Écrire… Laure Manel avait ce désir en elle depuis ses 10 ans. Il a fallu des années et un drame intime pour qu’elle décide de concrétiser son rêve. Deux ans après son accouchement, très douloureux, et une épisiotomie mal refermée, on lui découvre une tumeur sur le nerf pudendal, appelé aussi nerf honteux. Diagnostic : cancer desmoïde, rare. Une fois guérie, elle envoie tout valser – son travail d’institutrice en premier – pour se consacrer totalement à l’écriture. C’est cette histoire, romancée, qu’elle nous raconte dans Les Dominos de la vie.
Pourquoi dites-vous que ce livre est à part dans votre œuvre ?
Parce que pour la première fois, et la dernière je pense, j’ose l’autobiographie romancée. C’est mon coming-out out médical. Au début du livre, tout va bien pour Amélie, mon héroïne. Décoratrice d’intérieur, mariée à son amour de jeunesse, maman d’un petit garçon de 4 ans, elle apprend qu’elle est guérie d’un cancer survenu après son accouchement. Mais c’est là que justement, tout bascule… Elle a envie de changement, d’autres accomplissements. J’ai vécu la même chose. Jusqu’à présent, j’avais écrit sur la maladie, l’euthanasie, la mort en couche. Clairement je tournais autour du pot de ma propre histoire.
Pourquoi ce titre, Les Dominos de la Vie ?
Je portais cette image en moi depuis des années. Les suites de mon accouchement ont causé ma maladie qui a mené à ma séparation et permis la rencontre avec une personne qui m’a encouragée à écrire. De là, j’ai exploré les possibilités (ateliers, concours de nouvelles, formation d’écrivain publique…) qui m’ont menée progressivement à ma carrière de romancière. Comme la réaction en chaîne de dominos qui s’abattent les uns sur les autres…
QUI EST LAURE MANEL ?
Ex-institutrice dans la région d’Angers, Laure Manel a commencé par publier ses romans en auto-édition avant que les éditions Michel Lafon ne la repèrent. C’était en 2017. Depuis, elle a sorti 9 romans (dont La Délicatesse du Homard et La Mélancolie du kangourou) qui se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires. Sa recette ? Elle la donne volontiers : « Des histoires feel good, aux héros bousculés par la vie mais qui en sortent toujours grandis ».
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’écrire sur votre cancer ?
À la fin de mon roman précédent, le sujet m’est tombé dessus. Une évidence. Mais si j’étais prête à l’écrire, je n’en assumais pas le côté autobiographique. Je me souviens avoir dit à mon éditrice que je ne voulais pas que cela se sache. C’est tout bête, mais par exemple, mon banquier n’était pas au courant. Pour le prêt de ma maison, je le lui avais caché. Sa femme m’a lu, je me suis dit « il va savoir que j’ai menti ! ». Parmi mes proches, certains connaissaient mes problèmes de santé, mais vaguement. Je disais « j’ai un truc dans le ventre », on imaginait un virus. D’autres savaient que c’était plus ou moins cancéreux, mais pas à quoi c’était lié. Je n’avais jamais tout déballé…
Ce cancer est apparu à la suite d’une mauvaise cicatrisation post-opératoire, c’est-à-dire ?
J’en avais eu l’intuition très tôt mais cela m’a été confirmé lorsque j’ai assisté à l’assemblée générale de l’association SOS Desmoïde. Cela m’a éclairée sur le lien entre un traumatisme des tissus, une lésion, et cette tumeur, qui est établi de plus en plus fréquemment par la recherche. Dans mon cas, c’était une double épisiotomie pratiquée par un médecin trop pressé, un geste brutal, une plaie mal refermée, des points qui avaient sauté. Le fait que la tumeur se soit nichée sur le nerf « honteux », n’est pas anodin pour moi.
Vous aviez pris des notes pendant ?
Non, et je le regrette ! À ce moment-là, je n’écrivais qu’en tant qu’enseignante. J’aurais dû songer à le faire pour moi durant à cette période particulièrement angoissante de ma vie. Notamment la nuit. J’aurais mieux dormi si j’avais déversé mes cogitations sur le papier.
Votre tumeur a-t-elle totalement disparu ?
Je vis avec. C’est ma locataire, comme je l’écris dans le livre. De la taille d’un pamplemousse au moment de mon opération, elle a été réduite par le traitement et s’est nécrosée au bout de 10 ans. On la surveille par IRM tous les 2 ans. Je n’y pense plus au quotidien. Le plus bizarre pour moi finalement est de l’avoir exposée à tout le monde.
« À un moment, j’ai été dans une sorte de frénésie : envie de vivre trois vies en une »
Quelles sont les réactions depuis la sortie ?
En avril dernier, j’étais stressée. Je me suis demandé si j’étais courageuse ou inconsciente ! Ma mère a été bouleversée par ce qu’elle y a découvert. Mais l’histoire d’Amélie inspire aussi ! Une dame dont la maman est en rémission mais qui, moralement, n’arrive pas à remonter la pente, m’a dit l’avoir acheté pour elle. Pour certains hommes, cela a été une « révélation » : ils ignoraient l’existence des violences obstétricales. Beaucoup de lecteurs m’ont parlé du « cadeau » que je leur avais fait. J’en suis ravie.
Est-ce que cela a eu un effet cathartique pour vous ?
Non, car j’avais déjà “réglé“ ce cancer en psychothérapie, avec une praticienne formidable. Mon fils a 17 ans, tout ça est bien derrière moi. Mais je voulais faire passer un message d’espoir sur la maladie, l’après, et sur ce qu’elle vient nous raconter. Certes il y avait une cause organique, mais le même geste médical aurait pu ne pas entraîner une tumeur chez quelqu’un d‘autre. Cela m’a interrogée sur le sens de la survenue de la maladie. Ce n’est pas une chance d’avoir un cancer. C’est un séisme émotionnel, un électrochoc. On n’en sort pas indemne. Cela bouge forcément les lignes… Je ne pense pas que l’on puisse vivre comme avant après cette épreuve.
Qu’a-t-il changé chez vous ?
Ma façon de voir la vie. Je ne la laisse plus passer. Peut-être même qu’à un moment, j’ai été dans une sorte de frénésie, envie de vivre trois vies en une ! Très timide, j’ai pris des cours de théâtre. Je ne suis pas branchée politique, mais j’ai rejoint le conseil municipal de ma ville. Et puis, j’ai écrit…
INFO+ : Les dominos de la vie, Laure Manel, Michel Lafon
Photographie de Pauline Darley