Il n’est pas au monde de pays où le marché des médicaments soit aussi encadré qu’en France. Lorsqu’un laboratoire a obtenu une autorisation de mise sur le marché, c’est à la trentaine d’experts (médecins, pharmaciens, épidémiologistes) de la Commission de la transparence de la HAS (Haute Autorité de santé) que le dossier est soumis.
Cette commission évalue chaque médicament, vote et rend un avis sur le SMR (service médical rendu, qui mesure l’efficacité et les effets indésirables) et l’ASMR (amélioration du service médical rendu), qui correspond aux progrès thérapeutiques apportés. Les 5 niveaux d’ASMR (de « majeur » pour le premier à « absence de progrès » pour le cinquième niveau) vont être l’étalon principal dans le processus de fixation du prix, directement indexé aux progrès thérapeutiques apportés.
Un comité au centre du processus décisionnel
Le prix du futur médicament est fixé par le Comité économique des produits de santé (CEPS), placé sous l’autorité des ministres de la Santé et de l’Économie, et constitué des représentants de toutes les administrations ayant rapport avec la santé, l’économie, mais aussi les caisses d’assurance maladie, la Sécurité sociale et depuis peu des associations de patients. Les laboratoires sont, certes, invités à présenter leur produit lors d’auditions, mais la décision du prix se fait de manière collégiale au sein du seul comité. Le point déterminant dans la fixation du prix reste l’amélioration du service médical rendu. Si cette ASMR est médiocre, le laboratoire pourra faire assaut d’éloquence ou dépenser des fortunes en lobbying, cela ne changera rien au prix final – qui restera bas. Chaque année, le CEPS rend un rapport ; ses décisions sont publiques et contestables devant les tribunaux administratifs.
Prix officiel et prix off
Voilà pour la partie émergée de l’iceberg. Sous la ligne de flottaison se joue un processus subtil de négociations entre le CEPS et les laboratoires pour trouver le « juste prix » du médicament.
De ces négociations État-industrie, peu de choses filtre – et cette opacité nourrit les fantasmes les plus divers. Élément essentiel, le prix du médicament annoncé in fine par le CEPS est un « prix facial », une sorte de prix officiel ; en réalité, le prix négocié (donc le prix effectivement payé par l’hôpital ou le prescripteur) est inférieur à ce prix facial communiqué publiquement. Inférieur, certes, mais de combien ? Pas de règle absolue pour ce « prix off », mais les experts estiment que des remises de 25 % ne sont pas rares. Sans compter, ensuite, les « ristournes » supplémentaires obtenues, au cas par cas, par les hôpitaux sur la base de ce prix déjà négocié.
Un « corridor » européen
Mais pourquoi adopter ce double système de prix qui pervertit le débat (notamment sur le caractère exorbitant de certaines molécules) et nourrit les suspicions ?
« Nous sommes dans ce qu’on appelle un ‘‘corridor européen’’, c’est-à-dire que les prix des médicaments doivent à peu près s’aligner d’un pays à l’autre de l’Union. Pourtant, lorsque nous négocions avec l’industrie, nous avançons avec nos spécificités. Dans les discussions, nous répétons aux laboratoires que nous comprenons qu’ils désirent un prix pas trop déconnecté du prix mondial, mais également qu’ils doivent tenir compte du fait que nous sommes, nous, Français, de bien meilleurs clients que les Anglais ou les Suédois, par exemple. Et qu’ils nous concèdent d’importantes remises de prix ou des remises de quantité », détaille Noël Renaudin.
Des processus plus ou moins lisibles
En matière de décotes, remises et autres ristournes, l’imagination des négociateurs est fertile. La remise de quantité indexe une baisse notable des prix à un certain volume de médicaments vendus. Un « certain » volume qui peut commencer à la cinquante millième boîte comme… à la première.
Il existe aussi des remises « par indication »: une même molécule évaluée comme apportant un progrès pour certains malades ne l’apporte pas – ou pas autant – pour d’autres. On peut décider de payer le prix fort uniquement pour la population de malades qui va bénéficier de l’avantage. Et de se faire rembourser a posteriori les médicaments prescrits en dehors de la « population cible ». Sans compter d’autres processus moins lisibles, comme les rééquilibrages au sein d’un même laboratoire: « Pour privilégier le lancement de gros produits, certains labos consentent des baisses de prix pour d’autres traitements déjà sur le marché », détaille Alain Gilbert, directeur associé du cabinet de conseil Bionest.
« Si vous voulez obtenir un vrai avantage, votre fournisseur vous demande de ne pas le révéler »
Résultat: connaître le prix réel d’une molécule devient un vrai casse-tête. «C’est une sale habitude que d’annoncer des prix faciaux qui ne correspondent pas à la réalité. Tout ce débat actuel sur le prix du médicament est du pur roman puisqu’on ne sait pas in fine quels sont les prix réels», s’agace Claude Le Pen.
Pourquoi donc ne pas communiquer le prix réel des molécules – ce qui apaiserait sans doute les débats et assainirait les discussions? « Pour la simple raison que si les laboratoires voyaient publier les remises qu’elles font aux Français, nous ne les obtiendrions plus ! Toute l’économie, absolument tous les secteurs fonctionnent ainsi: si vous voulez obtenir un vrai avantage, votre fournisseur vous demande de ne pas le révéler », plaide Noël Renaudin. Le prix des médicaments est un subtil équilibre entre le dit et le non-dit, l’officiel et l’officieux. C’est sans doute à cette condition que les médicaments en France restent parmi les moins chers des pays développés.
Céline Lis Raoux
INFO +
– « En France, le débat autour du médicament est idéologique » interview de Claude Le Pen économiste de la santé.
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