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24 heures dans la vie d’une patiente experte

{{ config.mag.article.published }} 5 décembre 2019

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7h45 : Sabine salue son mari, avant d’enfourcher son vélo pour se rendre à LISA, à dix minutes de chez elle. Photo : P.-E.Rastoin

L’expérience du cancer transformée en compétence validée par un diplôme, puis en métier ? C’est ce qui s’est passé pour Sabine, « patiente partenaire » à l’institut du sein de Bordeaux. Rencontre.

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C’est un de ces matins de juillet où se lever tôt est un plaisir. Il fait bon, le soleil est radieux, la journée s’annonce bien. À Bordeaux comme ailleurs.

À 7 h 45, Sabine roule déjà vers LISA (L’Institut du sein d’Aquitaine). À vélo. Il lui faut moins de dix minutes pour atteindre le bureau qu’elle partage avec Chloé, coordinatrice du parcours de soins des femmes atteintes d’un cancer du sein. Comme sa collègue, Sabine est coordinatrice. Mais avec un « petit truc en plus  » : elle est patiente partenaire. Un nouveau métier pour cette ancienne orthophoniste : «  J’avais 48 ans quand on m’a diagnostiqué un cancer du sein. La maladie a remis le curseur sur ce qui était vraiment important pour moi. J’ai voulu rendre cette période constructive, en faire un tremplin vers quelque chose dpositif et au service des autres. » Comme une évidence, elle entreprend de se former à la « mission d’accompagnant de parcours du patient en cancérologie  », titre d’un diplôme universitaire (DU) délivré par l’université Pierre-et-Marie-Curie, qui en dispense les cours dans le cadre de l’Université des patients.

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8h15 : À son arrivée, Sabine croise Stéphane Marié, chirurgien gynécologue : c’est un peu le « Dr Mamour » du service !
Photo : P.-E.Rastoin

Sabine suit donc le cursus, à raison de deux jours de cours par mois et d’un stage d’observation en immersion dans un établissement de soins. « Quand elle a su que je cherchais un lieu de stage, mon oncologue, le Dr Hortense Laharie, m’a immédiatement suggéré de l’effectuer à LISA, à la clinique Tivoli, auprès de Chloé. » Passionnée, impliquée, attentive, Sabine prend sa mission tellement à cœur qu’elle se voit proposer un CDI. « Une enquête de satisfaction menée auprès des patientes montrait qu’il manquait quelque chose entre l’annonce du diagnostic et les traitements : un accompagnement et une personnalisation de leur parcours de soins. Sabine a su répondre à cette attente. Elle est devenue un maillon indispensable dans la prise en charge des malades », reconnaît le Dr Laharie.

11 instituts du sein en France

La création de LISA a été inspirée par le MIS, Montpellier Institut du sein, dont on doit l’idée au Dr Pierre Bertrand, cancérologue-sénologue, et au Dr Cécile Zinzindohoué, onco-chirurgienne. Depuis l’ouverture du MIS, en 2010, le concept a fait école. Onze instituts du sein existent aujourd’hui en France, à Bordeaux donc, mais aussi à Toulouse, Reims, La Rochelle, Marseille, Bastia, Saint-Étienne… 

Partager, informer, rassurer

Depuis sa création, en 2016, l’institut du sein de Bordeaux a déjà accueilli 950 patientes. Telle Sandra, qui frappe à la porte à 10 heures. Assise en face de Sabine, elle lui explique qu’elle a rendez-vous à la fin de juillet pour une mastectomie. Chloé lui remet le classeur «  Dossier de soins  », qui l’accompagnera durant son parcours, ainsi qu’un petit sac contenant une brassière mauve, à sa taille. «  Vous verrez, elle est très pratique. On peut la passer par le bas, précise Sabine. Je vous remets aussi un livret sur les différentes techniques chirurgicales et des échantillons de crème pour masser votre cicatrice. Votre chirurgien vous indiquera quand commencer.  » Et, comme à chaque fois qu’elle rencontre une patiente pour la première fois, elle insiste sur un point : «  Surtout, n’hésitez pas à me solliciter. Actionnez-moi comme un support de soin !  » Sandra sort rassurée :  « On lit tellement tout et n’importe quoi sur le Net. Ici, je suis sûre de la qualité des informations.  »

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10h : Après avoir longuement discuté avec Sabine et Chloé, Sandra, qui va subir une mastectomie est rassurée.
Photo : P.-E.Rastoin

