer de Nantes.
Se libérer du mental
Il y a dix ans, elle-même a lutté contre un cancer du sein: « Malgré mes peurs, de la mort et de la récidive, je mettais de l’humour et du rire dans tout ce que je vivais: la perte de poids, de cheveux… Cela m’a permis de vivre la maladie avec plus de légèreté, et mon entourage avec moi ! » Aujourd’hui, la rigologie donne un sens à sa vie.
On débute la séance en musique. Irène danse au milieu des participantes, un peu intimidées. Enchaînant des mouvements de la tête et des bras dans une pantomime improvisée, elle lance à la cantonade : « Osez! Lâchez-vous! Faites-vous plaisir! » Sa décontraction totale est contagieuse.
Peu à peu, autour d’elle, les corps se délient. Les visages se détendent. Des sourires s’esquissent. Les exercices s’enchaînent à un rythme rapide. Il faut maintenant se croiser en marchant sur la pointe des pieds. « Crânez! Et regardez-vous dans les yeux… » Les participantes se prêtent au jeu, amusées. Le support théâtral permet de se libérer du mental. Séquence marche rapide. En avant puis en arrière, on va deux par deux, bras dessus bras dessous, prétexte à davantage de convivialité. Les duos en mouvement tourbillonnent. On s’esclaffe en évitant de justesse les collisions.
Stop ! Place au mime : il faut maintenant chausser des bottes imaginaires et faire comme si on marchait dans des marais. Chaque effort pour extirper sa jambe de la boue qui colle est ponctué d’un grand « han ! ». Les filles jouent la situation avec application… en riant. Irène embarque tout le monde dans son univers : « Vous sentez l’air frais ? Il embaume l’herbe fraîchement coupée… » Inspiration. Expiration. Oxygénation. « Votre diaphragme se détend, poursuit Irène, vous sécrétez une hormone qui vous rend plus sympa! »
Après ce petit travail de respiration, nouvel exercice sur l’acceptation et l’affirmation de soi. Il s’agit de prononcer son prénom à haute voix, l’une après l’autre, en boucle, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Le crier même… Sara est à fond, elle hurle son prénom, sans complexe. Pour certaines, s’extérioriser est difficile. Les sons restent à mi-gorge.
« Les exercices de cette séance nous redonnent ce souffle, nous délivrent du socialement correct, nous débrident. »
Mais les exercices qui suivent – faire des vocalises en dansant, mimer une situation ridicule et l’assumer, se mettre en colère – tendent tous vers un seul but: se libérer de ses blocages pour atteindre le « lâcher émotionnel » qui mène au rire, qui soigne si bien le corps et l’esprit.
L’un des temps forts de l’atelier intervient au moment du cri puissant, poussé en commun au-dessus d’un feu imaginaire, et dans lequel on jette tous les « déchets » dont on veut se débarrasser. Là, enfin, toutes crient vraiment! C’est une décharge libératrice. Submergées par une bouffée d’émotion, Sara et Christine répriment un sanglot.
« Ce n’étaient pas des larmes tristes, confie Christine a posteriori. Quand on apprend qu’on est malade, on a le souffle coupé. Les exercices de cette séance nous redonnent ce souffle, nous délivrent du socialement correct, nous débrident. J’ai enfin fait ce que je ne m’étais jamais autorisée à faire quand j’étais enfant, comme tirer la langue à quelqu’un ! La transgression, enfin… à 55 ans! »
Âmes et corps apaisés
Libérées de leurs « toxines mentales », les participantes sont conviées à procéder à une petite « toilette ». Nettoyage mutuel de l’« aura », massage des épaules… Les yeux fermés, les corps s’apaisent, les âmes aussi. Joli moment d’intimité partagée.
Désormais, on est entre amies. Sans transition ou presque, et dans un joyeux désordre, il faut maintenant se saluer chaleureusement dans un langage inventé pour l’occasion. On se laisse aller à un grand n’importe quoi. On s’amuse, on rigole. Le final approche… Celui du grand rire. Du fou rire. Parti d’un gloussement, il jaillit des poitrines. Incontrôlable. Inextinguible. Salutaire…
« J’ai été plus soulagée par ces deux heures que par les entretiens avec ma psychologue », s’enthousiasme Coralie, à chaud. « Cette séance m’a donné la pêche et l’envie d’oser! », affirme Agnès.
Conquises, plusieurs participantes se sont promis de rechercher un club de rire proche de leur domicile1. Quelques jours plus tard, Christine savoure encore: « Pouvoir rire ensemble, comme des enfants, m’a libérée émotionnellement. Cela a été, pour moi, une éclaircie… »
Lucile Morin
(1) Trouvez un club près de chez vous sur le site de l’École française du rire