Depuis qu’elle a subi une autogreffe ganglionnaire, Alexandra revit. Souffrant d’un lymphœdème à la jambe consécutif à un cancer du col de l’utérus, la jeune femme ne s’est pas résignée à vivre dans un fauteuil roulant. « J’ai tout essayé, raconte-t-elle. Drainages lymphatiques, pressothérapie, bains de mer en avril à Saint-Malo, mobilisation de mon entourage pour masser ma jambe jusqu’à épuisement… » Rien n’y a fait.
En surfant sur la toile, Alexandra découvre finalement l’ALNT : Autologous Lymph Node Transplantation, ou autotransplantation ganglionnaire… « Il s’agit d’une autogreffe (le greffon provient du patient lui-même) réalisée à partir d’une masse tissulaire graisseuse contenant des ganglions sains et leurs vaisseaux nourriciers (en langage chirurgical, un lambeau), explique le Dr Corinne Becker, qui a mis au point cette technique il y a vingt ans. Le greffon est transplanté au niveau de la région ganglionnaire ayant subi une exérèse. »
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Des vaisseaux raccordés avec un fil plus fin qu’un cheveu
Pourquoi greffer toute une masse tissulaire ? Parce que, pour fonctionner, les ganglions prélevés ont besoin d’être nourris par des apports sanguins. Lors de l’intervention, les vaisseaux du greffon sont d’ailleurs raccordés aux vaisseaux receveurs sous microscope, avec un fil plus fin qu’un cheveu. « Il est parfois nécessaire de compléter la greffe par une liposculpture, puis de recommencer six mois plus tard, ajoute le Dr Becker. Pour ne pas abîmer les canaux lymphatiques pendant l’opération, on les observe avec un laser, après les avoir localisés grâce à un colorant vert fluo. Une fois en place, les ganglions transplantés vont remplir le rôle de ceux préalablement enlevés lors du curage ou neutralisés par les rayons. Pour les lymphœdèmes très volumineux, comme on ne peut pas prélever plus de 4 ou 5 ganglions de peur d’entraîner un lymphœdème sur le site donneur, il est parfois nécessaire d’effectuer deux transplantations. On peut prendre des ganglions dans le creux inguinal, au niveau du cou ou encore sous le bras. Dans les mois qui suivent l’opération, une IRM lymphatique permet de voir les canaux lymphatiques repousser, millimètre par millimètre, grâce aux facteurs de croissance (VEGFC) présents dans les ganglions et la graisse qui les entoure (cytokines). »
« Il faut être prudent avec l’auto-transplantation ganglionnaire »
Quelles en sont les indications ? « Les lymphœdèmes congénitaux, ou ceux provoqués par l’exérèse des ganglions dans le cas d’un mélanome, d’un cancer de l’utérus, de la prostate, ou de toute lésion de la jambe et du pelvis, et qui résistent à la kinésithérapie. Plus on s’y prend tôt, plus on a de chances de guérir à 100 %. »
Côté suites opératoires, RAS pour Alexandra : « Dès la sortie du bloc, le changement a été immédiat. L’aspect de la peau était plus souple et je sentais que ma jambe était redevenue “vivante”. Durant trois semaines, des séances de drainage et de bandage chez le kinésithérapeute sont venues stimuler le greffon qui, comme une araignée, a progressivement tissé son réseau lymphatique, et ma jambe a dégonflé de façon importante. Une deuxième greffe sera nécessaire mais, pour moi, c’est déjà une résurrection. »
Prudence…
Comme Alexandra, un grand nombre de patientes placent beaucoup d’espoir dans la microchirurgie. « Mais il faut être prudent avec cette technique, tempère le Dr Stéphane Vignes, spécialiste du lymphœdème à l’hôpital Cognacq-Jay, à Paris. Plusieurs études montrent des résultats positifs chez une partie des patients au bout d’un an (40 % des lymphœdèmes du bras ont diminué en moyenne de 3,4 cm), parfois en association avec des bandages, mais les évaluations ne sont pas toujours très précises. Il faut souligner que cette chirurgie peut entraîner des complications, comme des douleurs persistantes ou l’apparition d’un lymphœdème chronique au niveau du membre où ont été prélevés les ganglions. »
D’autres options chirurgicales peuvent être proposées, comme l’anastomose lymphoveineuse (ALV), qui consiste à connecter un vaisseau lymphatique à une veine pour dériver la lymphe vers la circulation sanguine. Ou une résection des tissus atteints par le lymphœdème, pour diminuer le volume excédentaire. « On peut aussi proposer un lipofilling axillaire, ajoute le Dr Isabelle Sarfati, chirurgien à l’Institut du sein, à Paris. On aspire les tissus graisseux sur le ventre, les cuisses, les hanches avec des canules, puis on réinjecte cette graisse riche en cellules souches là où la chirurgie ou la radiothérapie ont provoqué une fibrose, notamment au niveau du creux axillaire. En plus de réduire la fibrose, cela entraîne une prolifération de vaisseaux sanguins et semble favoriser l’évacuation de la lymphe. »
En Suède, le Dr Hakan Brorson, chirurgien plasticien, réalise depuis vingt ans des liposuccions des membres souffrant d’un lymphœdème, à la condition qu’il n’existe que du tissu adipeux et que la lymphe ait été éliminée au préalable par des bandages. « Cette technique n’abîme pas les canaux lymphatiques, précise le Dr Vignes. Seul bémol : en postopératoire, il faudra porter une compression forte, jour et nuit, pour stabiliser le volume, et ce à vie. » Si cela ne guérit pas le lymphœdème, des études montrent que cela ne l’aggrave pas, que l’amplitude des mouvements s’en trouve améliorée et que les bons résultats se maintiennent dans le temps.
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 15, p. 66)