Croire qu’un migrant bénéficie de la gratuité des soins sitôt arrivé sur le sol français relève de l’illusion. Les 25 assistantes sociales de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis en savent quelque chose. Sur le papier, tout parait simple : pour demander l’Aide médicale d’État (AME), il « suffit » de prouver que l’on vit en France sans titre de séjour régulier depuis au moins trois mois et ne pas dépasser 746€ de ressources mensuelles. Mais dans les faits, « c’est très compliqué et il n’y a aucune garantie de succès », explique Caroline Barbereau, la responsable du service social des patients de Delafontaine.
Documents administratifs impossibles à fournir
La démarche est d’autant plus compliquée que la liste des documents pouvant faire foi a rétréci. Depuis 2017, Pass Navigo (en région parisienne), billets de train, de bus ou même d’avion ne sont plus acceptés. L’ordonnance d’un médecin qui aurait prescrit des médicaments il y a quatre mois ou plus non plus, sauf s’il fournit une attestation de la consultation. Restent : la déclaration d’impôt – pas simple quand la plupart des aspirants travaillent au noir -, la facture d’électricité nominative, et bien sûr la quittance de loyer ou une attestation d’hébergement. À défaut, le postulant peut aussi fournir des attestations de travailleurs sociaux ou une domiciliation auprès d’associations…
Soigner sans chance de remboursement pour les hôpitaux
En attendant que les dossiers soient traités ? La vie continue et les soignants soignent… Ils parent au plus urgent. Sur leur budget propre. «Nos malades ne sont pas solvables de toute façon, indique Caroline Barbereau. Alors, qu’est-ce qu’on va leur facturer ? 700€ la nuit d’hôpital ? C’est justement le montant de ressources mensuelles qu’ils ne doivent pas dépasser pour avoir l’AME ! » Moralité : Si la prise en charge AME finit par être refusée, l’hôpital en sera pour ses frais. Avec le risque, à terme, de s’enfoncer lui aussi dans la misère. « Chaque fois que le dispositif d’accès à l’AME se complexifie, le risque financier s’accroit pour les établissements et peut en inciter certains à pratiquer l’autocensure », indique pudiquement le Dr François Lhôte, qui préside la commission médicale de l’hôpital Delafontaine. Traduction : à pratiquer le refus de soins des patients sans droits…