Mes patients détestaient la citation de Nietzsche : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Pour eux, les adversités qui ne les tuaient pas ne les rendaient pas plus forts, mais plus faibles, traumatisés, cabossés, inquiets et fragilisés ou complexés de ne pas être arrivés à devenir plus forts. Et si nous faisions au mieux ? Avec nos fragilités, nos cicatrices, qui font partie de notre histoire, et en portant un regard apaisé sur nous. C’est l’esprit du kintsugi. Cet art japonais considère que, lorsqu’un objet précieux se brise, il faut soigneusement le réparer, mais en rendant belle et visible cette réparation, d’un trait de laque à base d’or. Sublimer ainsi les cicatrices d’un objet fait qu’elles deviennent partie prenante de son identité. À l’image de ceux qui ont réussi à se remettre de leur épreuve et qui n’en ont pas gardé d’amertume ou de ressentiment. Qui, au contraire, ont progressé, se sont à la fois reconstruits et agrandis, améliorés, bonifiés… Ils ont pleuré, ils ont été consolés, ils ont travaillé à aimer de nouveau la vie et les humains. Ils ont recollé les morceaux brisés de leur vie, et peu à peu leurs cicatrices psychiques se sont recouvertes de l’or de la bienveillance et de la sagesse, d’une sagesse consolée.
« Devient plus fort de tes chances au lieu de devenir plus fort de tes malheurs. »
Aujourd’hui, chacun de leur sourire vaut de l’or, ils sont devenus kintsugi. En s’appuyant sur cette expérience traumatique qu’est le cancer, essayons simplement de vivre mieux qu’avant. On se fiche d’être plus fort ou moins fort. On est à la croisée des chemins. Peut-être pourrions-nous essayer une autre voie, celle de la croissance pré-traumatique, et remplacer l’agaçant « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » par une formule plus modeste : « Deviens plus fort de tes chances au lieu de devenir plus fort de tes malheurs ». On s’enrichit d’une épreuve lorsqu’on a compris ceci : notre vie est faite d’un enchaînement de merveilles simples. La personne qui a traversé l’enfer peut alors regarder sans crainte en direction de l’avenir, elle n’y voit pas la mort qui vient, mais la vie qui reste. Il n’y a plus qu’une chose à faire : se jeter dans ses bras et continuer de s’émerveiller.
Urgence de vivre
Le cancer du poumon qui l’a touché en 2015 a changé sa vie. Depuis, Christophe André (66 ans en juin 2022) a cessé d’exercer son métier de psychiatre. Installé aujourd’hui en Bretagne, ce spécialiste des troubles émotionnels se consacre à l’écriture. Dans son dernier essai, Consolations. Celles que l’on reçoit et celles que l’on donne (éditions de L’Iconoclaste), il nous rappelle que la maladie nous ouvre les yeux sur l’urgence de vivre.
Par Christophe André