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Avoir 20 ans en oncologie

{{ config.mag.article.published }} 30 octobre 2013

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© Simon Jarratt/Corbis

Sur les 360 000 nouveaux cas de cancer recensés chaque année en France, 1 000 concernent les 18/25 ans. À la douleur des traitements, s’ajoute pour ces jeunes un grand sentiment d’isolement.

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La claque la plus mémorable de sa vie, Alice l’a prise à 22 ans, sans l’avoir vue venir. C’était en juin 2011. Au téléphone, son médecin de famille lui annonce qu’elle a un lymphome hodgkinien stade 3 lar­gement dépassé, sur une échelle de 4… Boum ! « Le cancer pour moi, c’était le cancer du sein, celui des copines de maman. Je n’ai pas com­pris… ». Même sidération pour Lae­titia, le jour de l’annonce de sa mala­die de Hodgkin, en septembre 2007. Elle a 18 ans, et ressent une injus­tice absolue : « J’avais une vie saine, tranquille, je n’embêtais personne. Dans ma logique, ça ne pouvait être qu’une punition. Mais je ne voyais pas ce que j’avais pu faire pour mériter ça. Pourquoi moi ? »

Une question qui hante sou­vent les jeunes patientes. La psycho­logue clinicienne Christine Levacher : « Avoir un cancer à 20 ans n’a le plus souvent aucune explication. C’est violent. Se retourner vers soi en se demandant quelle “ faute ” on a bien pu commettre est alors un moyen de donner un sens à ce qui arrive, de mettre de la rationalité dans l’im­pensable. » Car le cancer des jeunes est rare. Sur les 360 000 nouveaux cas recensés chaque année en France (tous âges et sexes confondus), envi­ron 1 000 concernent les 18/25 ans. Marginale, la maladie n’en est pas moins sérieuse : elle constitue même la deuxième cause de mortalité des 15-30 ans. Autre particularité : ils développent des cancers soit infan­tiles soit caractéristique des seniors. Du coup, les médecins les diagnos­tiquent souvent tardivement.

Sentiment d’isolement

En juin 2011, Anne-Sophie, étu­diante en école de commerce à Bor­deaux, se plaint de douleurs aigües dans le haut du dos. Son médecin traitant invoque le stress des exa­mens. En octobre, alors qu’elle poursuit son cursus en Allemagne, son mal de dos s’accompagne d’es­soufflement sévère et d’une grande fatigue. Quand, en novembre, elle n’arrive plus à monter dix marches sans se retrouver au bord de l’as­phyxie, on lui fait passer une radio du thorax qui révèle une tumeur de 13 cm sur les côtes proches des pou­mons et du cœur. A l’Institut Curie à Paris, où elle est rapatriée d’urgence, le verdict tombe : sarcome d’Ewing. En France, on ne dénombre que 70 cas par an. Moyenne d’âge des indi­vidus concernés : 13 ans. À 24 ans, Anne-Sophie est donc une excep­tion. Sarah, aussi.

En mars dernier, on lui découvre une tumeur au sein. A 25 ans, c’est « un cas pour 20 000 » lui dit-on. Elle le vit comme une anomalie. Soignée à Grenoble, elle se sent en complet décalage dans le service : « Je ne suis pas seulement la plus jeune : je suis la seule à avoir moins de 50 ans ! Je n’ai ni les mêmes centres d’intérêts, ni les mêmes inter­rogations que les autres femmes. Du coup, je ne parle pratiquement à personne. Je me suis dit que j’aurais plus de chance de trouver des filles comme moi sur des forums internet, mais non, là non plus… ».

« Le cancer, pour moi, c’était celui des copines de maman »

« Affronter ce sentiment d’isolement n’est pas une situation habituelle à cet âge. C’est une souffrance, un mal ajouté au mal », souligne Étienne Seigneur, psychiatre à l’Institut Curie où vient d’être créée une prise en charge spécifique AJA (Ados Jeunes Adultes) – tout comme à l’Institut Gustave Roussy de Paris, les CHU de Strasbourg, Lyon et Nantes. Le but ? Faire précisément en sorte que ces jeunes ne se sentent pas délaissés. Une salle commune leur est ouverte au service hémato­logie, et des activités leur sont pro­posées (cours de guitare, d’anglais, de gym douce…).

