Janvier 2024. Alors qu’un ciel morose plane sur Bordeaux, des éclats de rire s’échappent du coin cuisine de la Maison RoseUp, située dans le centre-ville. Aujourd’hui, au programme: galette des rois et Nursing Touch en duo ! Arrivées parmi les premières, Ndeye et sa fille Amaï, 23 ans, papotent dans un coin. Ce n’est pas la première fois que la jeune femme accompagne sa mère, adhérente de RoseUp, à un atelier organisé dans cet appartement cocon où l’on accueille, cinq jours par semaine, des femmes atteintes d’un cancer (quel qu’il soit). « Avec son traitement, Maman a des douleurs articulaires. Et elle ne peut plus trop se mettre sur le ventre, à cause de son sein opéré. Alors je me suis dit que ce type de massage serait idéal pour elle ! » Développé aux États-Unis et en Angleterre dans les services de cancérologie et les centres de soins palliatifs, introduit en France il y a une quinzaine d’années, le Nursing Touch n’est pas un massage comme les autres. Ce « toucher soignant », aussi doux et léger qu’une plume, peut se pratiquer aussi bien assis qu’allongé, à tout âge et sur tout le monde : bébé, enfant, adolescent, femme enceinte, personne âgée… Aucune contre-indication ! Même quand on a un cancer métastatique.
Sandra, socio-esthéticienne à la Maison RoseUp Bordeaux, s’est formée à cette pratique au Codes (Cours d’esthétique à option humanitaire et sociale), au sein du centre hospitalier régional universitaire de Tours. Elle est convaincue qu’il n’y a rien de mieux que le toucher pour entrer en contact avec l’autre, et particulièrement avec ceux qui souffrent et qui n’arrivent pas toujours à l’exprimer. « Bienvenue à toutes et à tous ! » s’exclame-t-elle joyeusement, avant de se reprendre: « Non: à toutes ! » Pas d’hommes en effet ce jour-là pour accompagner leur femme, leur fille ou une amie adhérente.
Il est presque 14 heures. L’heure d’inviter le petit groupe à suivre Sandra jusqu’à la plus grande pièce de la maison. Couleurs douces, éclairage tamisé. Un léger parfum poudré flotte dans l’air. L’ambiance, réconfortante, agit déjà comme un baume… Entre les traitements, le quotidien à gérer, les rendez-vous planifiés, cet atelier est un moment rien que pour ces femmes exposées à la maladie. Un merveilleux cadeau qu’elles se font. Rida a hâte d’en profiter. Depuis sa mastectomie, son rapport au corps a changé. « C’est compliqué. J’ai vraiment besoin de me faire du bien. » Elle est au bon endroit.
Déclencher le « gate control » !
Seize chaises, disposées face à face, occupent l’espace. Pascale, venue avec son amie Nathalie, s’installe. Celles qui se voient pour la première fois hésitent à prendre place. Un peu intimidées à l’idée de se retrouver face à une inconnue qu’il va falloir toucher, même du bout des doigts. Mais Sandra met rapidement tout le monde à l’aise: « L’un des avantages du Nursing Touch, c’est qu’on peut le pratiquer habillé. C’est génial quand on est pudique… ou que l’on est frileuse ! Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur les bras et les mains, mais on peut également s’occuper du dos, du crâne, du visage, du décolleté… ou réaliser un scan complet du corps. » La tension se relâche. Des sourires se dessinent sur les visages.
« Connaissez-vous le Nursing Touch ? » interroge à la cantonade Sandra. Cathy lève la main. Elle a déjà participé à un atelier, mais en solo, en octobre 2023, au début de sa chimiothérapie. Et elle a adoré ce moment: « C’était magique, et réconfortant. Je me suis même endormie ! » Une bonne entrée en matière pour Sandra, qui explique que ce type de toucher « très doux et répétitif – et qui ne stimule que l’épiderme – rend en effet le massage presque hypnotique ». Pour rendre le geste encore plus délicat et agréable, on l’exécute avec du talc. Techniquement, son secret repose sur une série de mouvements réalisés dans un ordre précis, et qui sera répétée à trois reprises. Le premier passage correspond à une phase d’alerte; le deuxième, à une phase d’acceptation ; et le troisième, à une phase de relâchement. Avant de passer à la pratique, une petite précision s’impose : « Cet effleurage, d’une pression de niveau 3 sur une échelle de 1 à 10, est un toucher épicritique1 qui permet d’agir sur les cellules de Merkel2, des récepteurs tactiles, et de déclencher le “gate control” », poursuit notre praticienne. En clair, il entraîne une cascade d’effets positifs : « En plus de diminuer la douleur et de réduire le stress, il améliore la sensation de bien-être, stimule le système immunitaire et apaise le mental. » Pas étonnant qu’on le qualifie de massage magique !
