Il ne touche que les fumeurs.
Au rang des idées reçues, celle-ci arrive en tête de liste. Et de loin. Les patientes sont les premières à en témoigner : impossible de raconter ce qui leur arrive sans qu’on leur demande en retour si elles sont fumeuses. « Cette question me révolte, s’emporte Cathy Quiros, victime d’adénocarcinome successivement sur ses deux poumons, en 2013 et 2018. Je réponds la vérité, c’est-à-dire que j’avais arrêté quinze ans avant de tomber malade. Mais si ce n’était pas le cas, que devrais-je donc comprendre ? Que c’est bien fait pour moi ? »
Une réaction à la fois stigmatisante, et réductrice. Certes, le tabac est en effet le facteur de risque numéro un. Toutefois, le grand public tend à oublier non seulement le tabagisme passif, mais aussi, et peut-être plus encore, les autres facteurs comme la pollution atmosphérique ou l’exposition professionnelle à l’amiante, au radon, à l’arsenic, au nickel, aux radiations ionisantes ou à la silice, sans oublier les facteurs génétiques. 15 à 20% des personnes atteintes de cancer du poumon n’ont d’ailleurs jamais fumé.
Il ne s’agit donc évidemment pas de lâcher sur la prévention -indispensable- du tabagisme, mais d’abolir la double peine réservée aux personnes touchées par le cancer du poumon : la maladie et la culpabilité. Au risque de marteler des évidences : « fumeur ou non fumeur, personne ne mérite d’avoir un cancer du poumon ! Il faut en finir avec ces préjugés, qui culpabilisent et accentuent la fragilité des personnes malades », plaide Séverine Torrecillas, psychologue au CHU de Lyon et cofondatrice, avec six patients, de la première association française de personnes atteintes par le cancer du poumon, De l’air !
C’est un problème qui concerne surtout les hommes.
Si les hommes sont effectivement plus nombreux à se découvrir atteints d’un cancer du poumon, puisqu’ils sont 31000 chaque année contre 15000 femmes, c’est bien sa progression chez ces dernières qui panique aujourd’hui les épidémiologistes.
Le rapport « Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine » 2019 de Santé Publique France, publié tous les cinq ans en collaboration avec l’Institut contre le Cancer (Inca), le réseau de surveillance des cancers Francim et les Hospices civils de Lyon (HCL), a une nouvelle fois pointé la spectaculaire augmentation de cette pathologie dans la population féminine : +5,3 % par an en moyenne entre 1990 et 2018.
« Le tabagisme féminin s’est banalisé plus tardivement que pour les hommes. Ce que nous observons aujourd’hui est principalement lié à l’arrivée à un certain âge de ces premières populations de fumeuses. Ce phénomène s’amplifie année après année », analyse le Dr Girard, pneumologue à l’institut mutualiste Montsouris.
Un cancer du poumon chez un homme ou chez une femme, c’est pareil.
Ce n’est pas tout à fait vrai. Tout d’abord, « le pronostic général est plutôt meilleur chez les femmes », indique le Pr Alexis Cortot, pneumo-oncologue au CHRU de Lille. Autres spécificités féminines du cancer du poumon : la répartition des types histologiques.
Selon l’aspect microscopique des tumeurs, on distingue les cancers du poumon dits « à petites cellules » (15%) des « non à petites cellules » (85%), au sein desquels le sous-type majoritaire est celui des adénocarcinomes (45% de l’ensemble des patients atteints de cancer du poumon), devant les carcinomes épidermoïdes (30%) et les autres sous-types (10%). Chez les femmes, la fréquence des adénocarcinomes est légèrement plus élevée que ce que l’on observe chez les hommes. Le pourcentage de patientes développant des adénocarcinomes alors qu’elles ne fument pas, environ 30% en Occident, est par ailleurs légèrement supérieur à ce qui est observé chez les hommes.
Enfin, chez les femmes, les cellules cancéreuses présentent plus souvent des altérations moléculaires dites « actionnables », c’est-à-dire que l’on peut viser spécifiquement grâce à certains médicaments dans le cadre d’une thérapie ciblée. L’origine de ces différences reste aujourd’hui mal connue.
Lorsque des métastases apparaissent, c’est que tout est perdu.
Cela était malheureusement encore vrai, ou presque vrai, il y a quelques années à peine, puisque le taux de survie à cinq ans de patients atteints de cancer du poumon et présentant des métastases était de 1% à 2% à peine. Mais tout a changé avec l’arrivée il y a cinq ans des thérapies ciblées et de l’immunothérapie. Celles-ci ont radicalement modifié l’approche thérapeutique, et fait grimper à 15% le taux de survie à cinq ans des patients présentant des métastases. « C’est encore insuffisant, bien sûr, mais ce que je dis toujours à mes patients, c’est que la recherche s’accélère. Tous les mois ou tous les deux mois, de nouveaux résultats d’études cliniques sont rendus publics. Plus on avance dans le temps, plus l’arsenal thérapeutique s’élargit et mieux on arrive à cibler les traitements », note le Dr Girard.