11 h 10. La sonnerie du téléphone ramène Sabine dans son bureau. Au bout du fil, une patiente demande si l’atelier Sophro-Relax a bien lieu aussi en dehors de la clinique. Sabine confirme, rendez-vous est pris. À peine a-t-elle raccroché qu’un couple entre. Annick et son mari, Jean-Louis. C’est le jour du contrôle à un an. «  Tout va bien !  » lance Annick tout sourire. Elle n’a pas oublié le dernier jour de sa radiothérapie, un an plus tôt. Elle avait fondu en larmes, débordée par ses émotions et la perspective d’enchaîner avec l’hormonothérapie. Un sujet que Sabine maîtrise. Lors des soirées consacrées à cette méthode organisées par LISA, elle intervient en tant que patiente témoin aux côtés d’un oncologue et d’un diététicien… «  Je raconte l’histoire singulière que j’entretiens avec ce petit comprimé depuis plusieurs années. Il me rappelle mon passé, mais surtout il veille sur mon avenir. Prendre un tel médicament au long cours n’est pas anodin, mais on peut être écoutée, aidée et soutenue…  » Sabine sait. Sabine «  sent  ». Nul besoin de long discours pour instaurer un climat de confiance avec son interlocuteur. Son champ de compétences est suffisamment vaste pour lui permettre de passer avec une grande agilité du statut de patiente partenaire, ou témoin, à celui de patiente chercheur. «  Grâce à ma formation, j’ai appris à me raconter de manière pédagogique. Les connaissances médicales acquises auprès des Prs Joseph Gligorov et Catherine Tourette-Turgis et de tant d’autres m’ont offert une légitimité vis-à-vis des soignants. Cela a été l’occasion aussi de réfléchir à la notion de soin – le care – avec Cynthia Fleury. J’ai trouvé ma place.  » 

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Sabine reçoit de nombreux appels au cours de la journée : premiers contacts, renseignements sur les soins de support… Attentive, elle note tout.
Photo : P.-E.Rastoin

De belles rencontres

C’est l’heure de sa visioconférence avec deux autres patientes expertes, Sandrine et Véronique, rencontrées pendant son cursus. 11 h 30. Elles mènent ensemble un projet de recherche clinique avec le Cancéropôle île-de-France sur la gestion des crises en oncologie. Objectif ? Identifier ce qui peut être anxiogène pour un patient, et y remédier. 12 h 30. Sabine finit de consigner la synthèse de son entrevue avec Annick sur la plateforme sécurisée. «  Je me dépêche, dit-elle à Chloé. J’ai rendez-vous pour déjeuner avec une patiente. » Construire des relations «  hors les murs  », c’est aussi ça l’intérêt de son travail.

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11h : Annick et son mari, Jean-Louis, des habitués de LISA racontent leur dernière cure thermale à Dax : « On y va chaque année ensemble et cela nous fait un bien fou. »
Photo : P.-E.Rastoin

Quinze minutes de vélo plus tard, Sabine entre au Jardin pêcheur, un restaurant collaboratif qui emploie plus de 80 % de personnes handicapées. Elle y retrouve Karine, déjà attablée et qui consulte la carte. «  Tout me fait envie…  » souffle cette dernière. Les deux femmes s’embrassent, et Sabine s’exclame : «  Tes cheveux ont drôlement poussé !  » Karine et Sabine ? C’est une belle histoire. Un « cadeau » du cancer. «  On s’est rencontrées dans mon bureau, raconte Sabine, mais très vite on s’est téléphoné pour se raconter nos vies. » «  Sabine m’a envoyé des SMS à des dates clés de mon parcours, poursuit Karine les larmes aux yeux. Quand j’étais au 36e dessous, elle le sentait puisqu’elle était passée par là. » Après avoir essuyé la même tempête, elles partagent aujourd’hui des questionnements, des fous rires, et plein de mots en o : chimio, hormono, cancéro, mais aussi tuyaux ! Toutes deux aiment l’idée qu’après la maladie « on n’est plus ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Karine, responsable de la communication interne d’une grande banque régionale, sent que sa carrière pourrait prendre un tournant. «  J’ai suivi le programme Rose Coaching Emploi. Aujourd’hui, on vient me consulter quand un collègue est malade…  » «  C’est magnifique, tu peux devenir une personne ressource pour d’autres, s’enthousiasme Sabine. Comme moi ! »

En reprenant son vélo, elle songe à ce passage de relais. à cette longue chaîne de patientes qui remet l’humain au cœur du système de soin.

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12H30 : Moment privilégié, hors les murs, entre Sabine et Karine, qui vient de reprendre le travail.
Photo : P.-E.Rastoin

Devenir patiente experte

C’est Catherine Tourette-Turgis, enseignante en médecine à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, qui a créé le diplôme universitaire de patient expert en 2009. Objectif : proposer une formation aux personnes atteintes d’une maladie chronique (diabète, cancer, etc.), afin qu’elles acquièrent une expertise sur leur pathologie. Elles peuvent aussi participer à la conception des programmes d’éducation thérapeutique dans les associations de patients ou, comme Sabine, intervenir en tant que patiente partenaire dans les hôpitaux et les réseaux de soins. 

Les autres formations :
Université des patients Auvergne-Rhône-Alpes (Lyon)
Université Aix-Marseille

 

Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 17, p. 64)


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Céline Dufranc

Journaliste

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