7H30 – Dans la salle du petit déjeuner, Céline, Corinne et Agnès, pas franchement réveillées, se préparent une tisane. « Je vais goûter la Detox », murmure Céline, qui se remet doucement d’un cancer des ovaires. « Il faut se dépêcher, lance Florence. Le prof de yoya nous a dit 7 h 55 devant la salle de bal. » La petite troupe se presse vers l’entrée majestueuse du château Laborde Saint-Martin, près de Blois. Floriane, Anne et Liliane, trois autres participantes, les attendent déjà. Édith, la directrice de la formation Michelin France, elle-même ancienne patiente, les accueille à la porte. « Alors, bien dormi ? » demande celle qu’on surnomme la maman. Bienvenue à la Maison de la vie !
Un projet né d’une belle rencontre, celle d’Anne Teffo, déléguée générale adjointe de la Fondation d’entreprise Michelin, et du groupe associatif Siel Bleu.
La première souhaitait créer un lieu dédié aux personnes ayant eu un cancer. Le second s’attache depuis dix-huit ans à redonner le sourire à des hommes et à des femmes fragilisés en faisant de l’activité physique un outil thérapeutique à part entière. « J’ai moi aussi été touchée par la maladie, raconte Anne. Alors redonner ce souffle de vie à des personnes confrontées à la même épreuve relevait pour moi de l’évidence. C’est à la fin des traitements, quand on nous parle de rémission, que l’on a le plus besoin d’échanger et d’être épaulé. En cela, cette parenthèse de cinq jours pendant laquelle on peut prendre le temps de vivre et de soufler pour retrouver son chemin, entouré de personnes bienveillantes, constitue un vrai luxe. »
« Notre rôle est de donner quelques clés pour aborder la vie après la maladie de manière plus sereine », confirme Sébastien Goua, chef de projet de la Maison de la vie.
« À quelle heure vais-je bien pouvoir caser mon massage avec Gwenaëlle ? »
Tour à tour clown, psy, chauffeur, confident, rock star, « Seb » sait tout faire, surtout faire rire ! Moralité : il est le chouchou de ces dames… À ses côtés, Floriane. La jeune femme est en stage, avant de pouvoir elle aussi superviser de prochains séjours. Troisième joyeux luron, Valentin. Chef cuistot tout beau, tout bio, membre du mouvement anti-gaspillage alimentaire Disco Soupe à Lyon, il est le roi de la débrouille. Sa spécialité : cuisiner à l’instinct et en musique – à fond –, pour notamment accommoder les restes avec maestria. Toutes les filles rêvent de le ramener à la maison.
9H30 – « Miam ! Un miam-Ô-fruit ! » se réjouit Agnès, affaiblie depuis qu’elle sait qu’elle va devoir reprendre sa chimio après son opération du cerveau. La veille, elle a donné sa recette à Seb, qui l’a adoptée illico : « Banane écrasée, jus de citron, mélange d’huiles secrètes, graines de lin, fruits secs, abricots… » commente- t-il en posant le lait d’avoine et la pâte à tartiner – sans huile de palme ! – sur la nappe à pois rouges.
Après le yoga, c’est l’heure du petit déjeuner. Au milieu du brouhaha, la voix puissante de Florence résonne : « Le silence dont parle le prof de yoga, je n’y arrive pas ! Quand il nous dit que le silence est intérieur, ça me fait rire ! Moi, à l’intérieur de mon corps, j’entends plein de bruits ! » « Surtout quand tu ronfles un peu à la fin de la séance ! » l’interrompt Agnès en riant.
Sophie, la dynamique responsable Siel de la région Centre-Val de Loire, fait son entrée : « Ce matin, les filles, marche nordique le long de la Loire ! » Bravant une pluie fine, le petit groupe quitte le parc. « On va s’échauffer un peu et voir comment tenir son bâton, démarre Sophie en faisant des moulinets avec les épaules. Les bâtons vous aident juste à vous propulser. Marchez à votre rythme en laissant faire le balancier naturel de vos bras. Après, vous pourrez poursuivre cette activité chez vous. » La pluie tombe de plus en plus fort. « Il est où le soleil, il est où ? » chantonne Seb, avant que le groupe ne reprenne en chœur la chanson de Christophe Maé. Corinne marche loin devant. « On va la perdre ! » s’esclaffe Florence. « Je vous trouve bien dissipées, lance doctement Sébastien au milieu des rires. Vous rigolerez moins au bout de 30 km ! Non, c’est une blague ! » « Tant mieux, parce qu’on a faim ! » répond Édith. L’heure tourne. Après quelques étirements, l’équipe reprend le chemin du château.
12H30 – Retour à la Maison de la vie.
Un morceau de black metal s’échappe de la cuisine. Valentin arrive en tourbillonnant, un plat fumant à la main : « Mangiare, mangiare ! » Sur la table joliment dressée, une salade de concombres au fromage frais fait de l’œil à un velouté de pois chiches et à un caviar d’aubergines. « Faites gaffe, les filles ! Tout ce qui ne sera pas mangé finira en galette ou en cake », lance Seb.
