En France, 48 000 décès par an – parmi lesquels, des décès par cancer du poumon – seraient attribuables aux particules fines. Plus d’un tiers de ces morts prématurées pourraient être évitées si cette pollution ne dépassait pas les valeurs recommandées par l’Organisation Mondiale de la Santé. C’est ce qu’avait démontré en 2016 une étude conduite par Santé Publique France. Aujourd’hui, une étude se penche sur un composant important de ces particules, le carbone suie (ou black carbon), pour déterminer son lien avec la survenue de cancers. Entretien avec Bénédicte Jacquemin et Emeline Lequy, chercheuses à l’INSERM, responsables de cette étude.
Sur quelles données avez-vous basé votre étude ?
Nous avons utilisé les données de la cohorte Gazel. Il s’agit d’une cohorte de 20 000 agents d’Électricité de France et de Gaz de France suivis sur plus de 30 ans. Elle récolte les données de santé et d’exposition aux polluants de ces personnes chaque année et les suit dans leurs déplacements sur le territoire. Elle a été constituée en 1989. Il faut noter qu’à cette époque, il y avait majoritairement des hommes (70 %) parmi les employés de ces entreprises. Dans cette étude, nous avons utilisé les données recueillies entre 1989 et 2015.
Vous vous êtes intéressées plus particulièrement à l’exposition de ces personnes au carbone suie. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est et pourquoi vous avez fait ce choix ?
Le carbone suie est un composé des particules fines, c’est-à-dire des particules de moins de 2,5 microns de diamètre. Ce qu’on appelle les PM2,5.
Il faut savoir que les particules fines ont différentes sources. Elles peuvent avoir une origine naturelle : les vents venant du Sahara, les émissions volcaniques, les feux de forêt… Mais elles peuvent aussi avoir une origine humaine : le trafic routier, le chauffage, l’industrie, …
Le carbone suie est un composé important des particules fines, surtout provenant du trafic routier.
Quel est le résultat de votre étude ?
Notre étude a montré un sur-risque de cancer. Pour schématiser, disons que si on prend 2 personnes « identiques » – en termes de sexe, d’âge, de consommation de tabac ou d’exposition à différents facteurs de risque – mais que l’une est exposée à des niveaux bas de carbone suie, l’autre à des niveaux élevés -, la personne la plus exposée au carbone suie à long terme aura un sur-risque de 20 % de développer un cancer (en excluant les mélanomes) et de 30 % de développer un cancer du poumon. Il s’agit d’une probabilité qui n’est pas tant valable à l’échelle individuelle qu’à celle de la population.
En termes de cas de cancer, qu’est-ce que ça veut dire ?
Notre étude ne permet pas de le dire.
Il faut faire attention à l’interprétation de nos résultats. Ça ne veut pas dire qu’une personne exposée longtemps à des niveaux élevés de carbone suie développera forcément un cancer. Le cancer est une maladie multifactorielle, il y a beaucoup d’autres facteurs qui rentrent en jeu. Cela ne veut pas non plus dire qu’il a une augmentation de 20 % des cas de cancers dans les régions plus exposées au carbone suie.
Seule une étude d’impact sanitaire permettra de déterminer ce que cela signifie en termes de chiffres d’incidence de cancers. Pour mener de telles études, il faut attendre d’autres études épidémiologiques comme la nôtre, voir si elles concordent, avant de le traduire en chiffre.
Votre étude démontre tout de même un lien clair entre ce composant des particules fines et le cancer. Que faudrait-il faire pour limiter l’exposition de la population française à ces polluants ?
La source principale de carbone suie reste le trafic routier. Il faut donc des politiques de réduction des émissions liées au trafic automobile.
Existe-t-il des réglementations actuellement ?
Le black carbon n’est pas encore réglementé. Mais, comme on sait qu’il a un effet nocif sur la santé, il y a une pression des scientifiques pour qu’il le soit. Il faut dire qu’à ce jour il n’y a pas non plus de réglementation pour les PM2,5. Il faudrait donc commencer par là. L’étude de ces particules est relativement récente. Nous disposons de mesures de ces polluants sur l’ensemble du territoire depuis moins longtemps que pour d’autres polluants comme les particules plus grosses, les PM10, ou le dioxyde d’azote. Donc ça va venir.
En revanche, les mesures routinières qui sont faites actuellement ne permettent pas de déterminer la composition de ces particules. Il y a des campagnes ponctuelles de mesure mais ce n’est pas fait en continu.
Votre étude contribuera-t-elle à la mise en place de politiques de réduction d’exposition à ces polluants ?
Chaque étude épidémiologique est une goutte dans la mer des connaissances. On ne peut pas établir un lien de causalité avec une seule étude. Plus il y aura d’études qui auront dans le même sens, plus ça aura du poids au moment de prendre des mesures pour réglementer.
Sur quoi vont porter vos prochains travaux ?
Nous allons conduire la même étude sur une cohorte plus grande et plus représentative de la population générale que la cohorte Gazel : la cohorte Constances. Elle comporte plus de 220 000 participants, soit 10 fois plus que la cohorte Gazel, la moitié sont des femmes, tous les âges sont représentés…
On voudrait également étudier d’autres composants des particules fines qui pourraient être responsables d’un risque accru de cancers, comme les métaux émis lors des freinages par exemple.
Propos recueillis par Emilie Groyer