Douze. C’est le nombre de prix que Julie Meunier a reçus en tant qu’entrepreneuse. Ils sont à ses côtés dans son bureau, lieu qu’elle a choisi pour réaliser cette interview par écran interposé, crise sanitaire oblige. Elle en désigne quelques-uns du doigt et notamment le prix Rose Entrepreneuse, obtenu en 2018. La Niçoise est fière du chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui. Elle confie avec un sourire malicieux qu’elle adore passer des concours. Ils lui permettent d’élargir la visibilité de sa start-up, les Franjynes, qu’elle a créée en 2017 suite à son cancer. Le concept : proposer aux femmes victimes d’alopécie des collections de franges de cheveux, dans toutes les teintes, qui se placent sur la tête et qu’on dissimule sous un turban, un foulard, un bonnet, etc… Aujourd’hui, elle se concentre sur le développement de vêtements (robes, combinaisons,…) et d’autres accessoires de mode. Ce qu’elle veut avant-tout, c’est aider les autres, celles qu’elle appelle tendrement ses « sœurs de combats ».
Se rendre utile
C’est d’ailleurs le titre de son livre, disponible en librairie depuis le 20 janvier. Elle y raconte d’abord son combat à elle, contre la maladie. En mars 2015, elle est alors juriste en droit immobilier et elle apprend que le petit kyste découvert trois semaines plus tôt par son médecin, est en fait une tumeur. Tout va très vite, à tel point qu’elle a l’impression de se prendre « une météorite sur la tronche ». Elle intègre un protocole de soins au centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne de Nice. « Je l’ai vécu comme un combat, ça a été la bataille de ma vie ».
La maladie lui fait réaliser à quel point la vie peut s’arrêter du jour au lendemain. Alors, au long des 24 mois de son parcours de soin, Julie écrit. Elle consigne notamment sa difficulté à trouver des réponses aux questions qu’elle se pose sur la féminité et sur les soins de support disponibles. C’est au détour de ses rendez-vous médicaux et paramédicaux qu’elle trouve des réponses et qu’elle a l’idée de les partager sur un blog. Dans « Feminity and Jy », elle rédige des billets, des notes et des conseils. « Beauté, bien-être et bonne humeur » comme elle aime le formuler. Petit à petit, d’autres femmes en traitement lui posent des questions, un échange se créé, et la communauté qui la suit grandit.
« Je l’ai vécu comme un combat, ça a été la bataille de ma vie»
Le 28 avril 2015, alors qu’elle commence à perdre ses cheveux, elle décide de se raser la tête. Et elle adore : « Je ne me suis jamais sentie aussi rock’n’roll. Je ressemblais à la chanteuse Sinnead O’Connor ». Dans la foulée, elle perd également ses cils et ses sourcils : « C’était très dur à supporter. Sans poils nous perdons notre identité. C’est là qu’on se rend compte que l’on se ressemble tous, homme, femme, personne âgée ou enfant ».
Rapidement, les perruques ne lui conviennent pas. Avec un peu de bricolage, elle se fabrique alors des coiffes avec des turbans et surtout des gros nœuds. Plus c’est « original » et mieux c’est. Elle y ajoute des fausses franges. Sur son blog, ses créations ont du succès. Son style fait mouche. Et à force de compliments, Julie commence à penser que ses « créations » pourraient être transformées en accessoires pour les femmes atteintes d’un cancer. Le projet des « Franjynes » commence à mûrir.
Le tournant d’une nouvelle vie
Elle perfectionne ses modèles et développe ses premiers prototypes avec sa mère coiffeuse. « Je les ai fait testés à des femmes pendant les ateliers de nouages de turbans que j’animais ». Leurs retours lui permettent d’affiner son système de fixation pour que les faux cheveux ne tombent pas et s’adaptent à toutes les formes de tête. Pour lancer sa première collection, Julie passe par du crowdfunding. Elle espère récolter 22 000 euros, elle obtiendra plus de 35 000 euros en 45 jours. « Je ne m’attendais pas à un tel engouement et ça m’a rassurée parce que je ne savais pas trop où je mettais les pieds », confie-t-elle avec un grand sourire.
« Depuis je sais pourquoi je me lève le matin »
Entre-temps, elle a définitivement tiré un trait sur sa carrière de juriste pour se consacrer entièrement à la création de sa start-up. En mars 2017, sa marque « Les Franjynes » naît à Nice. Elle confie en souriant : « Depuis je sais pourquoi je me lève le matin ». Elle est devenue entrepreneuse et aussi un peu artiste, ce qu’elle a toujours voulu être. Un rêve qu’elle avait refoulé pour trouver un emploi stable et rassurer ses parents. Sur le site internet de son entreprise, elle vend bien sûr ses modèles mais on y retrouve aussi son blog « Feminity and Jy ». Elle y lit avec attention et régulièrement les messages et les témoignages de ses « soeurs de combat ».
Raconter sa résilience
Un jour de 2020, elle reçoit un mail des éditions Larousse, qui lui demande un rendez-vous téléphonique. Au départ, elle y croit à peine. Mais au bout du fil, quelques jours plus tard, c’est bien une éditrice qui lui parle. Surprise. Celle-ci lui confie qu’elle suit son blog depuis près de 4 ans ! « Elle m’a proposé d’écrire mon histoire. J’ai tout de suite accepté parce que cela n’arrive qu’une fois dans une vie ». Sur les dix chapitres, c’est le troisième qui lui prendra le plus de temps à coucher sur le papier. Il est consacré à son parcours de soin. « C’était très dur émotionnellement de revenir dessus. Au-delà des images, ce sont les sensations de douleur et la tristesse qui revenaient à moi ».
Son récit est dédié à ses soeurs et frères de combat. A l’entendre, on a l’impression que sa guérison leur est due. Elle s’arrête sur ce mot : « Guérison ». Elle espère de toutes ses forces l’entendre un jour, le plus vite possible. En attendant, elle est sous hormonothérapie et elle compte bien poursuivre son aventure créative. « J’ai changé de vie suite à mon cancer, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Chacun fait comme il veut, et surtout comme il peut. Je ne suis pas Wonder Woman, juste un être humain qui a vécu une épreuve et qui s’en sert comme déclencheur pour devenir enfin la personne qu’il rêvait d’être ».
INFO +
A mes soeurs de combats – Julie meunier
Disponible en librairie
Prix 18,95 €
Éditions Larousse
Paul Thorineau avec Sandrine Mouchet