« Au moment où nous sommes censés prendre notre envol, le cancer nous met du plomb dans l’aile… » Chloé, 28 ans aujourd’hui, avait 23 ans quand une boule est apparue dans son sein gauche. Trop jeune pour un cancer, lui a dit le médecin. Forcément bénin… Elle raconte : « Après mes études en marketing et relations clients en alternance, je devais partir un an en Australie pour déconnecter et pratiquer l’anglais. » Histoire de partir l’esprit tranquille, Chloé décide de passer différents examens médicaux. « À la mammographie, la tête du radiologue s’est décomposée… » Fini l’Australie, direction l’hôpital. Comme elle sortait d’un contrat de professionnalisation, Chloé a d’abord touché le chômage : 800 euros par mois. « Ça n’a duré que quinze jours. Après, j’ai été placée en affection de longue durée (ALD) et la Sécurité sociale a pris le relais avec les indemnités journalières. Je touchais 520 euros mensuels. »
La raison de cet écart : l’allocation chômage représente 57 % du salaire brut, les indemnités journalières seulement 50 %. De plus, quand on a des revenus bas, ce qui était le cas de Chloé, l’assurance chômage prévoit un plafond minimum de 28,86 euros par jour, qui n’existe pas pour le congé maladie. Résultat : avec un pouvoir d’achat amputé d’un tiers, Chloé n’a pas pu garder son appartement à Paris. Elle est retournée dans le Loiret, chez ses parents, et a été soignée à Nevers, à une heure de route de chez elle. « Ça a été compliqué. Je me retrouvais de nouveau à leur charge, comme quand j’avais 10 ans. » Leur soutien a été total. Elle le reconnaît, ils se sont beaucoup privés pour lui offrir un maximum de soins de support et d’attentions : ostéopathie, acupuncture, perruque, foulards. « J’ai également obtenu une aide de la Ligue contre le cancer d’un montant de 300 euros, mais je n’ai pas su tout de suite que je pouvais en bénéficier. On ne nous donne pas toutes ces petites astuces d’emblée. Je me demande bien comment se débrouillent les jeunes privés de soutien parental… »
Chloé n’est évidemment pas la seule dans ce cas. En 2014, ils ont été 9531 à être reçus par une assistante sociale (sur les 1 750 nouveaux cas de cancer jeune adulte déclarés par an). Trois ans plus tôt, ils n’étaient encore que 98, selon l’Institut national du cancer. Mais, en 2012, ont été créées les équipes AJA (adolescents et jeunes adultes), consacrées à la prise en charge de ces malades particuliers, ce qui a permis à ces derniers de trouver enfin à qui s’adresser.
L’allocation aux adultes handicapés, une solution
Le premier rendez-vous avec l’équipe AJA est obligatoire, entre autres pour étudier la situation financière du malade et, le cas échéant, trouver la meilleure aide disponible. Hélas, la panoplie est restreinte. Les moins de 25 ans peuvent toucher le RSA… Mais à condition d’avoir des enfants, ou d’avoir travaillé pendant deux ans. Autant dire que les cas sont rares… Quant aux étudiants, ils peuvent conserver leur bourse et leur logement en cité universitaire, mais uniquement s’ils poursuivent leurs études, ce qui n’est pas toujours possible pendant la maladie.
« Au manque de ressources s’ajoutent les problèmes administratifs, les retards de remboursement, le manque de souplesse de certaines écoles »
Le plus souvent, c’est donc grâce à l’allocation aux adultes handicapés (AAH)2, versée par les départements, que les jeunes arrivent à subsister. Pour y prétendre, il faut avoir au moins 20 ans ou, pour les plus de 16 ans, ne plus dépendre de ses parents, ce qui veut dire toucher soi-même les allocations familiales ou les allocations logement. Le formulaire de demande de prestation, en fait un dossier complet à remplir, est téléchargeable. Il faut ensuite l’envoyer, de préférence par lettre recommandée, à la Maison départementale des personnes handicapées. Ce dossier comporte plusieurs volets : la demande de l’AAH, mais aussi la demande d’aides pour la poursuite de sa scolarité ou de sa formation. Elles viennent en complément de l’AAH et servent à financer les équipements nécessaires.
Témoin Lise, 22 ans, atteinte d’un sarcome aux cervicales qui l’empêche d’écrire plus de quelques lignes d’affilée. Pour pouvoir continuer sa licence de biologie, elle a dû s’équiper d’un ordinateur avec reconnaissance vocale, ce qu’elle a pu faire grâce à ces aides complémentaires. Au début, explique-t-elle, « je ne me sentais pas très légitime, parce que mon handicap n’était pas irréversible ». Mais justement, l’AAH peut être temporaire. Elle est attribuée par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, pour une période d’un à cinq ans, à condition d’avoir un taux d’incapacité d’au moins 50 %. Ce taux est revu à la fin de la période fixée, en fonction de l’amélioration de l’état du malade. « L’attribution de mon statut s’est faite pour un an et j’ai été libre ensuite de le redemander », témoigne ainsi Anne-Sophie Robineau, ancienne malade et cofondatrice de l’association On est là, consacrée aux malades de 13 à 30 ans.
