Soigner toujours mieux : tel est bien sûr l’objectif de tous les chercheurs et médecins qui livrent bataille contre le cancer. Toujours mieux, cela veut dire plus efficacement, bien sûr, mais aussi plus vite, plus radicalement, avec moins d’effets secondaires et de séquelles induites par les traitements. Et cela suppose aussi de traiter chaque personne de manière plus ciblée, en fonction de son profil. Car il n’existe pas un cancer de tel organe, mais une pluralité de pathologies répondant de manières diverses aux traitements.
Depuis quelques années, les chercheurs ont fait un bond dans la compréhension des cancers et de leurs mécanismes de développement. Une révolution médicale se joue maintenant autour du séquençage de l’ADN des tumeurs et des cellules normales, de la médecine nucléaire, des progrès conjoints de l’imagerie et de la chirurgie, mais aussi de l’immunothérapie, de la biologie.
L’enjeu : une amélioration du vécu des examens et des traitements et de plus grandes chances de guérison. Imagerie, ponction, biopsie, l’habituel parcours jusqu’au diagnostic. Dès ce stade du dépistage se profilent des examens moins invasifs que la biopsie chirurgicale : la prise de sang, par exemple. Pour l’instant, la technique n’est utilisée que pour détecter rapidement la rechute d’un cancer colorectal ou d’un mélanome de l’œil métastatique. Elle devrait s’étendre progressivement à la surveillance puis au dépistage d’autres cancers. « Elle est en cours de validation, mais on sait déjà repérer l’ADN de la tumeur dans le sang », confirme le Pr Éric Solary, de l’institut Gustave-Roussy, à Villejuif, président du conseil scientifique de la Fondation ARC.
« On sait déjà repérer l’ADN de la tumeur dans le sang »
Autre avancée : pour réaliser le bilan d’extension des tumeurs avec plus de précision, on « injecte parfois au patient du fluorodéoxyglucose®, ou FDG (molécule de glucose à laquelle on ajoute un atome de fluor radioactif repérable), et on observe les cellules qui s’en nourrissent en priorité. Comme c’est le plus souvent le cas des cellules cancéreuses, nous pouvons donc localiser les organes atteints », explique le Pr Alexandre Cochet, du centre Georges-François-Leclerc, de Dijon. La méthode est surtout employée pour investiguer côté poumon, côlon, ORL, peau pour le mélanome, lymphome.
On sait également mieux prédire la réceptivité spécifique des tumeurs primaires ou secondaires, qui ne réagissent pas de la même manière au traitement. Par exemple, dans le cas du cancer du sein hormonodépendant, les recherches sont en cours avec un nouveau traceur : le fluoroestradiol®, attendu dans les deux à trois ans à venir et permettant de mieux évaluer la réponse à l’hormonothérapie.
Des traitements personnalisés contre le cancer
Les méthodes de diagnostic et de traitement sont ainsi de plus en plus imbriquées. « On attend notamment de nouvelles techniques d’imagerie qui permettront d’orienter les patients vers les traitements les plus appropriés, mieux dosés, et d’évaluer précocement la réponse à ces thérapies », ajoute le Pr Cochet. Et forcément, un traitement moins fort, moins long est aussi mieux supporté.
Mais il doit surtout être plus efficace. Telle est l’ambition des thérapies ciblées et personnalisées, qui s’appuient sur un nouvel outil capital : le séquençage génomique des tumeurs. « On séquence maintenant une cinquantaine de gènes, voire tout le génome si nécessaire, afin de repérer les anomalies », explique le Pr Fabrice André, de l’institut Gustave-Roussy. Ces observations permettent ensuite de fabriquer des médicaments ciblés. « Notre pays est en pointe, le nombre de médicaments ciblés augmente. Nous en aurons peut-être cinquante dans les dix ans à venir », indique le Pr Fabien Calvo, directeur scientifique de L’Institut national du cancer (INCa).
Mieux doser pour minimiser l’impact négatif des thérapies
En parallèle aux recherches de la médecine nucléaire et du séquençage de l’ADN, on tente également de prendre un peu de recul vis-à-vis des effets des traitements passés pour mieux les adapter à l’avenir. L’Étude Canto, portée par le groupe UNICANCER et coordonnée par le Pr André, suit ainsi 20.000 femmes aujourd’hui guéries d’un cancer du sein.
