Comment est née votre collaboration avec Sœurs d’Encre ?
Odré : Natalie Kaïd [fondatrice de l’association, NDLR] m’avait interviewée et photographiée alors qu’elle travaillait sur son livre, S’aimer Tatouée (paru en 2018 et réédité en avril 2022 chez Véga édition). Elle m’avait aussi parlé de son projet : organiser une semaine dédiée aux tatouages des cicatrices post-cancer du sein. Je m’intéressais déjà aux techniques de recouvrement de tatouages abîmés, ratés, ou dont on ne veut tout simplement plus, et qui peuvent créer de vrais complexes. Une option souvent encore moins onéreuse que l’effacement au laser…
J’ai participé à Rose Tattoo dès sa première édition, en octobre 2016. Ma façon de rendre hommage à une amie perdue à la suite d’un cancer du sein, et de me sentir utile.
Quelles sont les spécificités d’un tatouage de recouvrement de cicatrices ?
Cela colle bien à ma technique de free hand, à main levée [sans stencil, c’est-à-dire sans calque d’un dessin préalable posé sur la partie du corps à tatouer, NDLR]. Dessiner au feutre à même le corps permet de travailler au cas par cas, de s’adapter au mieux à la morphologie, aux cicatrices et de ré-équilibrer les proportions. On sublime le corps mais ce type de tatouage suit aussi un protocole médical spécifique, établi en collaboration avec des oncologues et chirurgiens. Cela représente un défi en soi, mais plus c’est compliqué, plus j’aime ça !
Quels motifs sont les plus demandés ?
Les fleurs ! Cela se conçoit, elles représentent un beau symbole de féminité. La restaurer après un cancer du sein, c’est l’idée même de ces tattoos. Les fleurs de cerisier sont très à la mode, mais elles ne vont pas nécessairement à tout le monde. Le dessin, on le co-créé le jour « j » avec la personne. En même temps qu’on parle de ses goûts, je réalise des ébauches en temps réel sur ma tablette. On est dans la spontanéité et dans l’échange pour qu’émerge le dessin le mieux adapté à la personne et à sa cicatrice, le tattoo “idéal“. Perso, une rose ne me transcende pas nécessairement. Ce qui me fait kiffer, c’est de trouver un angle original pour la tatouer. Quand, à la fin, j’entends « c’est exactement ce qui me correspond », c’est le plus beau des compliments !
Combien coûte un tatouage de recouvrement ?
Dans le cadre de Rose Tattoo, c’est gratuit. Sinon il faut compter entre 250 et 1000 euros. C’est une question de taille avant tout.
Qu’apporte votre travail à ces femmes touchées dans leur corps ?
À chaque Rose Tattoo, quand on prend les photos « avant », on les sent introverties, elles n’osent pas se montrer. Après la séance, elles bombent le torse, se promènent les seins à l’air. Elles sont à nouveau fières de leur corps, elles se revoient en tant que femme. Souvent, j’apprends qu’elles sont allées faire du shopping pour acheter de jolies robes décolletées, trouver des hauts qui dévoilent leur tattoo. Certaines se ré-inscrivent sur des sites de rencontres. C’est incroyable le pouvoir qu’un tattoo peut avoir ! Il leur permet de faire leur deuil, de tourner la page de cette phase de la leur vie, de passer à autres chose. Je ne dis plus « tourner la page du cancer » car hélas, depuis que je participe à Rose Tattoo, nous avons eu des personnes qui ont connu une récidive, et nous en avons aussi perdu certaines…
En six ans, quelle séance vous a le plus émue ?
C’est toujours fort émotionnellement. À chaque fois, on est toutes en pleurs à la fin. La première année, j’ai mis deux jours à m’en remettre. Ces histoires qu’elles nous racontent ! On en prend plein la vue auprès des survivantes de cancer. Ce sont de sacrées guerrières !
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Photographie : Anne-Charlotte Compan