Hier, 12 femmes – malades et anciennes malades – ont relevé un défi un peu fou pour sensibiliser au dépistage du cancer du sein : participer à la 35ème édition de la Traversée de Paris en aviron. La plus importante randonnée d’Europe : 25 kilomètres, au départ de la base nautique de l’Ile-De-Monsieur (Sèvres), bouclés autour de la majestueuse cathédrale Notre-Dame, actuellement en reconstruction. Tout un symbole.
Une randonnée virtuelle
Cette « balade », il était prévu qu’elles la fassent sur l’eau, aux côtés des centaines de rameurs inscrits à cet événement exceptionnel pendant lequel la navigation est stoppée sur la Seine. Mais la pandémie est passée par là. La Maison Rose de Paris (MRP), où ces femmes s’entrainent habituellement sur des machines, a fermé. Adieu donc la traversée de Paris sur yolette, ces élégants bateaux dans lesquels peuvent prendre place 4 rameurs et un barreur. Qu’à cela ne tienne : elles effectueront le même parcours en sécurité sur la berge. Et pour que l’expérience soit la plus réaliste possible, la Fédération Française d’Aviron a tout prévu : les rameurs ont été installés face à la Seine, à côté du ponton où les autres équipes prennent le départ. « Et nous avons enregistré en juin des images de la traversée depuis l’arrière d’un bateau, explique Yvonig Foucaud, responsable pédagogique du programme Aviron Santé et coach à la MRP. Les images vont défiler en temps réel sur un écran, placé devant les participantes, pour qu’elles aient quand même l’impression de naviguer sur la Seine. »
Une ambiance détendue
9h. Le départ est donné. Sur la Seine, les bateaux fendent l’eau, à grand coup de rames. Sur le quai, les rameurs sont immobiles. Les femmes ne ménagent pourtant pas leurs efforts. Comme en attestent les roues des machines qui tournent à plein régime. « Je ne suis pas frustrée de ne pas pouvoir aller sur l’eau. Sur la terre ferme, on est entre nous. C’est bon enfant. Sur la Seine, ça aurait peut-être été plus compétitif » reconnaît Isabelle, 50 ans. L’ambiance est en effet détendue. Les femmes se sont regroupées par équipes de 4. Chacune parcoure 1000 mètres. Et quand il s’agit de passer le relai, on s’interpelle : « Qui prend ma place ? » demande Isabelle. C’est Martine. Elle attendait son tour à l’ombre et se hâte pour rejoindre son équipe. « C’est bon mon mouvement, Jocelyne ? » s’inquiète Céline, tout en continuant de ramer. « Tu es parfaite. Vous êtes magnifiques ! » s’exclame Jocelyne Rolland.
La kinésithérapeute, qui répond toujours présente quand il s’agit d’encourager ses patientes, est à l’origine du concept Avirose : rééduquer le corps, meurtri par le cancer du sein et ses traitements, par le rameur. Martine, 63 ans, en a bénéficié et depuis, elle en fait la réclame auprès de toutes les malades : « Ça a changé ma vie ! J’avais une douleur intercostale à cause des rayons. C’était insupportable. Comme un marteau-piqueur. Je croyais que j’allais me la trainer toute ma vie. Grâce à Avirose, elle a totalement disparu. »
Avirose, une première étape avant de se jeter à l’eau
Mais pour Jocelyne Rolland, l’Avirose n’est qu’une étape. « Avirose a pour but de mener à l’aviron sur l’eau. Il s’agit de donner goût à l’activité physique et de faire en sorte que le sport fasse partie du quotidien de ces femmes. Pratiquer l’aviron en club, avec des partenaires, ça donne d’autres raisons de faire du sport que juste le faire parce qu’on a eu un cancer et qu’on a besoin d’une rééducation » confie Jocelyne.
C’est le cas pour Isabelle qui a découvert l’Avirose à la MRP et qui souhaite à présent s’inscrire dans un club d’Aviron Santé, un programme spécialement conçu pour les personnes souffrant de pathologies comme le cancer. « J’ai fait un stage d’une semaine cet été et ça m’a convaincue. Sur l’eau, on a une sensation de glisse et de liberté. Ça vide la tête. C’est un vrai moment à soi. »
Aurélie Benoit-Grange, directrice de la MRP, venue assister à l’événement, sourit en entendant la rameuse. « On a commencé à accompagner Isabelle quand elle était encore sous traitements. On l’a vue s’émanciper progressivement. C’est un bonheur pour nous de la voir prendre son envol ! J’ai l’habitude de dire que la MRP, c’est comme une boîte à outils : on y pioche ce dont on a besoin pour prendre confiance en soi et commencer à penser à l’après cancer. » Pari réussi.
La solidarité comme moteur
Les kilomètres défilent sous un soleil de plomb. Les visages rougissent. Après 1h30 de relai, le manque d’entrainement se fait sentir. Ça tire un peu dans les jambes. « C’est la première fois qu’on fait une aussi longue distance » explique Jocelyne Rolland. Les conditions sont difficiles. Elles n’entament pourtant pas le moral de cette joyeuse troupe. « On est toutes dans la même galère » s’amuse Isabelle. « Je ne pensais pas en être capable mais dès que j’ai envie de baisser les bras, quelqu’un m’encourage » confirme Bénédicte, 53 ans. « On est toutes solidaires, ajoute Laurence, 57 ans. Il y a une vraie cohésion. Et puis, on rame pour la même cause : inciter les femmes à se faire dépister. Ça aide à aller jusqu’au bout. »
Sur l’eau, la première équipe arrive : il s’agit du Cercle Nautique de France. Jacques-Antoine, un de ses membres, s’arrête pour observer les rameuses. « C’est génial ce qu’elles font ! Et puis, c’est presque plus dur que sur l’eau parce que nous, on peut lever les avirons de temps en temps pour se laisser porter et se reposer un peu. Franchement, bravo ! »
Se sentir comme les autres
Plus que quelques minutes avant la délivrance. Les encouragements s’intensifient jusqu’à éclater dans un cri lorsque la ligne d’arrivée virtuelle est franchie. La joie, elle, est bien réelle. « Au début, quand on est malade, on pense que ce sport n’est pas pour nous. Grâce à ce genre d’événement, on se sent comme tout le monde, s’enthousiasme Laurence. On se serait senties encore plus comme tout le monde si on l’avait fait sur un bateau avec les autres mais ce n’est que partie remise ! » Rendez-vous est pris pour l’année prochaine… sur l’eau cette fois !
Texte et photos : Émilie Groyer