« Plus on est généreux, plus c’est agréable pour celle qui reçoit »
C’est le moment de passer à la pratique. Sandra agite son flacon de talc. Distribution générale. Les mains se tendent. Le talc flotte dans l’air, formant un léger nuage blanc. Alors que les filles remontent leurs manches, Sandra signale avec un petit clin d’œil : « Avant de commencer, il faut toujours demander à votre partenaire si elle est d’accord pour que vous la touchiez. » Amaï se frotte déjà les mains. Sa mère lui sourit, confiante. « C’est parti ! Commençons tout doucement par les pattes de chat, guide Sandra. Partez du haut de l’épaule, et descendez vers le poignet en effleurant lentement le bras. Imaginez le mouvement d’un chat, tout en souplesse. Et un… Puis recommencez. Et deux… Gardez toujours le même rythme. » « Je peux fermer les yeux ? » demande Ndeye. « Et même ronronner ! » l’encourage Sandra.
Donner et recevoir
D’autres yeux ne tardent pas à se fermer. La respiration se fait plus longue. La ronron-thérapie gagne plusieurs duos ! « Et un… Et deux… Et trois… » scande doucement Sandra en passant lentement dans les rangs. Et ron et ron, petit patapon… Certaines ont le rythme d’emblée, d’autres s’emmêlent les patounes. « Je suis dyslexique », s’excuse l’une des « effleureuses », qui a un peu de mal à coordonner ses mouvements. « Ne vous inquiétez pas, ça va le faire… La peau ne doit pas bouger. C’est comme un ballet. Pour réussir la choré, mettez-y de l’intention. Imaginez que vous êtes en train de vous le faire à vous. Fermez les yeux et répétez dans votre tête : 1, 2, 3. Plus on est généreux, plus c’est agréable pour celle qui reçoit ! » Dix minutes peuvent suffire pour produire un effet apaisant. Sandra passe de duo en duo, rectifie les gestes si besoin, conseille. « Ça glisse suffisamment ? » Léger flottement dans la salle… Ici et là, des bras se lèvent pour réclamer un peu plus de talc. Certaines regardent comment font leurs voisines. D’autres font une pause, discutent entre elles et changent de rôle, tandis que Sandra enseigne de nouveaux gestes.