Une unité mobile, composée d’une infirmière, d’un psy et d’une assistante sociale, rend systématiquement visite à chaque nouvel admis, dès le diagnostic posé, afin d’évaluer sa situation mé­dicale, mais aussi familiale, sociale, financière… Ce bilan est réévalué selon les besoins, au fur et à mesure du traitement. « C’est un vrai plus, constate le docteur Nathalie Gaspar, responsable de l’un des pre­miers programmes AJA à l’Institut Gustave Roussy, le fait de les ai­der concrètement à poursuivre leur vie le plus normalement possible, pendant les traitements et au-delà, leur permet de mieux supporter ce qu’ils traversent. Cela contribue aussi à renforcer le lien de confiance entre eux et nous, médecins. On leur montre qu’on ne les considère pas comme des enfants. C’est important parce qu’ils sont à l’âge de l’auto­nomisation, période où l’on accepte mal que d’autres décident pour vous de la vie ! ».

Pour ceux qui ne bénéficient pas d’un programme AJA, l’association Jeune Solidarité Cancer édite et met à disposition gratuitement « Être jeune et concer­né par le cancer. Vos questions, nos réponses ». Ce livret est une mine de contacts et d’infos très concrètes.

Continuer à sortir, s’amuser… à être jeune

Encore trop peu d’hôpitaux pra­tiquent ce type de prise en charge globale. À Nice, Laetitia n’en a pas bénéficié. En 2007, alors élève de Première, elle a négocié seule, avec la direction de son lycée, un pro­gramme de cours aménagés pour pouvoir passer, en même temps que ses camarades, les épreuves du bac français. De son côté, Alice, la Rouennaise, a dû renoncer à faire sa rentrée 2011 à la prestigieuse école Camondo, qui forme des archi­tectes d’intérieur : « Heureusement, on m’a gardé ma place pour 2012 ! Je suis donc restée à la maison, à me faire dorloter par mes parents ! » Une étape régressive diversement appré­ciée, entre tendresse, culpabilité de faire supporter « ça » à sa famille, et frustration d’être dépendante. Por­tée par le sentiment d’invulnérabi­lité, si typique de la jeunesse, Alice n’a jamais pensé qu’elle ne guéri­rait pas.

Durant cette année entre parenthèses, elle en a profité pour se préparer : « Entre deux séances de chimio, j’ai suivi des cours de dessin aux Beaux Arts de Rouen, et des cours de couture… Dès le début, j’ai décidé que ce cancer serait pour moi une maladie comme une autre. Pas question d’arrêter de vivre ! » Les amis ont été un soutien pré­cieux. « J’étais dans un autre timing qu’eux, mais cela n’empêchait pas qu’ils m’envoient tous les jours un texto pour me dire bonjour, un lien Youtube pour me faire rire quand j’étais au fond du trou, ou un mes­sage sur Facebook pour m’inviter à une soirée le weekend. Si je me sen­tais d’attaque, j’y allais. »

« Je ne veux pas que les gens se plaignent et pourtant, parfois, j’aimerais bien qu’ils le fassent »

Faire en sorte que la maladie ne prenne pas le dessus, c’est aussi le leitmotiv de Sarah. La Grenobloise a intégré un protocole qui mixe trai­tements et sport. « On est un petit groupe de malades, où je suis la plus jeune, évidemment. Encadrés par des profs d’éducation physique spé­cialement formés, des médecins et des chercheurs, on fait deux séances d’une heure par semaine d’exercices physiques, avec une demi-heure de cardio et une demi-heure de renfor­cement musculaire. »

Mais au fur et à mesure des chimios, elle ressent plus de difficultés. « Moi qui ai toujours été très sportive, je me retrouve avec les capacités d’une mamie de 70 ans. J’apprends à m’adapter mais c’est frustrant, et parfois angoissant. Il m’arrive de me demander si je vais réussir à récupérer ma force, mon énergie, mon corps d’avant… ». Elle a perdu ses cheveux, du poids, mais elle ne se laisse pas « abattre ». Tous les matins, elle prend au moins une heure pour se préparer, se maquiller. « J’ai toujours été coquette, fémi­nine, je veux le rester. » Pour elle, pour Anthony, son mari depuis deux ans, et pour les autres.

