Depuis 20 ans, le Pr Mahasti Saghatchian accompagne des femmes touchées par un cancer du sein. Lors de ses consultations, elle remarque qu’une question revient systématiquement : celle du lien entre alimentation et cancer. Désireuse d’apporter à ces femmes des réponses basées sur la science, l’oncologue écume les études et parvient à se faire une idée claire sur ce sujet épineux. Il faut maintenant qu’elle trouve un moyen de transmettre ses connaissances de façon accessible, ludique et positive. Le destin met alors sur sa route le chef cuisinier Guillaume Marinette qui travaille avec les éditions Leduc sur une série de livres ayant pour thème l’alimentation et la santé. De cette collaboration naît Mes recettes santé anti-cancer.
Dans la première partie du livre, vous revenez sur ce que l’on sait du lien entre alimentation et cancer. Quels sont les aliments et boissons pour lesquels il est clairement établi aujourd’hui ?
Je commencerai par l’alcool. Il n’y a pas photo : il augmente le risque de nombreux cancers, comme les cancers de l’œsophage et du foie, mais aussi du sein, ce qui peut paraître moins évident. On ne le dit pas assez, et ça ne fait sans doute pas plaisir à entendre en France, mais il faut qu’il y ait une prise de conscience, notamment chez les jeunes qui commencent à boire de plus en plus tôt.
L’autre sujet majeur, ce sont les aliments ultra-transformés. La cohorte NutriNet-Santé(1) a clairement démontré que les processus d’industrialisation, notamment par l’ajout d’additifs et d’édulcorants, sont des “stimulateurs” de cellules cancéreuses.
Vous revenez également sur la controverse autour du sucre…
La relation entre le sucre et le cancer est complexe. Contrairement à ce qu’on peut croire, on ne va pas nourrir les cellules cancéreuses juste en mangeant un morceau de sucre. C’est plus indirect que ça. Il faut comprendre que le corps, lorsqu’on mange trop de sucre, le transforme en graisse : c’est la seule possibilité qu’il a de le stocker. Et c’est probablement l’accumulation de graisse corporelle qui augmente le risque de cancers.
Comment éviter ce phénomène ?
Il faut éviter les sodas qui contiennent beaucoup de sucres raffinés, dits “rapides”, qui provoquent des pics d’insuline et favorisent son stockage sous forme de graisse. Pour autant, il ne faut pas se rabattre sur les boissons “zéro” dans lesquelles le sucre est remplacé par des édulcorants, tout aussi problématiques. Il ne faut pas non plus abuser des jus de fruits : un verre de jus d’orange équivaut à 5 oranges, c’est beaucoup de sucre !
Toutes ces interdictions sont assez contraignantes…
Il ne s’agit pas de s’interdire de boire du coca ou de culpabiliser de manger du saucisson ! Si c’est de temps en temps, ce n’est pas grave. Il faut se faire plaisir, c’est important.
Mais il faut privilégier autant que faire se peut le fait-maison. Je comprends que cela puisse représenter une contrainte dans nos vies surchargées. C’est pourquoi, dans le livre, Guillaume montre comment, avec seulement quelques ingrédients, il est possible de réaliser des recettes simples et bonnes pour la santé. Le principe c’est varier les couleurs dans son assiette car derrière chaque couleur se cache des vitamines, nutriments ou des fibres qui sont la clé d’une bonne protection.
Vous mettez en avant 20 fruits, légumes et légumineuses phares comme l’ail, la tomate, les choux de Bruxelles. Pourquoi ceux-là ?
Parce nous avons des données scientifiques qui montrent qu’ils contribuent à la protection contre le cancer.
Certains évitent que notre organisme ne stocke le sucre sous forme de graisse. C’est le cas des fibres par exemple, présentes notamment dans les légumineuses, qui, lorsqu’elles sont absorbées après avoir mangé du sucre, évitent d’avoir un pic d’insuline.
D’autres sont digérés par notre flore digestive et enrichissent notre microbiote. Or, on en découvre tous les jours les bienfaits : stimuler notre système immunitaire, améliorer l’efficacité de certains traitements comme la chimiothérapie ou l’immunothérapie.
Il y a aussi des aliments qui réduisent l’inflammation dont on sait qu’elle promeut le cancer.
Tous ces mécanismes créent un environnement peu propice au développement des cellules cancéreuses. C’est pourquoi il est important d’avoir une alimentation variée : pour combiner leurs modes d’action.
Il n’y a donc pas d’aliment miracle anti-cancer ?
Non. Des études ont montré que certains aliments, comme le curcuma ou le gingembre, peuvent détruire les cellules cancéreuses. Mais uniquement quand celles-ci sont cultivées dans un tube à essai, cela n’a pas été prouvé dans un corps humain.
Soyons clairs : l’alimentation seule ne peut pas ralentir l’avancée d’un cancer et encore moins le guérir. En revanche, elle participe à éloigner le cancer de notre corps. Mais elle a ses limites. Si vous mangez équilibré mais que vous avez une vie sédentaire, vous annulez ses bienfaits. Le duo gagnant, c’est une bonne alimentation et de l’activité physique.
1.La cohorte NutriNet-Santé recueille des données sur les habitudes alimentaires de centaines de milliers de volontaires.