Marina Carrère d’Encausse s’intéresse depuis de nombreuses années à la fin de vie et elle défend le droit de chacun à choisir le moment de mourir. Ce sujet la touche de près. Son compagnon souffre de la maladie de Charcot, une maladie incurable, et il souhaite pouvoir choisir quand et comment partir. Leur rencontre est le point de départ d’un documentaire très intimiste baptisé « Fin de vie : pour que tu aies le choix » diffusé le 26 septembre sur France 5. La journaliste et médecin a sillonné la France, la Belgique, la Suisse et le Canada – pays dans lesquels l’euthanasie ou le suicide assisté sont autorisés – pour rencontrer des malades concernés par la fin de vie, des soignants en unité de soins palliatifs, des politiques. Et faire le point sur cet épineux sujet. Il est dans l’actualité. Un projet de loi autorisant « l’aide active à mourir » sera examiné à l’Assemblée nationale en 2024.
Pourquoi avoir voulu faire ce documentaire ?
Marina Carrère d’Encausse : Cette enquête de Magali Cotard a été réalisée pour donner des clés et des moyens pour réfléchir et se positionner sur cette question. Elle m’intéresse depuis longtemps. Si moi, je m’engage pour l’euthanasie, le documentaire, lui, n’est pas du tout militant. Ce que je voulais, c’était essayer d’apporter des éléments de réponse afin que chacun puisse se faire une idée et une opinion sur ce qu’il veut pour sa fin de vie ou pour celle de ses proches.
« Fin de vie : pour que tu aies le choix », pourquoi ce titre ?
C’est pour rappeler que c’est d’abord la volonté du patient. Il est au centre de tout ça. C’est à lui de dire qu’il souhaite arrêter de vivre quand il estime qu’il y a trop de souffrance, plus aucun espoir, mais seulement l’horreur devant lui.
Seriez-vous prête à aider votre compagnon Antoine, atteint de la maladie de Charcot, à mourir s’il vous le demandait ?
En tant que médecin, je serai capable de faire un geste qui est illégal en France si la souffrance devenait intenable et s’il n’y avait aucune issue. À un moment, c’est de l’humanité.
À l’heure actuelle, la sédation profonde ne vous semble-t-elle pas être une réponse suffisante pour aider les patients en fin de vie ?
Cette sédation profonde et continue est bien sûr une solution. Mais c’est une solution qui n’existe que pour les patients qui sont en toute fin de vie, à quelques jours de la mort. C’est là où la loi ne va pas assez loin. Elle ne prend pas en compte les patients qui sont en dépendance totale tels que ceux atteints de la maladie de Charcot ou du « locked-in syndrom » comme Jean-Dominique Bauby¹. Ils ne sont pas des patients en fin de vie, donc ils ne répondent pas à la loi².
Au Canada, l’euthanasie est dépénalisée. D’ailleurs, dans le documentaire, un médecin canadien estime qu’une société qui autorise l’euthanasie est une société plus humaine. Êtes-vous d’accord ?
C’est ce que je pense. D’ailleurs, on entend les patients le dire. Souvent, le dernier mot qu’ils prononcent, c’est « merci ». C’est un geste d’humanité, c’est pour cela que je n’aime pas qu’on associe l’euthanasie au geste de tuer. Je ne considère pas que ce soit ça, j’estime qu’on est dans le soin ultime.
Quelle est la différence entre euthanasie et suicide assisté ?
L’euthanasie est un geste qui consiste à injecter un produit qui entraîne la mort en quelques minutes. Elle est pratiquée par un médecin. Selon les pays, la décision est prise par deux ou trois médecins en amont, il y a un délai et les patients doivent répéter plusieurs fois qu’ils sont d’accord. Pour moi, ce n’est pas tué. C’est un geste de soin, comme la sédation profonde et continue. Dans le cas d’un suicide assisté, autorisé en Suisse, le médecin examine le patient et s’il considère qu’il est dans le cadre de la loi, il rédige une ordonnance pour la potion. Cette dernière est achetée en pharmacie. Ce sont ensuite des associations qui prennent le relais. Des bénévoles sont présents le jour décisif, avec un soignant ou pas, au côté du patient. C’est lui qui doit boire lui-même sa potion, sauf cas exceptionnel où il n’est plus capable de déglutir. Là, on met une perfusion. Mais même dans cette situation, c’est le patient qui doit appuyer sur la perfusion. Il faut donc avoir la capacité de pouvoir boire ou d’appuyer sur le bouton, ce sont les limites du suicide assisté.
