PD1, PDL1, késako ?
Pour comprendre ce qui se cache derrière ces acronymes barbares, il faut comprendre comment fonctionne le système immunitaire. Notre organisme est parcouru de cellules dont le rôle est d’éliminer les bactéries, les cellules infectées par des virus ou encore des cellules anormales comme les cellules tumorales. Ces cellules, ce sont les lymphocytes T. Quand ils rencontrent leur cible, ils s’activent et la détruisent.
Pour éviter qu’ils ne s’activent à tout bout de champs – et qu’ils ne provoquent des maladies auto-immunes par exemple – les lymphocytes sont munis d’un cadenas qui sert de « point de contrôle » (« checkpoint » en Anglais). Quand celui-ci est verrouillé par la bonne clé, le lymphocyte ne peut pas s’activer.
Malheureusement, cette clé, certaines cellules tumorales la possèdent. Quel rapport avec PD1 et PDL1 ? Et bien, PD1, c’est le cadenas et PDL1, c’est la clé.
La cellule tumorale empêche les lymphocytes T de s’activer par un mécanisme clé/cadenas
Pour empêcher que les cellules tumorales ne cadenassent les lymphocytes, les chercheurs ont développé des anticorps capables de se fixer spécifiquement sur PD1 (anti-PD1) ou PDL1 (anti-PDL1). La clé ne peut ainsi plus rentrer dans la serrure et les lymphocytes peuvent à nouveau s’activer contre la tumeur et la détruire. On appelle ces anticorps, des inhibiteurs de checkpoint.
Les anticorps anti-PDL1 et anti-PD1 empêchent la cellule tumorale de cadenasser le lymphocyte T
Un traitement qui ne fonctionne pas sur tous les cancers
L’immunothérapie marque donc un changement de paradigme dans le traitement du cancer : on ne cherche plus à détruire directement les cellules tumorales mais à donner des armes au système immunitaire pour lui permettre de lutter contre la maladie par lui-même. Malheureusement, cette approche n’est pas efficace dans tous les cancers. Pour qu’elle le soit, il faut bien entendu qu’au moins une partie des cellules tumorales – ou des cellules immunitaires qui ont infiltré la tumeur – expriment la cible de l’anticorps : PD1 ou PDL1.
Ce traitement fonctionne particulièrement bien dans des cancers causés par des agents mutagènes comme le cancer du poumon lié au tabac ou les mélanomes dus au soleil. Pour que le système immunitaire s’attaque aux cellules cancéreuses, il faut en effet qu’il les reconnaisse comme des cellules altérées. Il est donc plus efficace quand les cellules sont fortement mutées. Dans le cancer du poumon, l’immunothérapie a permis en quelques années des progrès impressionnants : alors que l’espérance de vie à 5 ans était jusque-là nulle pour les patients atteints d’un cancer métastatique, le taux de survie est aujourd’hui de plus de 30%. Ce traitement est devenu La référence dans les stades avancés de la maladie : plus de 90% des patients en bénéficient. L’immunothérapie devrait bientôt également trouver sa place dans le traitement de cancers du poumon plus précoces.
Certains cancers y sont en revanche peu sensibles, parmi lesquels les cancers gynécologiques, digestifs ou pédiatriques. Seul un quart des patients bénéficient de cette approche.
Des traitements mieux tolérés
De manière générale, les immunothérapies par anti-PD1 ou anti-PDL1 sont mieux tolérées que la chimiothérapie : elles ne provoquent pas de perte de cheveux et causent moins de nausées et de fatigue. Des effets indésirables rares (moins de 1% des cas) mais potentiellement graves ont toutefois été rapportés : il s’agit principalement de complications neurologiques (neuropathies, troubles neuromusculaires, encéphalopathies) ou hématologiques (neutropénie, anémie, thrombocytopénie3). « Les effets indésirables induits par les anticorps anti-PD1/PDL1 sont plus variés, moins prévisibles et moins classiques. Ils sont plus complexes à appréhender par le personnel soignant car il est moins entraîné : les immunothérapies sont relativement récentes. C’est pourquoi il est important que les équipes incluent non seulement des oncologues mais aussi d’autres spécialistes : des cardiologues, des néphrologues…» explique le Dr Michot, oncologue médical au département d’innovation thérapeutique et d’essais précoces à Gustave Roussy. Ces complications étant d’origine immunitaire – c’est-à-dire qu’elles sont causées par un dérèglement du système immunitaire qui se met à attaquer ses propres cellules -, les médecins disposent d’antidotes pour les contrer.
