Marie en a avalé son café de travers. Lundi matin à 8H, elle écoutait le journal d’une grande radio, lorsqu’un reportage a attiré son oreille. Un reportage « santé » consacré à un livret distribué dans des hôpitaux et censé « informer les patients en chimiothérapie ». La journaliste l’affirme : « Ce que les malades ne savent pas, c’est qu’ils peuvent être toxiques pour leur entourage. Le risque est en effet de contaminer l’entourage et son environnement avec les résidus de produits toxiques qui se retrouvent dans la sueur ou le vomi ». Avant d’interroger Louisa, infirmière à l’hôpital de Sarcelles, tout aussi péremptoire : « Le linge sale doit être lavé à part et ne doit pas être mélangé au linge du reste de la famille. On demande également aux patients d’éviter d’être en contact avec des enfants en bas âge et avec les femmes enceintes et allaitantes ».
« Si on m’avait donné ce document, ça m’aurait achevé… »
Marie, membre de notre communauté Facebook, a envoyé derechef un mail à RoseUp association, pour nous alerter – et nous interroger sur la véracité de ces « informations » : « Cela m’a révoltée d’entendre que les patients sont “ toxiques ” pour leur entourage ». Comme si nous étions des pestiférés qu’il fallait mettre en quarantaine le temps de leur traitement ! Le cancer est déjà très difficile pour un couple alors faire chambre à part [une des préconisations de ce livret, NDLR]… J’étais bien contente que mon mari me prenne dans ses bras quand je pleurais parce que je perdais mes cheveux et que je me sentais mal. En plus, j’étais enceinte de 4 mois quand on m’a annoncé mon cancer. Mon bébé a été mon pilier de bonheur. On a formé une sacrée équipe avant même sa naissance. Si on m’avait donné ce document, ça m’aurait achevé. Maintenant, je suis maman d’une petite fille en pleine forme ». Car les études l’ont démontré : être sous chimio, même pendant les tous premiers mois de grossesse, n’a pas d’incidence sur la santé de l’enfant.
Le document « Passeport pour une chimiothérapie responsable » commence par des préconisations de bon sens lorsqu’on sait que les agents de chimiothérapie se retrouvent dans les excrétas (urines, selles, vomi, transpiration) jusqu’à 4 jours après l’administration du traitement : bien se laver les mains après être allé aux toilettes, nettoyer en cas de projection (vomi, urine) ou, pour les messieurs, préférer la position assise à la position debout pour éviter de « mal viser ».
Mais, au fil des pages, les informations deviennent alarmantes: « il est préférable de ne pas être en contact avec des jeunes enfants ou des femmes enceintes ou allaitantes », « évitez de dormir avec votre conjoint pendant les 48h qui suivent une séance »… Rude à entendre quand on est malade et qu’on a qu’une seule envie : trouver du réconfort auprès de ses proches. Rude, culpabilisant… et sans aucun fondement scientifiquement.
« Le titre de ce livret est “ chimio responsable ”. Les mots ont un sens. Cela signifie donc que toutes celles et tous ceux qui, comme moi, durant les traitements de chimiothérapie ont eu – horreur ! – l’outrecuidance d’embrasser leurs enfants ou même l’idée folle de dormir avec leur conjoint, sont des irresponsables ? », ironise Céline Lis-Raoux directrice de l’association de RoseUp.
« Les patients devraient arrêter de respirer, aussi ? »
Du côté des médecins, c’est l’incompréhension. Le Dr Mahasti Saghatchian, oncologue à Gustave Roussy est proprement scandalisée : « C’est horrible de laisser penser à des malades qu’ils pourraient contaminer leurs proches ! ». François Lemare, chef du département pharmacie clinique à Gustave Roussy, tout aussi critique, argumente : « Non seulement ce livret manque de références scientifiques mais en plus, il est très culpabilisant pour les patients. Imaginez qu’il soit remis aux parents d’un enfant traité par chimiothérapie. Ça veut dire quoi ? Votre enfant souffre et vous ne pouvez pas le prendre dans les bras ? C’est vrai, il est connu que les urines et les selles sont contaminés quelques jours après la chimio. Mais il n’a jamais été, à ma connaissance, observé que des malades sous chimio ont contaminé leurs proches par leur transpiration. Si on pousse dans ce sens, il y a aussi des traces de chimio dans l’haleine des patients. Ils devraient donc arrêter de respirer aussi ? On peut aller très loin comme ça ».
Pas de preuve scientifique mais la thèse du « complot »
Ce document « fruit de 18 mois de travail avec 40 oncologues, infirmières, psychologues, patients et pharmaciens », et distribué à 1000 exemplaires dans 2 établissements pilotes : l’hôpital de La Rochelle et l’hôpital privé Nord Parisien (HPNP, Sarcelles) » a été édité par l’agence Primum Non Nocere (1). Pour étayer leurs « conseils », les rédacteurs s’appuient sur deux études. La première portant sur seulement 3 patients n’est pas significative. La seconde, une étude allemande menée sur 13 patients sous chimiothérapie et 11 personnes de leur entourage, conclut en revanche que, si les toilettes et le sol autour sont bien contaminés, aucune trace de médicament n’a été détecté dans l’urine des membres de la famille ! Pas de toxicité avérée. L’étude citée affirme donc le contraire exact du prédicat du document : les proches ne sont pas contaminés par les agents toxiques de la chimiothérapie ni par contact direct, ni indirect.
Olivier Toma, directeur de l’agence, que nous avons interrogé, entend « alerter les patients sur les risques » : « Quand vous avez la grippe, vous savez qu’il faut éviter d’embrasser vos enfants pendant quelques jours parce qu’ils peuvent attraper le virus. C’est la même chose ». Comparaison douteuse. S’il est prouvé qu’on peut contracter le virus grippal en étant en contact avec des malades, en revanche, toucher ou dormir avec des patients sous chimio n’a intoxiqué personne. Avant de continuer : « Je comprends que c’est un sujet tabou. Les oncologues craignent qu’on dise haut et fort que les produits sont toxiques. En parler est peut-être anxiogène mais ne pas le dire serait irresponsable ». Bref, un complot mondial de cancérologues…
Quant à l’argument de l’absence totale de preuve scientifique à ses assertions, Olivier Toma répond par un syllogisme: « Nous appliquons le principe de précaution, un droit constitutionnel en France. Il y a eu peu d’études sur le sujet mais il n’y en avait pas non plus sur le E171 et il a pourtant été interdit ».
Bref, comme dans un épisode vintage d’X-Files, la « vérité » est ailleurs. En l’espèce, au fond de la cuvette des toilettes – qui reste le seul lieu « contaminé » par les toxicités de la chimiothérapie via les selles, urines et vomissements. Il eut été plus simple de rappeler aux patients et à leur famille les précautions d’usage dans le nettoyage du petit coin, que de culpabiliser, une fois encore, les patients.
Emilie Groyer
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Agence qui « accompagne les établissements de santé dans leurs projets de responsabilité sociétale » (RSE, RSO)