Marion Frison a 62 ans quand on lui annonce son cancer du sein. Très vite, elle couche sur papier tout ce qui lui arrive, ses sensations, ses émotions. Déformation professionnelle. Elle est journaliste. « J’ai commencé à prendre des notes le jour de mon diagnostic pour comprendre, me rendre compte » confie-t-elle. Ce recueil de pensées se transforme peu en peu en livre. Son premier. Le titre : Un sein en enfer*.
Memento mori
En 2017, Marion sent une boule dans son sein. Une sensation qui lui rappelle des souvenirs douloureux. En octobre 1997, à l’âge de 40 ans, les médecins lui diagnostiquaient un cancer du sein et elle subissait une mastectomie partielle. Le crabe serait-il de retour ? Après 8 jours d’hésitation, elle retourne voir les médecins qui l’ont suivie 20 ans plus tôt… « Nous ne nous sommes jamais rien caché. Il y a un problème. Je vais faire une ponction ». Marion est opérée très rapidement. Mastectomie totale cette fois.
LIRE AUSSI : À Cali, la prévention au bout des doigts
Dans son livre, la sexagénaire revient sur l’annonce, l’opération et les mots du personnel médical. Elle décrit sa peau, endommagée par la radiothérapie d’il y a 20 ans, qui n’arrive pas à cicatriser après l’intervention. La journaliste raconte son quotidien de malade, les effets secondaires, les douleurs et l’angoisse de l’attente. Elle livre aussi pêle-mêle ses réflexions sur la mort, dans un chapitre au nom explicite : « Memento mori, souviens toi que tu vas mourir », rédigé le lendemain de la mort de Johnny Hallyday et de Jean d’Ormesson. « Cette double actualité amplifiée par l’écho médiatique me cueille à froid au cœur de ma chimiothérapie et me renvoie à ma propre vulnérabilité. L’éventualité de ma mort me coupe le souffle ! », écrit-elle.
Traitements et doutes
Marion retrace évidemment son parcours médical. Sa chimiothérapie aux effets secondaires dévastateurs, ses injections d’Herceptin pendant 18 mois, ponctués de contrôles médicaux, ses questions et ses idées sombres. « Pourquoi suis-je malade ? Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Suis-je condamnée ? Les questions tournent dans ma tête sans la moindre bribe d’explication. Peut-être n’y a-t-il rien à comprendre », s’interroge-t-elle. Mais préfère aux « histoires de scanner et de chimiothérapie », raconter son aventure à la fois solidaire, sombre, pleine d’espoir et de renaissance.
LIRE AUSSI – Éli : le cancer en rime
La journaliste revient sur son « auto-rééducation ». Pour renouer avec elle-même et lutter contre la déprime, elle passe l’hiver 2018 dans le chalet de ses parents à la montagne. Elle se fixe un challenge : refaire du ski. Mètres par mètres, balades après balades, elle réussit à glisser de nouveau sur les pistes. Et s’essaye même au parapente. « J’ai repris le sport à outrance pour ne pas sombrer. » Randonnées de montagne, navigation en mer : Marion se met en danger. « Ce n’était pas volontaire, mais je risquais ma vie, alors que je m’étais battue pour survivre. »
A chacun son Everest !
Sur les conseils de sa psychologue, une alliée de taille dans ce parcours, Marion découvre l’association « A chacun son Everest ! », fondée par Christine Janin, médecin alpiniste, première française à grimper l’Everest, première femme à atteindre le Pôle Nord à pied. Bref, une aventurière. La métaphore séduit la sexagénaire. « L’ascension de ce sommet est difficile, mais la descente est tout aussi dure ». Après la fin des traitements, la peur de la mort s’éloigne mais pas la déprime. L’association accueille des enfants après la fin des traitements lourds depuis 1994, mais également depuis 2011, des femmes en rémission, dans un chalet à Chamonix. Durant une semaine, Marion s’initie à la randonnée, de l’escalade, de nombreuses activités en pleine nature associées à de la sophrologie et de la méditation. Un déclic. « Je cherchais du sens à ce que j’avais vécu, cela a initié mon changement de vie. »
Marion croit de nouveau en ses rêves, reprend ses notes. « J’avais déjà commencé à écrire après une discussion avec ma psychologue qui suggérait que mon histoire pouvait intéresser les autres, mais j’avais pleuré pendant 8 jours et tout arrêté ». Il était encore trop difficile de réaliser tout ce qu’elle venait de vivre. Après Chamonix, elle reprend ses écrits qui se transforment en un manuscrit cohérent, qu’elle finit par proposer à un éditeur. Désormais, elle vit comme si elle n’avait rien à perdre. Elle part une semaine à New-York avec son fils, puis se rend au Népal, dans une association créée par Christine Janin après le terrible séisme qui a frappé le pays en 2015. Sur place, elle fait des treks et du bénévolat, aux côtés d’autres malades rencontrés à Chamonix. « Une expérience avec beaucoup de sens et reconstructive ».
Une leçon de vie
Ce chapitre-là de son histoire n’est pas dans le livre, il se termine juste avant. Entre ces lignes, Marion raconte surtout ce chemin initiatique qui a bouleversé sa vie. « Je suis allée à la découverte de moi dans l’effort et la douleur. C’est à ce prix que je me suis frayé le chemin d’une nouvelle vie. Un chemin harassant mais parfois gratifiant », écrit-elle dans l’épilogue. Grâce aux rencontres, à l’accompagnement psychologique, Marion a l’impression de mieux vivre. « J’ai ouvert des tas de portes, c’était une leçon de vie. » Un témoignage personnel qui ne glorifie pas la maladie, au contraire, mais qui retrace son acceptation du présent. « Lors de mon premier cancer, j’avais 40 ans, 2 enfants. À l’époque, j’avais eu l’impression d’avoir bien compris la vie, mais j’ai repris rapidement ma routine. Aujourd’hui, j’ai une liberté colossale. »
LIRE AUSSI – Faby Perier : la musique face au cancer
À travers Un sein en enfer, Marion retrace son parcours avec urgence. « Je devais écrire pour m’en sortir ». Le résultat final est un livre au message plus universel qu’elle le pensait. Depuis sa sortie, en octobre 2019, les retours des lectrices et professionnels sont très positifs. Elle a mis des mots sur les émotions ressenties par tant de patients. Un soulagement pour l’auteure qui, lorsque le processus d’impression du manuscrit fut terminé, a fondu en larme. « Je me demandais pour qui je me prenais. » Certains de ses anciens médecins lui ont même confié avoir changé leurs pratiques en découvrant certains passages du livre. « Un cancer, ça déformate. Lorsqu’on en guérit, on en ressort différent, on va à l’essentiel. »
*Un sein en enfer, disponible sur le site internet de la Fnac. 13 euros. Editions Spinelle.
Mathilde Durand