Avancer…
« Cet âge correspond en soi à une tranche de vie singulière, indique Anne-Sophie. Mais avec la maladie, tout devient très compliqué. » Au manque de ressources s’ajoutent les problèmes administratifs à régler, les retards de remboursement, le manque de souplesse de certains établissements scolaires. Anne-Sophie en sait quelque chose. À cause de lenteurs administratives, sa mutuelle étudiante a mis neuf mois et demi à mettre en place sa prise en charge à 100 % dans le cadre de l’ALD. Elle a été obligée d’avancer 3 000 euros, correspondant à différents frais de transport et examens – prises de sang par exemple – réalisés en dehors de l’hôpital. En plus, il a fallu qu’elle engage un petit bras de fer avec son école de commerce : « Je suis tombée malade en fin d’année scolaire. Je n’avais plus que trois épreuves de rattrapage à passer pour avoir mon diplôme, mais mon école ne voulait pas en entendre parler. »
« Quand on est dans le bataille, on ne se pose pas de questions. Mais ensuite, le wagon s’arrête et il faut reprendre le cours de la vie »
Peut-être par souci de bienveillance, pour ne pas alourdir encore plus son entrée dans la maladie et les traitements par une série de révisions. La direction des études préconisait plutôt de reporter ses examens à une session ultérieure. « Mais moi, j’avais besoin d’avancer et d’avoir mon diplôme en même temps que mes camarades de promo, se souvient Anne-Sophie. J’ai passé trois heures avec eux au téléphone pour les convaincre. » Avancer… Voilà bien l’épreuve la plus compliquée. Car au-delà de leurs difficultés immédiates de subsistance, les jeunes doivent parfois revoir tous leurs projets à la baisse. « Quand on est dans la bataille, on ne se pose pas de questions, se souvient Chloé. Mais ensuite, le wagon s’arrête et il faut reprendre le cours de la vie. » Pas si simple. La jeune femme, qui a trouvé un emploi de chargée de clientèle dans un établissement financier, a eu besoin de faire un break – un voyage de deux mois en Asie – avant de chercher du travail. Sans doute pour compenser ce rêve d’Australie qu’elle n’avait pas pu vivre…
Le cancer a cueilli Adriana en début de carrière professionnelle, il y a un an et demi. Un début sur les chapeaux de roues, dans une start-up installée à Londres, qu’un lymphome a stoppé net. Scanner le vendredi, opération le samedi. Depuis la fin de son traitement, elle veut prendre le temps. « Je me suis toujours beaucoup précipitée, professionnellement, glisse-t-elle. Tout cela est allé beaucoup trop vite. J’ai besoin de temps pour réfléchir à ce que je veux vraiment faire et me recentrer sur de bonnes bases. » Elle n’exclut pas de changer de voie et est accompagnée dans son introspection par un psychologue.
En chiffres :
1750 nouveaux cas de cancer jeune adulte sont déclarés par an 860€ par mois à partir du 1er novembre 2018, c’est le montant de l’allocation aux adultes handicapés
Antoine, lui, en fin d’apprentissage quand on lui a diagnostiqué un cancer du thymus (une glande située derrière le sternum), a dû se trouver un nouvel emploi. Il travaillait dans une concession agricole et maniait des charges lourdes. Autant d’efforts qu’il n’est désormais plus capable de fournir. Il a donc préféré partir en usine, en intérim, où les rythmes lui conviennent mieux. Il dit, simplement : « Le cancer, c’est un choc mental et physique. On ne se sent plus au même niveau qu’avant. » Dans ces cas-là, Julie Jacquot, assistante sociale de l’équipe AJA, au Centre régional de lutte contre le cancer Oscar-Lambret, à Lille, conseille d’entamer les démarches pour la reconnaissance de travailleur handicapé, qui ouvre la possibilité de financer des postes de travail adaptés.
De manière générale, donc, cancer rime mal avec carrière. Une étude canadienne sans équivalent en France3 note ainsi que parmi les 25-29 ans ayant eu un cancer, 15,7 % se déclarent sans emploi, contre 10,1 % des jeunes du même âge dans la population générale. Un écart qui persiste au fil des années. Julie Jacquot rappelle que les Carsat (Caisses d’assurance retraite et santé au travail) mettent en place des actions collectives sur la réinsertion, avec des groupes de parole, des échanges entre différentes générations, qui ont en commun de travailler sur le renoncement et sur un nouveau projet de vie.
Stéphane Maurice
1. Les Cancers en France, Institut national du cancer, édition 2015.
2. 810 euros mensuels, qui passeront à 860 à compter du 1er novembre 2018.
3. « Les adolescents et les jeunes adultes atteints de cancer. Rapport sur le rendement du système », Toronto, Partenariat canadien contre le cancer, avril 2017.
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 14, p. 36)