Pourquoi vous engagez-vous pour l’euthanasie plutôt que le suicide assisté ?
Parce que je pense que c’est au médecin d’accompagner la vie jusqu’au bout, c’est la raison pour laquelle je préfèrerai qu’on aille vers le modèle belge plutôt que le modèle suisse. Oui, c’est difficile, c’est douloureux, mais c’est un geste qui reste rare.
Selon vous, la France est-elle prête pour l’euthanasie ?
Peut-être que tout le monde n’est pas d’accord, mais une majorité de Français l’est. C’est ce que l’on observe dans les sondages. Le comité d’éthique a donné son accord, la convention citoyenne est d’accord. Après, il faut que l’on soit clair, si la loi passe, personne n’est obligé de se faire euthanasier ou d’en bénéficier. C’est une possibilité que l’on offre à certains patients qui souffrent dans des conditions épouvantables. Aujourd’hui, on me dit qu’aucun médecin n’acceptera de faire des euthanasies, mais on connaît déjà des médecins qui se cachent et qui en font, pour soulager leurs patients. Dans le documentaire, le docteur Denis Labayle en parle ouvertement. Par ailleurs, on n’a pas besoin que tous les médecins de France acceptent de la pratiquer, car il s’agit d’apaiser, éventuellement, 3 % des patients en fin de vie. En Belgique, il n’y a pas d’explosion des morts par euthanasie et il y a assez de médecins pour l’assumer³.
Qu’est-ce qui vous a le plus touché pendant le tournage ?
Honnêtement, j’ai trouvé les patients d’une force incroyable, rarement tristes et très courageux. Dans le film, on voit Michel, un Belge atteint d’un cancer du pancréas. Il vivait ces derniers jours, c’était terrible. Mais en le quittant, je n’étais pas désespérée ou triste. Je suis sortie bouleversée et surtout impressionnée. Il terminait sa vie de manière apaisée. C’est le signe de soins palliatifs réussis.
Dans le documentaire, vous nous apprenez qu’il y a un manque d’accès aux soins palliatifs en France, surtout à domicile…
Ce sont 300 000 personnes qui devraient bénéficier de soins palliatifs en France, et il y a moins de 100 000 personnes qui en bénéficient réellement. C’est monstrueux. Cela signifie que les 200 000 autres patients meurent mal. On a un boulot de fou à faire !
Qu’espérez-vous provoquer chez les téléspectateurs avec ce documentaire ?
J’aimerais que les gens se disent après l’avoir vu : « Je ne savais pas ça, je comprends ». J’aimerais que chacun puisse se dire « voilà ce que je souhaiterais pour ma fin de vie », qu’ils puissent en discuter et écrire leurs directives anticipées quel que soit leur âge. C’est important de pouvoir exprimer ce que l’on veut pour le jour où l’on n’est plus en capacité de le faire. Si le nombre de directives anticipées explosent après la diffusion du film, j’en serai fière.
INFO +
Regardez « Fin de vie : pour que tu aies le choix », mardi 26 septembre sur France 5 à 21 h 05. Un documentaire avec Marina Carrère d’Encausse, réalisé par Magali Cotard.
Propos recueillis par Sabine Bouchoul
(1) Journaliste, Jean-Dominique Bauby était atteint du syndrome d’enfermement. S’il avait toutes ses capacités intellectuelles, il ne pouvait plus bouger, uniquement une paupière. Il est décédé en 1997, la même année que la parution de son autobiographie « le Scaphandre et le Papillon ».
(2) La loi Claeys-Leonetti de 2016 a renforcé le droit d’accès aux soins palliatifs et a permis une meilleure prise en charge de la souffrance. Elle reconnaît le droit du patient à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, seulement en phase terminale.
(3) En 2022, la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie a rapporté que la proportion de décès par euthanasie déclarée était de 2,5 % sur l’ensemble des décès enregistrés en Belgique (contre 2,4 % en 2021).