Catherine Veret a personnellement fait l’expérience de ces progrès. Cette ancienne employée d’Amazon, qui n’a jamais fumé, a découvert en mars 2017 qu’elle était atteinte d’un carcinome non à petites cellules. « Avant même d’avoir reçu tous les résultats des analyses effectuées dans la foulée du diagnostic, l’équipe médicale, au vu de la présence de plusieurs métastases, dont deux osseuses, a pris les devants en entamant une chimiothérapie classique. La veille de la seconde chimiothérapie, j’ai appris que j’allais pouvoir recevoir une thérapie ciblée », relate-t-elle.
« Celle-ci a très bien fonctionné pendant six mois, avant une grave complication sous forme d’hépatite médicamenteuse. Nous avons alors tenté l’immunothérapie, qui dans mon cas n’a pas du tout fonctionné. Les métastases revenaient. Au bout de trois semaines, donc, en août 2018, nouveau changement de traitement avec une autre thérapie ciblée. Six mois plus tard, j’ai reçu mon plus beau cadeau de Noël : la nouvelle de ma rémission ».
Il n’est pas possible de le dépister.
Peu spécifiques, les premiers signes ne suffisent pas toujours à alerter les patients. Et pour cause : « dans le poumon lui-même, il n’y a pas de récepteur à la douleur. Celle-ci n’apparaît que si des métastases commencent à toucher la plèvre ou les côtes, par exemple. Dans l’intervalle, les symptômes sont peu spécifiques : la toux, l’essoufflement, le fait de cracher du sang, autant de signes qui peuvent être liés à tout autre chose », expose le Dr Girard.
Au point qu’il n’est pas rare que la pathologie soit découverte par ce qui apparaît souvent aux patients comme un concours de circonstances. « En août 2017, j’avais parlé à mon médecin d’une toux qui me gênait depuis un moment. Alors que nous recherchions une cause allergique, un collègue m’a dit qu’il avait souffert l’année précédente d’une tuberculose. C’est pour cette raison que j’ai fait une radio des poumons », se souvient par exemple Martine Frappa, 65 ans, diagnostiquée en août 2017.
De son côté, Cathy Quiros raconte : « je me sentais fatiguée, j’avais très mal au genou et les anti-inflammatoires n’ayant rien donné, ma généraliste était sur le point de me prescrire une radio du genou et des lombaires. A ce moment-là, son regard s’est arrêté sur mon dernier essai de vernis, un noir qui ne m’allait pas très bien. Je lui dit que c’était sûrement parce que mes ongles avaient une drôle de forme que le résultat n’était pas joli. Elle a alors ajouté à sa prescription une radio des poumons ». Le lien entre manucure et cancer du poumon ne semble certes pas évident pour le commun des mortels. Et pourtant, en effet, des ongles bombés peuvent être dûs à une protéine ressemblant à une hormone que sécrètent certaines tumeurs pulmonaires.
Du fait du caractère peu reconnaissable des premiers signes, le diagnostic est souvent tardif, ce qui joue un rôle majeur dans la sévérité du pronostic. Au point que la question du dépistage systématique se pose avec acuité, en particulier pour les gros fumeurs d’un certain âge.
Une première étude américaine, le National Lung Screening Trial (NLST), publiée en 2011, semblait indiquer que proposer aux populations à risque un scanner thoracique annuel induisait un net bénéfice, avec une diminution de la mortalité par cancer du poumon de 20%. En France, la Haute autorité de santé avait toutefois estimé que cette étude nécessitait une confirmation, et n’était pas transposable au contexte hexagonal. Mais l’étude européenne NELSON, dont les résultats ont été présentés fin 2018 lors de la19ème World Conference on Lung Cancer (WCLC), au Canada, a confirmé ce bénéfice.
Différentes sociétés savantes dont la société de pneumologie de langue française (SPLF), la société française de radiologie (SFR) regroupant des pneumologues, des radiologues et l’intergroupe Francophone de Cancérologie Thoracique (IFTC) se sont prononcés pour la mise en place d’un dépistage systématique. « L’association De l’air! milite également activement pour ce dépistage, qui pourrait sauver 7500 vies par an en France et faire diminuer de 25% la mortalité des tumeurs bronchiques », abonde Séverine Torrecillas.
Des initiatives encourageantes ont été menées en parallèle dans l’Hexagone, notamment dans la Somme à l’initiative du Dr Oliver Leleu, chef du service de pneumologie du centre hospitalier d’Abbeville, pour évaluer la faisabilité de mettre en place un dépistage systématique en France. Interpellée par le député de la Somme, la ministre de la santé a saisi la Haute Autorité de Santé (HAS) pour se prononcer sur les bénéfices mis en exergue par l’étude Nelson. La HAS attend désormais la publication dans une revue scientifique des résultats détaillés de ces travaux pour se prononcer.
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