Comme si l’angoisse du diagnostic ne suffisait pas, les personnes touchées par le cancer affrontent un cortège d’informations particulièrement inquiétantes. Après les mois éprouvants de la première vague de la pandémie de Covid-19, et les interrogations liées notamment à la déprogrammation de nombreux actes prévus à l’hôpital, c’est la question de la disponibilité des traitements qui occupe aujourd’hui la scène médiatique.
Tension sur les médicaments
Signalé de manière récurrente, ce problème aux causes multiples a tendance à s’accroitre, comme le prouvent les données collectées par l’agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé. Depuis dix ans, cette instance impose aux industriels du médicament de lui signaler tout événement de rupture de stock ou de risque de rupture de l’un des produits qu’ils commercialisent. Entre 2013 et 2019, le nombre d’évènements signalés est passé de 404 à 1499.
En septembre 2018, un groupe de sénateurs relevait, dans le cadre d’une mission d’information que 22% des spécialités concernées étaient utilisées en cancérologie, qu’il s’agisse de produits visant à traiter la maladie elle-même ou de substances ayant d’autres effets, comme l’atténuation de la douleur, par exemple. Il ne s’agit pas stricto sensu de médicaments contre le cancer, chimiothérapie ou immunothérapies mais de spécialités entrant dans des traitements d’accompagnement (corticoïdes, hormonothérapies) etc…
La semaine dernière, dans le cadre du lancement d’une campagne de la Ligue contre le cancer, le professeur Axel Kahn soulignait de son côté qu’au cours des dix dernières années, « quarante médicaments anticancéreux avaient été concernés à un moment ou à un autre par une situation de tension ». Et d’appeler à témoigner sur un site ad hoc.
Une cascade d’informations anxiogènes pour des patients déjà éprouvés, et d’autant plus déstabilisante qu’elle n’est pas facile à relativiser, faute d’éléments complémentaires sur la nature précise et la durée de ces ruptures ni sur les conséquences concrètes pour le suivi des personnes concernées. Pour éclairer ces éléments, le docteur Laurence Escalup, directrice de la pharmacie de l’Institut Curie, et le professeur Jean-Yves Blay, président d’Unicancer, ont répondu à nos questions.
Actuellement aucun anti-cancéreux en rupture en France
Première information : en France, aucune substance anticancéreuse n’est actuellement en situation de rupture. Cette situation d’indisponibilité totale s’est en revanche bel et bien produite par le passé. Mais, rarement (même si c’est déjà trop). Cela a par exemple été le cas pendant quelques mois, en 2011, pour un anticancéreux, le Caelyx, utilisé chez certaines patientes touchées par un cancer de l’ovaire ou un cancer du sein métastatique. Cette pénurie faisait suite à un incident de production survenu dans son unique usine de production.
Plus récemment, c’est un traitement adjuvant utilisé pour limiter les risques de rechute de cancer de la vessie, le BCG, qui s’est trouvé en rupture de stock à plusieurs reprises. En 2017, après quatre années de pénurie liées à un accident technologique dans son usine au Canada, l’unique fabricant de l’époque, Sanofi, faisait le choix de jeter l’éponge à cause de la piètre rentabilité du produit. Nous avions à l’époque alarmé sur la situation et les difficultés de l’allemand Medac SAS, producteur d’une souche similaire, à prendre le relais (lire Rose Magazine n°13, p. 24). Rebelote en octobre 2019, puisque Medac SAS, désormais seul à posséder une autorisation de mise sur le marché en France, rencontrait à son tour des difficultés de production. Le groupe Merck Sharp and Dohme (MSD), ayant obtenu dans la foulée une autorisation temporaire d’importation, s’est toutefois retrouvé confronté à une demande importante, générant une tension persistante.
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Accident industriel, problème logistique, impératifs de sécurité sanitaire, ou encore tensions entre les États et les industriels sur les prix : les causes sont multiples. « Dans la plupart des cas, nous parvenons toutefois à anticiper ces difficultés, en travaillant avec les génériqueurs, en constituant nos propres stocks et avec l’appui des industriels, qui se sont engagés auprès des hôpitaux à prévenir des difficultés d’approvisionnement à venir, faute de quoi ils s’exposent à une rupture de leurs contrats », détaille le Dr Escalup, la directrice de la pharmacie de l’Institut Curie. Dans les cas les plus tendus, un recensement précis des malades est même opéré en bonne intelligence entre hôpitaux et industriels avant d’initier un traitement donné. Les soignants sont, d’autre part, le plus souvent en mesure, lorsque c’est nécessaire, de trouver des alternatives thérapeutiques, au point que les tensions existantes sont parfois transparentes pour les patients.
Des pharmacies de ville vite dépassées
La situation est en revanche différente pour les pharmacies de ville, nécessairement moins coordonnées et qui ont chacune peu de patients ayant besoin de tel ou tel médicament. « Tous les oncologues ont été un jour ou l’autre un patient qui revient de la pharmacie en indiquant que le traitement prescrit n’a pas pu leur être délivré. Cette situation les inquiète en général beaucoup, ce qui est bien compréhensible », témoigne le professeur Jean-Yves Blay, président d’Unicancer. Vous avez été nombreuses à vous émouvoir sur notre communauté RoseUp de tensions sur certaines hormonothérapies. « Ces ruptures ne durent en général pas plus de deux à quatre semaines. Par prudence, mieux vaut toujours anticiper le renouvellement de ses médicaments, et de ne pas attendre d’avoir complètement fini une boîte avant de commander la suivante. », conseille le Dr Escalup . « Tournez vous aussi vers votre oncologue, qui pourra vous rassurer », complète Jean-Yves Blay. « D’abord lorsque les délais sont courts comme c’est presque toujours le cas, les conséquences s’apparentent à celle d’un oubli de prise, et ne sont généralement pas significatives. Dans le cas contraire, des solutions existent et votre médecin pourra vous en parler ».