Octobre 2015, Perpignan. Pour Mireille (55 ans), le diagnostic tombe : elle souffre d’un carcinome infiltrant au sein gauche. Dès le début de sa radiothérapie, elle comprend que les choses vont être difficiles : « Au bout de deux semaines, à raison d’une séance par jour, j’avais la peau à vif. J’étais brûlée au niveau du sein, bien sûr, mais aussi du cou, de l’aisselle et du sternum. Je souffrais tellement que je ne pouvais même plus enfiler un tee-shirt. Je ne dormais plus. Mon médecin traitant m’a alors dit : ‘‘Écoutez, je veux bien vous prescrire des pansements, mais je crois que ça ne suffira pas. En revanche, je connais quelqu’un qui pourrait vous aider.’’ »
Ce quelqu’un, c’est Roger Blandignères, magnétiseur et coupeur de feu à Saleilles (Pyrénées-Orientales), ancien gendarme et célèbre dans toute la région. « Au début, il n’en était pas question, poursuit Mireille. Je n’allais pas laisser un charlatan s’occuper de moi ! Et puis, après quinze jours à souffrir le martyre, mon mari m’a forcé la main : ‘‘Qu’est-ce que tu as à perdre ?’’ m’a-t-il demandé. » Un peu à reculons, Mireille finit par prendre rendez-vous. Le jour J, elle s’allonge, tout habillée, sur la table d’examen : « M. Blandignères a passé sa main au-dessus de mes brûlures et j’ai ressenti une grande chaleur, comme si j’étais entrée dans un four. Ça a duré dix minutes environ. Ensuite, il s’est lavé les mains. Je n’avais plus mal du tout et la nuit suivante j’ai dormi comme un bébé ! » Au total, Mireille fait quatre séances. « J’ai terminé ma radiothérapie le 3 novembre et le 7 décembre je reprenais le travail. Mes collègues n’en revenaient pas : je n’avais plus mal et presque plus de cicatrices. C’était absolument incroyable. Je pense qu’il faut se rendre à l’évidence : même lorsqu’on n’y croit pas, les coupeurs de feu, ça fonctionne ! »
Confirmation de Josée, 60 ans, à qui on diagnostique un carcinome lobulaire au sein droit en octobre 2016. Elle subit une tumorectomie fin novembre, immédiatement suivie par la radiothérapie. Tout va un peu vite pour Josée, qui a du mal à supporter les rayons. Parce qu’elle souhaite se « faire aider », elle demande par hasard conseil à sa podologue, qui lui indique spontanément Roger Blandignères : « Je lui ai laissé un message sur son répondeur et il m’a rappelée dans la foulée. J’étais contente de tomber sur quelqu’un d’humain. Ça me changeait des longs délais d’attente habituels… »
Grande chaleur
La pièce dans laquelle le coupeur de feu reçoit ses patients est minuscule mais accueillante. Au mur, une phrase célèbre les vertus du lâcher-prise et, en tendant l’oreille, on entend le bruit des vagues et de bols tibétains. Mais rien d’extravagant non plus : pas de Bouddha, pas d’attrape-cauchemars… « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? » demande Roger Blandignères à Josée en l’installant sur la table d’examen. « Pas super, lui répond-elle. J’ai dormi deux heures cette nuit, j’ai du mal à respirer, j’ai l’impression d’être un poisson hors de l’eau. » « Je vais vous aider, ne vous inquiétez pas. Ce soir, vous dormirez comme un poupon ! » Il s’humidifie les mains avec un spray (« Rien que de l’eau, vous pouvez vérifier ! C’est pour ne pas attraper le feu ») puis les pose sur le ventre de Josée qui, imperturbable, fixe le plafond : « C’est ma quatrième séance avec M. Blandignères. La première fois, c’était en janvier. Je me disais : ‘‘On verra bien. Si je me sens mieux, je reviendrai. Sinon, tant pis.’’ À la fin du premier rendez-vous, j’étais convaincue. Enfin, j’avais trouvé quelqu’un qui allait me soulager… » Au bout de quelques minutes, Roger Blandignères déplace ses mains sur le sein droit de sa patiente, à travers son pull, puis sur son front. « Je ressens une grande chaleur, confie-t-elle. Il se passe quelque chose. Comme si on m’enlevait un grand poids. » Après quarante-cinq minutes, Josée se sent déjà mieux : « Je respire moins difficilement, je suis comme requinquée. » Jusqu’au terme de sa radiothérapie, fin mars, elle reviendra chaque semaine. « Si je pouvais venir tous les jours, je le ferais ! »