Des thérapies qui coûtent cher
Comme toutes les thérapies ciblées, les immunothérapies coûtent cher. Le prix moyen par cure varie selon les anticorps entre 4000 € et plus de 12 000 €. Impossible toutefois d’évaluer le coût global du traitement puisqu’il est administré, par injection intraveineuse, toutes les 2 à 3 semaines « jusqu’à progression de la maladie ou apparition d’une toxicité inacceptable.» Selon une étude menée sur 182 patients sous Nivolumab ou Pembrolizumab et présentée à l’ASCO en 2018, le délai moyen de traitement est de 16 mois dans le cas du mélanome.
Des résultats variables et parfois paradoxales
Les immunothérapies ont prouvé leur supériorité par rapport aux traitements classiques par chimiothérapie ou thérapies ciblées. Une récente étude a ainsi montré qu’elles permettaient de garder la maladie durablement sous contrôle chez deux fois plus de patients que les traitements classiques par chimiothérapie ou thérapies ciblées1.
Malheureusement, la majorité des patients traités ne tirent pas de bénéfice de l’immunothérapie. La proportion de malades « répondeurs » – c’est-à-dire chez qui le traitement est efficace – varie considérablement d’un cancer à l’autre comme le précise le Dr Jean-Marie Michot : « Il peut atteindre 40% dans le mélanome, il se situe entre 20 et 30% dans le poumon mais il est seulement de 1% dans le pancréas.» Pourquoi une telle disparité ? Parce que, pour que l’immunothérapie fonctionne, il faut que le système immunitaire reconnaisse la tumeur comme un corps étranger à éliminer. Donc, plus elle est mutée, plus le système immunitaire s’attaquera à elle. L’immunothérapie est ainsi davantage efficace dans les cancers du poumons et les mélanomes car ils sont, en majorité, causés par des agents mutagènes : la fumée de cigarette et les ultra-violets.
Si l’immunothérapie n’est pas efficace chez certains patients, elle peut être mortelle pour d’autres. C’est le cas des patients dits « hyperprogresseurs ». Chez ces malades, les anticorps provoquent une accélération de la croissance tumorale pouvant conduire au décès. Selon le type de cancer, ce phénomène est observé dans 9 à 29% des cas. Dans le cancer du poumon non à petites cellules, une hyperprogression a été montrée chez 1 patient sur 7, c’est deux fois plus qu’avec une chimiothérapie2. Les chercheurs ont également observé des cas de pseudoprogression : la tumeur commence par grossir – sous l’effet de l’infiltration des cellules du système immunitaire – avant de régresser. À ce jour, les oncologues sont incapables de prédire si l’augmentation de la taille de la tumeur est annonciatrice d’une hyperprogression ou d’une pseudoprogression. Sauf à interroger les patients eux-mêmes. Il apparaît en effet que leur ressenti diffère : alors que les pseudoprogresseurs se sentent mieux, les hyperprogresseurs éprouvent une aggravation de leur état.
Le principal enjeu : sélectionner les patients « répondeurs »
Face au faible taux de « répondeurs » et au coût élevé des injections, le principal enjeu des immunothérapies sera de parvenir à sélectionner les patients chez qui le traitement est susceptible d’être efficace. À ce jour, il n’existe pas de marqueur fiable permettant de discriminer les « bons répondeurs » même si, on l’a vu, les tumeurs fortement mutées et dans lesquelles des cellules du système immunitaire se sont infiltrées semblent mieux répondre à l’immunothérapie.
Le Dr Frédérique Penault-Llorca, directrice générale du Centre Jean Perrin de Clermont-Ferrand, coordonne actuellement l’étude Check’up pour répondre à cette question. Les résultats sont attendus en 2025.
Mis à jour les 29/08/19 et le 6/03/2023
Source : Rapport de l’INCa « Les immunothérapies spécifiques dans le traitement des cancers » – juin 2018
1. Étude menée par l’Institut Curie, en collaboration avec l’INSERM et Gustave Roussy, et publiée dans JCO Precision Oncology en 2019
2. Étude menée par Gustave Roussy et publiée dans JAMA Oncology en 2018
3. Respectivement, baisse des neutrophiles, des globules rouges et des plaquettes