« Moi, j’achète des bâtons direct en rentrant, annonce Florence. Mon mari ne va pas en revenir ! Dire que je m’étais lancé un défi en venant ici ! Maintenant, le défi , ça va être de repartir. » « Comment as-tu su que la Maison de la vie existait ? » demande Anne à Céline. « Ma mère m’en a parlé, lui répond-elle. Au début, elle m’a dit ‘‘attention ma fille, c’est peut-être une secte ! » Éclat de rire général.
14H00 – Édith et Floriane donnent le signal du départ. Dans cinq minutes commence l’atelier d’écriture autobiographique. Le jour de son arrivée, chaque participante avait choisi plusieurs mots. Aujourd’hui, devoir sur table autour de trois d’entre eux, à choisir parmi fatigue, pleurer, éviter la réalité, lâcher prise, famille… « Que fait naître le mot en vous ? Si une émotion monte, laissez-la venir, explique doucement Édith. Ce n’est pas un concours littéraire. Restez dans votre bulle avec votre mot. C’est un moment pour vous. »
Les écrits des participantes seront lus par Françoise Gillard, sociétaire à la Comédie française.
Édith a participé au séjour pilote organisé un an plus tôt avec Anne Teffo et Sébastien. Bientôt à la retraite, elle souhaite continuer à jouer les accompagnatrices : « Ce groupe, constitué depuis deux jours à peine, a la merveilleuse capacité de partager des confidences, des chagrins, de l’humour, les talents des unes et des autres… Ce qui se passe ici est magique ! »
15H00 – L’atelier s’achève. Liliane quitte la pièce sur la pointe des pieds. elle a rendez-vous avec Gwenaëlle, la socio-esthéticienne, pour un massage planant.
Céline, fan de tricothérapie depuis qu’elle a patienté des heures au centre Léon-Bérard, à Lyon, reprend son ouvrage multicolore, tandis qu’Anne et Agnès papotent.
Corinne va se balader dans le parc. Seul le bruit des casseroles rappelle qu’un dîner se prépare. Et quel dîner ! « Ce soir, nous avons des invités ! » rappelle Édith.
Françoise Gillard, sociétaire à la Comédie française, séduite par cette Maison de la vie que lui a présentée Anne Teffo, les rejoint. Demain, après la séance de yoga, elle lira les textes des résidentes dans la salle de bal. Les filles sont impressionnées. L’artiste a tout de même été élue Meilleure Comédienne aux Beaumarchais 2013 pour son rôle d’Antigone dans la pièce de Jean Anouilh. Seb est allé la chercher à la gare.
Entre-temps, Mathieu et Meguy, photographes, sont arrivés en voiture de Clermont-Ferrand. Demain, ils animeront l’atelier autoportrait. « Ouh, moi, les photos, c’est plutôt Snapchat [l’appli qui permet toutes les transformations, tous les travestissements, NDLR], rigole Florence. Au moins, je peux me cacher ! »
19H30 – Les filles mettent la table. Les nouveaux arrivent. Le cercle s’agrandit. « Demain, on ira visiter les caves, annonce Seb, et le château de Chaumont-sur-Loire. » Françoise Gillard s’installe. Ce n’est pas son premier séjour dans la Maison de la vie. Attentive, délicate, elle a un mot gentil pour chacun.
Au menu, « un tian vaut mieux que deux tu l’auras », annonce celui que toutes surnomment désormais le « cuisinier fou ». Tout en servant sa voisine, Corinne raconte son chemin de Compostelle, pendant que Céline partage ses recettes détox : « Desmodium et chardon-Marie, ça vous transforme un foie d’alcoolique en foie de bébé ! » Agnès confie son angoisse : depuis l’annonce de sa reprise de chimio, elle cherche le moyen d’optimiser son alimentation : « Bio, cétogène, jeûne… Ce n’est pas facile de savoir, les médecins ne vous parlent de rien. »
22H00 – « Allez, au lit les filles, demain, yoga à 7h30 !» D’un seul mouvement, le groupe débarrasse la table. Quelques embrassades et une tisane « Bonne Nuit » pour la route… Une à une, les lumières s’éteignent dans les chambres. On entend au loin la voix du propriétaire des lieux, le « châtelain », comme on l’appelle ici. Son chant baroque résonne dans tout le parc. Plus qu’une journée avant de se dire au revoir…
Avant le départ, les hôtes Édith, Floriane et Seb proposeront un petit tour de table. Un rituel joliment baptisé Petits Pas. « On demande à chaque participante quels seront ses prochains petits pas, explique Sébastien. Acheter des bâtons de marche ? Revoir le contenu des placards de sa cuisine ? Faire découvrir le tofu à son mari ? Dire à ses proches à quel point elle les aime ? » Mais petit pas ou gros défi , peu importe… L’essentiel est ailleurs. Dans les bonnes ondes de cette maison. Dans le réservoir de vie qu’elle offre et dans lequel chacune pourra piocher à tout moment. Pour reprendre son souffle.
INFO +
S’inscrire: maisondelavie.fr
Tarif: Une participation financière est demandée à chacune en fonction de ses moyens.