« On ne pensait pas pouvoir partir et nous voilà sur la première marche du podium. C’est inespéré ! ». Karine est en pleurs. Elle étreint, à les étouffer, ses 2 acolytes, Mireille et Nathalie, comme pour se persuader qu’elle ne rêve pas. Il y a 4 mois, le trio s’est lancé un défi : participer au raid Cœur d’Argan. Une course en 4×4 dans le désert marocain, 100% féminine, au profit d’associations d’aide aux femmes malades de cancer : Europa Donna et la nôtre, RoseUp.
Une cause qui les touche directement : elles ont toutes les 3 été atteintes d’un cancer du sein il y a 2 ans. C’est d’ailleurs cette épreuve qui les a réunies. En décembre 2017, Karine, Mireille et Nathalie signent un pacte. Ou plutôt un PPACT, du nom du Programme Personnalisé d’Accompagnement Thérapeutique proposé par le Centre Ressource d’Aix en Provence. Pendant un an, elles se réuniront – toutes les semaines pendant les 4 premiers mois puis, tous les mois – avec 6 autres malades pour partager leurs peurs, leurs interrogations, leurs colères et leur désarroi. Un groupe de parole où elles apprendront à gérer leur stress, à exprimer leurs émotions et à mieux communiquer. « Notre groupe s’appelait « les girafes ». En communication non violente, c’est l’animal qui prend de la hauteur et a un cœur énorme » explique Mireille. Une description qui sied bien à cette enseignante de physique-chimie au sourire espiègle et à la larme facile : « Au fur et à mesure, il s’est créé des liens forts entre nous » ajoute-t-elle, émue.
« On n’avait pas grand espoir. À moins d’un miracle… »
Le trio apprend l’existence du raid solidaire en décembre 2018. L’année s’achève. Leur PPACT aussi. C’est le moment de se lancer dans une aventure qui signera la fin de ces 2 années difficiles. Une façon aussi de faire perdurer le lien. De toute évidence, elles ont du mal à se quitter. Petit problème : la course se fait en binôme. Il leur faut une 4ème pilote. Elles la trouvent rapidement parmi les « girafes ». Reste maintenant à réunir les 7 000 € nécessaires pour participer. « Pour trouver des sponsors, on a fait des émissions radio, télé. On est passées dans le journal. On a ouvert une cagnotte sur internet. On a même vendu des coquelicots et des bracelets dans un centre commercial pour la Saint Valentin. Une journée à 300 € ! On s’attendait à mieux étant donné le passage… » La déception résonne encore dans la voix de Mireille. « Malgré tous nos efforts, on était encore loin du compte : à une semaine de la clôture des inscriptions, nous avions réuni seulement 4 400 euros… ».
En désespoir de cause, elles appellent Valérie Lugon, la fondatrice et organisatrice du raid Cœur d’Argan, qui leur propose de reporter à l’année prochaine. « Mais ça n’aurait pas eu le même sens. Cette aventure devait conclure notre PPACT » explique Karine. « On ne voulait pas attendre. D’autant qu’on ne savait pas où chacune en serait dans un an » ajoute Mireille. L’enseignante sait de quoi elle parle. Elle vit en permanence avec une « double épée de Damoclès au-dessus de la tête », comme elle dit. En plus des risques de récidive de son cancer, Mireille est menacée par un anévrisme logé dans son cerveau. Face à leur déception, Valérie Lugon accepte de leur donner 2 semaines supplémentaires. « Mais on n’avait pas grand espoir. À moins d’un miracle… » se souvient Karine. La prière de la réflexologue sera entendue quelques jours plus tard : un réseau de cheffes d’entreprises de Tain l’Hermitage, les Arcadiennes, qui participeront également au raid, les ont suivies sur les réseaux sociaux et veulent les aider. Karine se souvient de leur coup de téléphone providentiel comme si c’était hier : « C’était un mercredi. Elles m’ont juste dit que notre histoire les avait touchées et qu’elles allaient nous donner une grande partie de la somme manquante. Il y a eu un blanc des 2 côtés du fil. Je crois qu’elles étaient aussi émues que moi. Humainement parlant, le raid prenait tout son sens à ce moment-là. » Ce geste altruiste, venant de parfaites inconnues, rebooste les drôles de dames qui se remobilisent et réunissent la somme restante en un temps record. Mais le sort s’acharne : La 4ème se désiste.
Karine ne veut rien lâcher. Sans consulter les 2 autres, elle contacte à nouveau la fondatrice du raid. « Elles étaient parties pour faire un tirage au sort pour savoir qui resterait sur la touche. C’était horrible ! Alors j’ai décidé de faire une exception et je les ai autorisées à constituer une équipe de 3 » se souvient Valérie Lugon. Ça y est, elles peuvent partir ! Il leur faut à présent donner un nom à leur équipage. « Nous avons choisi “Les succulentes des dunes”, explique Mireille. “Succulente” c’est à la fois le nom de plantes qui survivent dans les conditions extrêmes des milieux arides et un adjectif qui évoque la gourmandise. Un peu comme nous qui avons survécu au cancer et qui continuons de croquer la vie. » Joli parallèle.
Une bulle loin de la maladie
En avril 2019, le trio débarque à Agadir, ville de départ du raid Cœur d’Argan. Pendant une semaine, elles sillonnent le désert en compagnie de 14 autres équipes. Chaque jour, les concurrentes doivent suivre l’itinéraire tracé sur leur roadbook et, armées uniquement de leur boussole, trouver les balises disposées tout au long du chemin en parcourant un minimum de kilomètres.
Derrière le volant de leur 4×4, elles semblent inarrêtables. Coupées du reste du monde, loin des hôpitaux, Mireille, Karine et Valérie oublient la maladie. « Quand j’ai descendu la première dune, j’ai eu la trouille », reconnaît tout de même Mireille. « Moi, je suis descendue de la voiture, je ne voulais pas vivre ça avec elles ! » avoue Karine en rigolant. Malgré leurs appréhensions, le trio réussit l’exploit de ne pas rater une seule balise. Une constance qui leur vaudra la victoire quelques jours plus tard. Elles échappent aussi aux ensablements, pourtant quasi quotidiens pour les autres équipes. « C’est peut-être psychologique, comme aucune de nous ne peut pelleter… » tente d’expliquer Karine. Les 3 amies souffrent d’un lymphœdème qui les empêchent de mobiliser leurs bras. Ce raid leur donne une bouffée d’air, le regain d’énergie qui leur manquait. « Ça m’a redonné le goût de l’aventure que j’avais un peu perdu, reconnaît Karine. Franchir tous ces obstacles, ça redonne confiance en soi ». Mireille confirme, un peu étonnée de ses propres performances : « J’étais tellement fatiguée pendant les traitements. Il y a des jours où je n’arrivais même pas à marcher et maintenant, je cours au-dessus des dunes ! »
Les 3 femmes profitent à fond de cette bulle hors du temps et loin du réel. Elles évitent de trop penser à ce qui les attend à leur retour. Les examens de contrôle que Nathalie a passés avant de partir ne sont pas bons. On a détecté à l’ingénieure en microélectronique un ganglion “suspect ” qu’il faudra certainement retirer. Quant à Karine, elle est porteuse du gène BRCA2 qui prédispose aux cancers du sein et de l’ovaire. Elle a déjà subi une ovarectomie préventive. Elle devra bientôt décider si elle opte également pour une mastectomie bilatérale. Mais la jolie brune refuse que ses préoccupations gâchent son aventure. « On est là pour faire un break. Ce n’est pas au milieu du désert qu’on va prendre des décisions. »
Emilie Groyer