Retours bluffants
Pensée magique ? Roger Blandignères parle plutôt d’un « acte de médecine parallèle » : « Physiquement, couper le feu me demande un effort. C’est une question de magnétisme, de force mentale. On vient me voir pour beaucoup de choses : des brûlures, des radiothérapies, des zonas, des fièvres… Toutes les pathologies liées au feu, de près ou de loin. Lorsque le patient arrive, ça se passe toujours de la même manière : je passe mes mains au-dessus de la zone douloureuse et le feu remonte le long de mes bras. Je dois alors vite me rincer à l’eau froide pour ne pas attraper le feu moi-même, ce qui se traduit par des bouffées de chaleur, des sueurs… Bien sûr, la brûlure ne disparaît pas instantanément. En revanche, la douleur diminue de manière significative et la cicatrisation est plus rapide. Je peux même travailler avec des personnes qui n’y croient pas ! »
En France, il y aurait environ 6 000 coupeurs de feu en activité. Héritiers des « guérisseurs » du Moyen Âge européen, ils se font surtout connaître par le bouche-à-oreille. « Quand je faisais ma radiothérapie, il y avait des noms qui circulaient, confirme Mireille. Mais pas trop fort, parce que la plupart des médecins n’aimaient pas ça… »
En France, il y aurait environ 6 000 coupeurs de feu en activité.
« Le corps médical a tendance à ne croire que ce qui est validé par des publications scientifiques, confirme le Dr Claude Boiron, cancérologue et médecin en soins de support à l’Institut Curie. Pour l’instant, aucune évidence clinique ne prouve formellement l’efficacité des coupeurs de feu : c’est la raison pour laquelle les médecins y sont généralement opposés. » Pourtant, à titre personnel, la spécialiste en est convaincue : les coupeurs de feu, ça marche. « J’ai des retours vraiment bluffants de la part de mes patients. Généralement, ils se tournent vers un coupeur de feu dès le début de leur radiothérapie, pour prévenir les lésions cutanées provoquées par les rayons (on parle de radio-épithélite). Ou alors ils souffrent d’un zona provoqué par une faiblesse immunitaire. Mon point de vue, c’est qu’à partir du moment où ça leur fait du bien c’est positif. Il n’y a aucune interaction possible avec les traitements, aucune contre-indication, alors pourquoi ne pas encourager la démarche ? Finalement, les patients sont peut-être plus innovants que les médecins, parfois… » En revanche, des précautions s’imposent. « Le coupeur de feu, comme l’homéopathe ou le magnétiseur, ne doit proposer que des actes de médecine complémentaires, pratiqués en soutien des traitements classiques, précise le Dr Boiron. Le patient ne doit absolument pas abandonner son traitement pour soigner son cancer avec des plantes ou des incantations mystiques. »
En région Auvergne-Rhône-Alpes, l’Association grenobloise d’aide à la recherche en oncologie (Agaro) recourt aux services d’un coupeur de feu depuis maintenant six ans. « Ce dernier travaille bénévolement dans nos locaux une fois par semaine, explique le Pr Mireille Mousseau, oncologue et présidente de l’association. Cette initiative a été lancée à la demande des patients et les retours sont très positifs. » Selon l’oncologue, il est nécessaire de bien choisir son coupeur de feu : « Il y a énormément de charlatans dans le milieu. Ce que nous conseillons, c’est de faire confiance au bouche-à-oreille, de choisir une personne avec laquelle on a d’emblée un bon feeling et, surtout, de vérifier les tarifs en amont. Dans l’idéal, optez pour un coupeur de feu bénévole… » Dans son petit cabinet de Saleilles, Roger Blandignères regrette que la coopération entre les médecins et les thérapeutes « non conventionnels » ne soit pas plus développée : « Nous avons tellement à nous apporter mutuellement. »