9 novembre 2017. Aujourd’hui, j’ai ce rendez vous que j’attendais depuis si longtemps. Une sacrée étape dans ma quête de reconstruction. Cette reconstruction, je la veux plus que tout. Depuis le jour de mon opération. J’en ai tellement rêvé. J’ai beaucoup cherché, discuté, envisagé la reconstruction. J’imaginais en lisant des articles dans Rose, je me suis fait des films. Restait à savoir comment, par qui, quand… Je me suis posé beaucoup de questions sur la question du corps, de mon corps. L’art est un point d’appui vital pour moi, et une source d’inspiration, une respiration. Je veux une belle poitrine.
Installée dans la salle d’attente, j’ai ressenti une sensation nouvelle : cet hôpital m’est inconnu ; ce qui va suivre m’est inconnu ; j’ouvre une nouvelle porte sur l’inconnu. J’ai un peu peur… Je suis comme ces enfants qui se cachent les yeux, mais qui regardent à travers leurs doigts. J’espérais ne pas attendre. Enfin, pas trop. J’espérais que toute cette journée se terminerait vite. Je suis arrivée juste à l’heure. Presque en retard, à ce rendez vous de 15h15. J’avais de la marge, j’avais compté large en partant du collège après le déjeuner.
A bras le corps
Et puis soudain, je réalise que mon compte rendu d’intervention chirurgicale, celui qui décrit quel cancer s’est installé en moi, le bilan de mon année de soin… celui qui est dans mon super classeur avec mes rendez vous programmés jusqu’en 2022, n’est pas avec moi : il est resté sur la table de ma salle à manger. D’un pas plus que pressé, je cours jusqu’au bus pour aller chercher ce précieux document. Imaginez le détour pour aller du 18ème, de Marcadet Poissonnier à Balard, en passant par Colombes. Belle courbe sur le côté de l’ouest Parisien !
Qu’importe, c’est de mon sein qu’il s’agit ! L’objet de toutes mes pensées, après mon fils, Hippolyte. Me voilà de retour à l’hôpital. Essoufflée. Mon cœur bat à 300 à l’heure. Arrivée sous l’immense toit fenêtre de l’accueil de cet l’hôpital Georges Pompidou, j’ai attendu, attendu… Juste pour savoir où était le service de consultation du professeur L. Une fois l’hôpital retraversé, les portes vitrées poussées, la cour passée, les escaliers montés… me voilà enfin au bureau d’accueil de la porte D43.
« Un gros vent de solitude s’est emparé de moi. Que dis-je ? Une tornade m’a traversée »
Là, la lenteur administrative me prend à la gorge. Une bouffée de chaleur s’empare de mon corps. Je me déshabille devant l’agent d’accueil mou comme un ver de terre. Je sens poindre le malaise. Je me ressaisis. Malheur, son ordinateur « rame ». Il ne trouve pas mon rendez vous. Ah si ! Le voilà. Quand j’apparais enfin sur son écran, il me dit : « Ah vous avez pris rendez vous sur Doctolib? », comme si c’était un peu exceptionnel ! J’acquiesce. Il continue à tapoter les informations me concernant sur son clavier. Ma planche d’étiquettes et ma fiche de circulation en main, j’emprunte l’ascenseur, retenant ma respiration jusqu’au 6eme étage. Une première porte, une seconde, un long couloir, des informations collées partout, me voilà enfin arrivée. Une gentille infirmière prend mes feuilles, puis retourne à son bureau et m’annonce qu’il y a six personnes devant moi. Gloups ! La dernière patiente du matin, celle de 11h45, n’était toujours pas passée. Alors là, mon agitation et mon excitation sont retombées d’un coup. La soignante me dirige vers la salle d’attente. Je m’installe dans un coin, sous la lumière du jour, tamisée par les stores baissés.
J’avais envie d’une tablette de chocolat. Là, tout de suite ! Entrer dans une pâtisserie et dévorer compulsivement tout ce qui me passe sous la main. Une envie boulimique de sucre, de douceur, de tendresse. Être seule, ici, a augmenté ma peur. Cette étape, je n’imaginais pas, il y a quelques mois encore, la vivre seule. Cette attente me panique. J’ai eu très envie de prendre mes jambes à mon coup et de tout laisser tomber. Je me suis accroché à mon clavier et j’ai essayé d’écrire pour que le temps me paraisse moins long.
Patiente ?