Il fut un temps où lorsqu’un inconnu dans la rue lui lançait un compliment, elle se sentait agressée. Plus maintenant. Elle y croit, tout en pensant sous sa perruque « s’il savait ! ». « Je me sens presque plus épanouie qu’avant la maladie. J’accepte mieux mon corps. Au lieu de chercher ses défauts, je cherche ce qu’il a de beau. » Au point de provoquer des malentendus : « Je fais tout pour paraître en forme mais du coup, les gens oublient à quel point c’est dur. Je ne veux pas qu’ils me plaignent et pourtant, parfois, j’aimerais bien qu’ils le fassent… »

Les cicatrices de l’âme

Marion aussi tente de masquer. À 23 ans, elle est en rémission d’un méso­théliome péritonéal, cancer rare du péritoine qui touche en général des hommes entre 40 et 70 ans. Soigné en neuf mois de traitements intenses, son « cancer de vieux » comme elle dit, a changé sa personne toute entière. En 2009, on lui a retiré la rate, la vésicule biliaire, une partie du foie et du rectum, ainsi que les ovaires et l’utérus. Elle en garde une cicatrice de 30 cm sur l’abdomen et une en travers de l’âme. Elle ne sera jamais mère. Elle a du mal à se le dire, à le dire, tout simplement. Au printemps dernier, elle a rencontré un garçon. Il a vu sa cicatrice, bien sûr, mais Marion lui a demandé de ne pas poser de question. Comment parler de cette marque ? Quels mots mettre sur ce grand vide dans son ventre ? Y en a-t-il qui ne font pas fuir ? « Tout ça est encore en chantier dans ma tête. »

Confrontées à de durs renonce­ments, sensibilisées à la précarité de l’existence, ces jeunes filles se disent précocement dépossédées d’un des apanages de la jeunesse : l’insou­ciance. D’un autre côté, beaucoup estiment avoir gagné une chose précieuse : plus de maturité. Pas sur tout, mais sur l’essentiel comme le sens qu’elles veulent donner au reste de leur vie. Il y a un futur au-delà du cancer et c’est bien dans cette direc­tion qu’elles veulent regarder. Ap­prendre une langue étrangère, créer un site internet, ou simplement s’offrir un beau voyage… Des idées, elles n’en manquent pas ! Les béné­voles de Cheer up1 sont là pour les aider à concrétiser leur projet, qu’il soit personnel, scolaire ou profes­sionnel.

En 2011, grâce à leur appui, soixante-quatorze jeunes ont réalisé leurs envies. « Nous ne sommes pas sexistes. Filles, garçons, nous accom­pagnons tous les malades, de 18 à 25 ans », précise en souriant Lisa, 20 ans. Comme tous les membres de cette association, elle est étu­diante. En licence d’éco-gestion à Paris Dauphine, elle rend visite à ses patients un à deux après-midis par semaine. « On essaie de cerner ce qu’ils aimeraient faire, leurs besoins. On discute de tout sauf de leur état médical ». En s’engageant il y a deux ans, elle avait l’intuition que les soins n’étaient pas le seul remède contre la maladie : « Je pensais que se battre pour un projet, c’était aussi se battre contre son cancer. Tous les jours, je vois combien notre action est utile ».

Sandrine Mouchet

1. Cheer up (qui signifie en français : « réjouis­sez vous ! » mais aussi « gardez espoir ! ») est implanté dans certaines facs ou grandes écoles de Paris, Lille, Rouen, Reims et Bordeaux.


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Sandrine Mouchet

Journaliste, rédactrice en chef de Rose magazine et directrice de Rose Magazine Éditions

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