« Quelles sont les séquelles laissées par les traitements subis ? Quelles femmes avaient réellement besoin de chimiothérapie adjuvante ou d’hormonothérapie au long court ? C’est ce que nous essayons de voir, en dessinant des profils types pour, demain, éviter les traitements lourds à celles qui n’en ont pas vraiment besoin, explique Fabrice André. On croise aussi ces informations avec les tests génomiques pour évaluer, à l’avance, les réactions possibles de chaque personne à la toxicité d’un produit. » L’idée est toujours de mieux doser pour minimiser l’impact négatif des thérapies.
Médecine du futur : quelle cancérologie pour demain ?
Des soins plus légers, plus ciblés, mieux dosés, on voudrait donc que les traitements soient plus légers. Le Pr Christophe Hennequin, de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, a même communiqué sur la possibilité de soigner en un jour une forme légère et précoce de cancer du sein chez les femmes de plus de 65 ans avec une tumeur de moins de 2 cm. Tout partira d’un diagnostic hyperprécis et de l’évaluation millimétrée de la dose de chimiothérapie et de radiothérapie à prendre en une fois. Pour l’instant, cette approche ne se fait que dans le cadre d’essais cliniques et son efficacité reste à valider. Le cas est donc particulier, mais il est emblématique de la désescalade des traitements à moyen terme.
À l’avenir, les progrès devraient encore permettre d’alléger les protocoles, la durée des visites et des séjours à l’hôpital. Déjà, « grâce à l’imagerie et à la robotique plus performantes, on commence à opérer et à traiter en même temps certaines tumeurs du sein par radiothérapie », assure le Pr Calvo. Il s’agit d’une technique de radiothérapie peropératoire, encore à l’essai également, délivrant une irradiation unique juste après l’ablation de la tumeur. « Par ailleurs, il est maintenant possible, avec l’imagerie, de reconstituer la tumeur en 3 dimensions, puis de programmer le robot pour enlever très très précisément la lésion, ce qui n’est pas facile à l’œil nu dans certaines régions difficiles à voir », poursuit le Pr Solary.
« On commence à opérer et à traiter en même temps certaines tumeurs »
Toujours dans l’idée d’alléger le protocole à l’hôpital, la chimiothérapie orale à prendre à la maison se développe, même si elle n’améliore pas forcément les effets secondaires. De même, l’Herceptin® pourra désormais se passer de la voie intraveineuse et de son cathéter généralement peu apprécié, pour être proposée par voie sous-cutanée.
« Cela se fera toujours en milieu hospitalier, mais on y restera une heure au lieu de cinq aujourd’hui, voire plus pour un traitement intraveineux », explique le Pr Xavier Pivot, du CHU de Besançon, qui coordonne une étude révélant le plébiscite des patientes pour cette forme sous-cutanée. En clair, le geste lui-même sera aussi rapide que pour toute autre injection sous-cutanée, mais il faudra compter avec le temps d’attente, la préparation du patient, peut-être une petite surveillance après. Ensuite, la nouvelle formulation du produit permettra une délivrance progressive dans l’organisme.
L’immunothérapie pour permettre à l’organisme de lutter naturellement contre la tumeur
Des thérapies ciblées telle que l’immunothérapie en tir croisé, à elles seules, ne garantissent pas forcément plus d’efficacité. « Le cancer est intelligent, il s’adapte, et le risque est que les patients développent des résistances à ces traitements personnalisés », prévient le Pr André. Heureusement, la recherche avance sur plusieurs fronts à la fois et trente ans d’investigation commencent à porter de nouveaux fruits en immunothérapie.
De quoi notamment contrebalancer lesdites résistances, se félicite le Pr Éric Solary : « On savait que certaines tumeurs désactivaient l’efficacité du système immunitaire. Grâce à de nouveaux médicaments, on arrive maintenant à minorer cet effet pour permettre à l’organisme de lutter naturellement contre la tumeur. »
Une découverte révolutionnaire, d’après l’expert : « Actuellement, les effets sont très encourageants pour les cancers de la vessie, du rein, pour les mélanomes malins, et nous cherchons à étendre les bénéfices à d’autres cancers. Les essais thérapeutiques sont en cours mais, d’ici deux ans, on pourra généraliser cette approche qui va potentialiser les bénéfices des autres découvertes thérapeutiques ciblées. Alors que 55 % des cancers sont aujourd’hui guéris (une moyenne qui lisse les extrêmes), on peut espérer que plus de 70 % le seront dans moins de quinze ans. » Des avancées sans équivalent dans d’autres domaines médicaux.
Sophie Viguier-Vinson