Ma patience est limitée : quand elle commence à s’installer sur mon épaule et à me chatouiller l’oreille, c’est mauvais signe. Après une heure d’attente, je suis retournée voir les infirmières pour déterminer quelle était l’avancée des consultations. Changement de garde : une nouvelle infirmière avait pris son poste. Je l’ai vue compter : un, deux, trois … 6 personnes ! Ah ben non alors ! Je suis devenue blême, j’ai balbutié quelques mots, j’ai laissé tomber mes feuilles. Impossible d’aller chercher Hippolyte à l’école si je restais. J’allais devoir partir et reprendre un rendez-vous : le prochain étant pour le 18 janvier. Je me suis rassise un instant, me disant que j’attendrai encore une heure. Cécile, mon adorable amie et voisine, me proposait par SMS d’aller chercher mon fils. Mais je me sentais coupable encore une fois de rentrer tard, de le laisser… Soudain, j’ai entendu mon nom ! Enfin. J’ai compris qu’ils m’avaient fait passer devant tout le monde avec une bienveillance incroyable. J’ai regardé mes pieds et j’ai suivi l’interne. Il a commencé la consultation en attendant le professeur L. Sans perdre de temps, il a écrit, noté, photographié, vérifié mon ventre. Parce que, oui, avoir du ventre est un avantage dans mon cas ! Bonheur !
Je suis venue ici, dans cet hôpital, parce que le professeur L. est LE spécialiste du Diep (Reconstruction mammaire par un lambeau abdominal libre microchirurgicale sans prélèvement musculaire). Et que c’est cette méthode que je veux. Je ne veux pas celle du grand dorsal (une technique qui utilise un muscle fin et étendu du dos, que l’on déplace ainsi qu’une palette de peau vers le thorax). Je veux continuer à faire du rameur et cela sera impossible si je suis « reconstruite » de cette façon.
Le professeur est arrivé. Il m’a examiné à son tour. J’ai compris en cinq minutes que j’avais perdu du temps. Ce temps qui m’est si précieux. Vu mon cancer, « il faut impérativement les résultats des tests BRCA, pour savoir comment opérer », annonce-t-il. Si je ne suis pas porteuse du gène, on opère le sein gauche (celui qui est parti dans une poubelle le 16 décembre). Si je suis porteuse de ce gène, cela signifie que je suis toujours à risque (yououououh !!) : on fera alors une ablation du sein droit (celui qui me reste partiellement) et on refait les deux d’un coup. Sans ce résultat, on ne reconstruit rien. On ne peut pas refaire un Diep deux fois !
Une véritable douche froide
Il faut des mois pour avoir ce fichu résultat et je n’ai rendez vous que le 28 novembre en génétique. Je suis dépitée. Comment ai-je pu ne pas me renseigner davantage ? Sans ce test, je ne sais finalement pas si je suis toujours à risque ou pas et je ne peux pas envisager mon opération. C’est là que le professeur m’explique que si je veux, en quatre semaines, je peux avoir les résultats, … avec un test envoyé aux USA ! Mais c’est 350€. Je décline. La question financière continue. Il me faudra être patiente. Il m’explique ensuite que l’opération durera 5h s’il n’y a qu’un sein, 9h s’il y a les deux. Que je resterai hospitalisée une semaine et qu’ensuite j’aurai plus d’un mois d’arrêt, de « vrai arrêt » ! Il ne me connaît pas, mais il semble avoir compris que je ne restais pas trop en place.
Là, je repense soudainement à tous ces abrutis qui m’ont dit que maintenant la chirurgie faisait des supers beaux seins, que j’aurai des belles prothèses… Bon sang, je les inviterai bien au bloc ceux-là pour apprendre à réfléchir avant de parler. 9h d’intervention, vous imaginez ! Et la suite, vous imaginez ? Saloperie de cancer. Le côté positif (et oui il faut bien que j’en trouve un), c’est que les prothèses sont à changer tous les 10 ans, en moyenne. Alors que là, avec un Diep, plus besoin d’y toucher ! Je peux grossir, maigrir, mes seins évolueront avec mon corps. Au cours de notre discussion, quand je lui ai dit que j’avais rendez vous à Curie avec le professeur C., il s’est enfoncé dans son fauteuil à roulette. Après avoir doucement posé ses mains sur son ventre, il m’a dit : « Ah il ne fait pas le Diep lui, juste le grand dorsal » ! Ben mince alors ! J’ai donc rendez vous avec un chirurgien qui ne me proposera pas ce que je veux !? Mais c’est une véritable croisade !
Aujourd’hui, j’ai enfin compris une chose : chaque chirurgien fait une méthode, pas deux ! Alors là, je n’y avais pas pensé ! C’est de la super spécialisation ça, non ? Sacrée douche froide cette consultation ! Je rentre chez moi dans un métro bondé, vissée à mon clavier. Comme pour chasser toutes ces questions qui me viennent d’un coup. Je remets mes écouteurs en arrivant à la gare St Lazare. La chanson « Je marche seul, dans les rue qui se donnent… » passe sur RFM. Tellement évident. Tellement seule. Allez, demain j’aurai sans doute un peu digéré. Un peu.
Suite au prochain épisode…
Par Cécilia (propos recueillis par Céline Dufranc)
*Prochain épisode : les résultats du test génétique et la reconstruction