Au fil des mois, les études continuent d’égrener leur triste litanie et le lien désormais indiscutable entre pollution et cancers.
On connaît l’impact de la pollution sur le développement des cancers et en particulier les émissions de particules diesel qui ont été classées cancérogènes pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
Dans le seul secteur du transport, on estime que les véhicules diesel contribuent très largement aux émissions routières de particules (suie et carbone). À Paris, une étude a montré qu’à proximité d’un axe routier comme le périphérique, le trafic local était responsable de 45 % des particules mesurées (1).
Ces « particules fines » aggravent les maladies respiratoires chroniques et augmentent le risque de cancer du poumon : l’étude la plus vaste à ce jour, réalisée auprès de 2,1 millions de Canadiens adultes, a confirmé le lien entre exposition aux particules fines et mortalité pour des niveaux d’expositions nettement inférieurs aux niveaux observés dans la plupart des villes européennes.
En 2002, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement a estimé que 6 à 11 % des décès par cancer du poumon sont attribuables à l’exposition aux particules fines dans la population âgée de 30 ans ou plus dans 76 unités urbaines françaises (soit 15 259 590 personnes). Enfin, une étude dans quatre agglomérations françaises (Paris, Grenoble, Rouen et Strasbourg) évalue à 10 % les cancers du poumon attribuables à l’exposition aux particules fines en 2003. C’était il y a quinze ans…
Les gaz d’échappement des moteurs diesel classés « cancérogènes pour l’homme »
En juin 2012, le CIRC a réexaminé les gaz d’échappement des moteurs diesel et les a reclassés comme étant « cancérogènes pour l’homme ». Et pas que pour le cancer du poumon ! Différentes études menées dans le monde notent un risque accru de cancer du col de l’utérus, de la vessie, de l’ovaire, de l’œsophage, gastrique et du rein en relation avec l’exposition professionnelle aux particules diesel.
Une étude parue en octobre 2018 dans le Journal Investigative Medecine corrèle des niveaux élevés de particules fines à un risque accru de 43% de cancer de la bouche. On compte environ, dans le monde, 300.000 nouveaux cas par an de cancer de la bouche. Les facteurs de risque connus jusqu’ici sont notamment le tabac, l’alcool, le papillomavirus humain.
Cette nouvelle étude a exploré l’éventuel rôle des polluants de l’air dans le développement du cancer de la cavité buccale. Pour cela, le Pr Yung-Po Liaw et ses collègues de Taïwan ont exploité des bases de données nationales sur le cancer, la santé, les assurances et la qualité de l’air. Ils ont calculé les niveaux moyens de polluants atmosphériques (dioxyde de soufre et d’azote, monoxyde de carbone et d’azote et diverses tailles de particules fines) mesurés en 2009 dans 66 stations de surveillance de la qualité de l’air à Taïwan. L’étude a porté sur 482.659 hommes de 40 ans et plus bénéficiaires des services de santé préventifs et ayant indiqué s’ils fumaient.
Parmi eux, en 2012-2013, 1.617 cas de cancer de la bouche ont été diagnostiqués. Sans surprise, le tabagisme et la mastication fréquente de bétel étaient significativement associés à un risque accru de diagnostic. Mais les chercheurs ont également constaté que les niveaux croissants de PM2,5 étaient associés à un risque accru de cancer de la bouche, après avoir pris en compte les autres facteurs de risque. Les niveaux élevés de particules (supérieurs à 40,37 µg/m3) étaient associés à un risque accru de diagnostic de cancer de la bouche de 43% par rapport à des niveaux plus bas (inférieurs à 26,74 µg/m3). Une association significative a également été observée à certains niveaux d’ozone.
Certains composants des particules fines PM2,5 incluent des métaux lourds, ainsi que des composés tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques (des agents cancérigènes connus), détaillent les chercheurs. « Cette étude, avec un échantillon important, est la première à associer le cancer de la bouche aux particules fines PM2,5 (…) », selon eux. « Ces résultats s’ajoutent aux preuves de plus en plus nombreuses des effets néfastes des PM2,5 sur la santé humaine », notent-ils.
Une étude qui survient quelques jours après que des associations ont attaqué l’état français pour non-respect des normes européennes en matière de pollution de l’air. Ces normes, datant de 2008, fixent des valeurs réglementaires pour plusieurs polluants : dioxyde de soufre, dioxyde d’azote, particules fines, plomb, benzène, monoxyde de carbone. Elles obligent les états à surveiller la qualité de l’air, à respecter les normes, à mettre en place, quand ce n’est pas le cas, des plans d’action.
La France ne respecte pas les normes de qualité de l’air
Ce qui est, entre autres, reproché à la France est de ne pas prendre de mesures assez fortes pour que les normes soient respectées, pour que les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines soient, partout, ramenées sous les valeurs limites. La France a répondu par des « feuilles de route », présentées en avril dernier par Nicolas Hulot et concernent une dizaine de zones dont les agglomérations parisienne, marseillaise et lyonnaise où des dépassements des normes européennes sont encore constatés. Sans mesures contraignantes, elles ont été jugées insuffisantes et pas assez concrètes par le commissaire européen à l’environnement Karmenu Vella qui a, en mai dernier, renvoyé l’Etat français devant la Cour de justice européenne.
Quatre mois après ce renvoi devant la CJUE pour « non-respect des normes de qualité de l’air », une soixantaine d’associations environnementales ont déposé le 2 octobre une requête devant le Conseil d’Etat qui vise à obtenir l’exécution de la décision du 12 juillet 2017 avec une demande d’astreinte de 100 000 euros par jour de retard. Une mesure symbolique pour dénoncer le risque que les pouvoirs publics font prendre à la population.
Aujourd’hui l’ensemble des politiques de santé publiques insistent sur la responsabilité individuelle dans le déclenchement des cancers. Mais jamais n’évoque sa responsabilité qui est immense dans les cancers « non évitables ». Ceux que chaque jour nous respirons.
INFO+ : Toutes les informations sur les études citées dans le document téléchargeable de l’INCa : http://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Particules-fines-dont-diesel-et-risque-de-cancer