Marilyne s’inquiète déjà de ne pas tout retenir. « Ce n’est pas grave, la rassure Sandra. Essayez de ne pas trop penser, je vous enverrai le schéma ce soir pour que vous vous entraîniez. » Sentir, ressentir. Pour celle qui fait le massage, l’important est de le faire sans se mettre de pression, il s’agit juste « de se laisser aller. Être à l’écoute de l’autre provoque aussi des sensations ». Cathy, qui ne connaissait pas son binôme une heure plus tôt, met tout son cœur à sa tâche. « Je veux vraiment lui faire du bien », dit-elle. Mission réussie : Marilyne est sur un petit nuage. Pourtant habituée aux soins des cures thermales qu’elle fréquente pour soulager ses douleurs, elle frissonne de contentement : « J’avais déjà pratiqué le Do-In, mais là c’est autre chose ! » « Alors, prêtes à poursuivre l’aventure chez vous ? » demande Sandra. Julie, émue, reconnaît que la séance lui a fait un bien fou et se promet d’en parler le soir même à son mari. « Depuis mon opération, je ne supporte plus qu’il me touche. Là, j’ai ressenti quelque chose. Ça me réconcilie un peu avec moi-même. » L’espoir de se rapprocher de lui est là, plus fort que jamais. Coralie, sa voisine d’atelier, pense au bien-être que ce massage procurera à ses enfants. « Ils ont déjà pris rendez-vous ce soir au moment du coucher ! » À quelques chaises de là, Pascale semble avoir plus de mal à lâcher prise. À 60 ans, elle livre un difficile combat contre une récidive d’un cancer des ovaires, et l’angoisse d’un scanner à venir l’empêche de profiter du moment présent…
Une heure ensemble et déjà complices
De son côté, Ndeye promène à son tour ses mains de velours sur le bras de sa fille. Ses mouvements s’enchaînent avec grâce et fluidité. Comme si cela lui était parfaitement naturel. « Le massage est une tradition au Sénégal », sourit Amaï. C’est d’ailleurs une table de massage qui trônait au pied du sapin à Noël. « Pour toute la famille ! » renchérit la maman poule, qui confie qu’elle massait déjà sa fille le jour de sa naissance avec du beurre de karité. Comme sa mère et sa grand-mère l’avaient fait avant elle. Une histoire de transmission. De mère en fille, de fille en mère. Ces deux-là sont plus que connectées. Depuis le tout début, elles vivent la maladie ensemble. Amaï raconte qu’au retour d’une consultation chez sa gynéco elle avait confié à sa mère que son médecin lui avait fait, pour la première fois, une palpation des seins. Ndeye, qui suspectait que quelque chose clochait dans son corps, avait alors demandé à sa fille de répéter la technique sur elle. Amaï se souvient : « Soudain, j’ai senti une boule sous mes doigts. Je n’ai pas voulu trop stresser Maman, mais j’ai quand même été voir sur internet. Ce que j’y ai lu ne m’a pas rassurée. » Ndeye n’avait alors pas hésité une seconde et avait pris rendez-vous pour une mammographie. Une échographie et une biopsie plus tard, le diagnostic était tombé: cancer du sein. Depuis, un an a passé.
Cette expérience a aussi changé la vie d’Amaï. La jeune accompagnante a quitté son job dans un club de vacances pour se lancer dans une tout autre voie : elle s’occupe désormais de la communication autour d’un projet artistique développé par une amie, baptisé MOB. À travers des œuvres minimalistes et figuratives, il s’agit de mettre en lumière, en les sublimant par des touches de peinture dorée, les poitrines des femmes. L’objectif : aider celles-ci à accepter leurs cicatrices et leurs particularités physiques. La mère d’Amaï a fait partie des modèles de l’artiste.
15 heures. L’atelier s’achève… Nathalie, Chantal et Isabelle font une halte dans la cuisine. Autour d’un thé ou d’un verre d’eau, elles analysent le moment qu’elles viennent de passer ensemble. Puis, de fil en aiguille, la conversation glisse sur tout autre chose, un conseil diététique, une bonne adresse à tester… Elles se promettent de se revoir à l’atelier de nouage de turbans ou de s’envoyer un petit message de soutien le jour d’un prochain contrôle. Certaines ne se connaissaient pas avant l’atelier Nursing Touch. Il a suffi d’une galette des rois et de deux doigts de magie pour qu’une jolie complicité se crée et qu’elles se rendent compte que leurs mains pouvaient faire des merveilles
INFO+ : Tentée par le Nursing Touch ? Découvrez-le dans l’une de nos Maisons RoseUp ! Vous retrouvez le programme des ateliers ici.
Photos : Marie Genel
Retrouvez cet article dans le Rose magazine n°26.
1. L’information du toucher épicritique est générée grâce aux récepteurs situés dans notre peau. Notre épiderme et notre système nerveux central proviennent du même tissu embryonnaire. Nos neurones sensoriels et nos cellules épidermiques sont en contact permanents. On parle d’axe cerveau-peau.
2. Les cellules de Merkel sont disséminées dans des régions précises de l’épiderme: paume des mains, pulpe des doigts, plante des pieds, lèvres, etc. Ces mécanorécepteurs sont sensibles aux stimulations mécaniques de la peau telles la pression ou les vibrations.