Grâce à l’évolution des thérapeutiques, on peut – on doit même – envisager un avenir après la maladie. Et, dans cette perspective, le travail joue un rôle majeur. « L’enjeu du travail est fondamental car avoir une place, c’est être quelqu’un », confirme Monique Sevellec, psychosociologue à l’institut Curie, à Paris.
Pourtant, 43 % des Français considèrent la réinsertion professionnelle comme la principale difficulté des personnes ayant été traitées pour un cancer1), rejoignant en cela les malades eux-mêmes. Certes, 27 % d’entre eux ont continué de travailler pendant leur traitement et 79 % (92 % même pour les malades atteintes de cancer du sein) ont repris leur activité dans les deux ans qui ont suivi la maladie2.
Mais « tous font état de difficultés quand le moment, souvent très attendu, est arrivé, précise Monique Sevellec, codirectrice de l’enquête. Logique: ils n’ont pas été préparés par l’hôpital, ne reçoivent pas ou peu de soutien de leur entreprise et demeurent souvent incompris de leurs proches, qui n’ont aucune idée des bouleversements qu’ils traversent ».
Plus l’absence est longue, plus le retour au travail est difficile
Suivant la durée de leur absence, les complications ne seront toutefois pas les mêmes. Ceux qui se seront arrêtés quelques mois retrouveront leur poste sans difficulté. Mais ceux qui se seront éloignés plus d’un an rencontreront plus de problèmes. Même chose en ce qui concerne les séquelles: moins on en a, plus le retour au travail est facile.
Au premier rang des difficultés personnelles, la peur de la récidive sape la confiance en soi. Mais, surtout, ces ex-patients se découvrent plus « fatigables » qu’avant. Sans parler des tâches physiques que certains ne peuvent plus momentanément ou définitivement effectuer. Tous pointent notamment des problèmes de concentration, un temps plus long pour réaliser certaines activités.
« Dans la journée, je lutte. Mais le soir je m’écroule avant 21 heures », confie une jeune femme qui a repris ses fonctions de secrétaire il y a six mois. Cette fragilité peut ajouter de l’anxiété, engendrer une « peur de ne pas y arriver ».
Une attitude, des gestes et une grande solitude
D’autant que les salariés ne peuvent compter que sur eux. « Les collègues pensent que, si vous êtes de retour, c’est que tout va bien », rapporte Monique Sevellec. Certains, même, refusent de voir que la personne a changé. Et continuent de lui demander le même rendement qu’avant, sans prendre en compte ses coups de fatigue.
D’autres, au contraire, ont peur de ce « survivant » qui a approché les frontières de la mort et les renvoie à leur propre peur. Ceux-là pourront alors avoir recours à des stratégies d’évitement, dénoncées dans une récente campagne de l’Inca: on n’approche plus le « malade », on ne lui demande surtout pas comment il va et on évite de déjeuner face à lui. Une attitude, des petits gestes qui peuvent être source d’une grande solitude.
« Les salariés ne peuvent compter que sur eux »
Plus grave, selon l’étude « Répercussions du cancer sur la vie professionnelle », 20 % des salariés considèrent avoir été pénalisés par leur maladie. Parmi les faits les plus couramment dénoncés: moins de responsabilités (16 % des réponses), refus de promotion (9 %), rétrogradation (9 %) et le sentiment de devoir davantage faire ses preuves qu’avant (8 %).
C’est donc bien au niveau du management des entreprises que la réflexion sur l’accueil des personnes atteintes de maladie chronique doit être menée. Certaines grandes entreprises ont mis en place une politique spécifique. Les autres agissent au coup par coup. Le plus souvent, on trouve des arrangements, les collègues prennent une partie du boulot pour eux, celui ou celle qui revient s’adapte tant bien que mal.
Le système du salariat en question
Il est fréquent que les bénéficiaires d’un mi-temps thérapeutique se retrouvent malgré tout avec la même charge qu’avant. Une nuance tout de même: quand un membre de la hiérarchie, quel que soit son niveau, a été lui-même touché par un cancer, cela se passe toujours mieux pour ses subordonnés, constatent unanimement les observateurs, malades et scientifiques.
Mais plus largement c’est le système même du salariat qui ne convient plus aux personnes ayant connu le cancer ou souffrant de toute autre maladie chronique. Anne-Marie Waser, sociologue et coanimatrice du Club maladies chroniques et activité, à la Cité des métiers, à Paris, aide justement les personnes atteintes de pathologie chronique à se maintenir dans leur emploi, à en trouver ou à réorienter leur activité professionnelle.
« Après un cancer, obéir à des ordres, se plier à des contraintes devient parfois insupportable… C’est encore plus vrai avec le management par objectif individualisé, qui ne convient pas à un malade chronique car il ne permet pas l’entraide. »
100 000 actifs touchés chaque année en France par un cancer
Alors, que faire pour aider ces 100 000 actifs touchés chaque année en France par un cancer? « La reprise de l’activité professionnelle étant liée à un grand nombre de facteurs, je ne crois pas à la réussite d’un dispositif « retour au travail » général, précise Monique Sevellec. Il ne peut y avoir que des accompagnements sur mesure ».
Le Plan cancer 2009-2013 comporte pourtant un volet « pour mieux accompagner les personnes dans la vie pendant et après le cancer ». Dès 2012, une généralisation des consultations de l’après-cancer devraient ainsi aider les patients en fin de traitement à aborder cette nouvelle étape de leur vie.
Pour l’instant, trente-cinq établissements spécialisés ont mis en place une expérimentation autour de la reprise de l’emploi. A l’institut Bergonié de Bordeaux, par exemple, les patientes qui le souhaitent peuvent être accompagnées tout au long de leur traitement par une infirmière, une assistante sociale, une psychologue.
Gérer ses forces autrement
Un médecin du travail intervient auprès des assistantes sociales pour qu’elles informent les malades sur leur retour dans l’entreprise. Interrogées, les patientes suivies s’avouent très contentes d’être ainsi soutenues. Ne plus se sentir seule facilite la reprise de confiance en soi.
Car ce « soi », justement, n’est plus le même. Sandrine, victime d’un cancer du sein il y a quelques années: « On a changé, profondément, physiologiquement. On sait qu’on dispose de forces limitées. Il faut apprendre à les utiliser au mieux. On n’est pas moins compétent, moins créatif, moins productif. On gère ses ressources différemment. »
Marie-Pierre Garrabos
(1) Sondage Viavoice, « Gérer l’après cancer », réalisé en mars et avril 2011 pour l’institut Curie.
(2) « Répercussions du cancer sur la vie professionnelle », étude menée sous l’égide de l’Inca auprès de 402 salariés d’Ile-de-France ayant eu un cancer, en collaboration avec 82 médecins du travail.